phassan1_Nava JamshidiGetty Images_afghanistanwomen Nava Jamshidi/Getty Images

Donnons aux femmes afghanes les moyens d'être actrices de leur destin

WASHINGTON, DC – La Journée internationale des femmes est marquée cette année par un sombre pressentiment, voire par un certain désespoir. Les progrès en matière de droits et de représentation politique des femmes sont au point mort : l’an dernier, l’augmentation du nombre de femmes au sein des parlements nationaux a été la plus faible en une génération, et l’insuffisance des financements mondiaux en faveur des initiatives pour l’égalité des sexes demeure considérable. En cette période de recul généralisé de la démocratie – et d’interruption de l’aide internationale par le président américain Donald Trump, y compris concernant la défense de l’égalité des sexes – les perspectives d’amélioration apparaissent plus incertaines que jamais.

Nulle part les femmes et les jeunes filles ne comprennent mieux les conséquences de ces revers qu’en Afghanistan, où se produisent certaines des plus graves atteintes aux droits en raison du genre à travers le monde. Les femmes d’Afghanistan n’en demeurent pas moins une puissante source d’espoir et de détermination à poursuivre le combat – en particulier pour celles d’entre nous qui jouissent des droits, libertés et opportunités dont ces femmes sont privées.

Depuis tant d’années, les femmes afghanes font preuve d’inventivité pour contourner et résister à une terrible répression. À la fin des années 1990, alors que les talibans renforçaient leur emprise sur le pays et imposaient des politiques régressives, les femmes ont créé des écoles, des centres communautaires et des dispensaires clandestins. Depuis le retour des talibans au pouvoir en 2021, les Afghanes ont relancé ce type d’initiatives, en créant par exemple des écoles secrètes auxquelles les jeunes filles – à qui l’on interdit désormais de suivre une scolarité au-delà de la classe de sixième – peuvent accéder en personne ou sur Internet. Là où ces classes n’existent pas, les mères assurent généralement l’instruction à la maison, en utilisant smartphones ou tablettes pour accéder aux contenus nécessaires.

Dans l’interdiction même de s’exprimer en dehors du foyer, les Afghanes utilisent les réseaux sociaux et la presse pour raconter leur histoire. Dans l’impossibilité de manifester pacifiquement sans s’exposer à la violence des autorités, elles adoptent des formes imaginatives de résistance, décrivant leur expérience et réclamant le changement dans leurs poèmes, leurs peintures et leurs films. Immersion dans les efforts que déploient les femmes afghanes pour résister à la répression talibane, l’émouvant documentaire Bread & Roses, de la réalisatrice Sahra Mani, est acclamé partout à travers le monde.

Nous sommes nous-mêmes originaires d’Afghanistan, mais nous avons eu la chance de pouvoir recommencer notre vie sur une terre nouvelle, où nous pouvons défendre nos sœurs restées au pays, sans craindre pour notre sécurité personnelle. Les héroïnes de Bread & Roses, comme d’innombrables autres militantes afghanes, courent chaque jour un danger mortel. Il est impératif que nous ne nous contentions pas d’écouter leur histoire. L’admiration de leur courage et la compassion face à leur sort ne signifient pas grand-chose si nous ne faisons rien pour qu’elles demeurent parmi les priorités mondiales. C’est la raison pour laquelle, lors de la prochaine Commission de la condition de la femme (CSW) des Nations Unies, nous appellerons la communauté internationale à prendre trois mesures essentielles pour soutenir les femmes afghanes.

Premièrement, les réfugiés afghans doivent disposer d’options rapides et crédibles pour une réinstallation sûre et permanente. Lorsque les talibans ont regagné le pouvoir, plusieurs centaines de milliers de réfugiés – y compris des ressortissants afghans qui avaient travaillé avec les forces américaines ou celles de l’OTAN durant la guerre – ont fui vers le Pakistan voisin, où ils ont effectué la demande d’obtention des visas américains qui leur avaient été promis. Nombre d’entre eux attendent depuis des années une possibilité de réinstallation, subissant bien souvent incarcérations arbitraires et harcèlements tandis qu’ils patientent.

Winter Sale: Save 40% on a new PS subscription
PS_Sales_Winter_1333x1000 AI

Winter Sale: Save 40% on a new PS subscription

At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.

Subscribe to Digital or Digital Plus now to secure your discount.

Subscribe Now

Plutôt que d’accélérer ce processus, Trump a décidé de suspendre le programme d’admission des réfugiés aux États-Unis. Les Afghans se retrouvent ainsi exposés à un risque de déportation – synonyme de mort dans bien des cas – par le gouvernement pakistanais, qui a exprimé son impatience face aux longs délais de réinstallation. Un cap crédible en direction d’une réinstallation définitive en lieu sûr doit être fixé sans plus tarder.

Deuxièmement, la communauté internationale doit fournir aux femmes afghanes les ressources dont elles ont besoin pour faire évoluer la situation au sein même de l’Afghanistan. Les Afghanes ont la vision, la ténacité, l’expérience et la détermination nécessaires pour transformer les choses. Les donateurs hésitent malheureusement à les soutenir financièrement depuis le retour des talibans au pouvoir. Des financements bien supérieurs sont nécessaires à l’appui des programmes menés par les femmes en Afghanistan, consistant par exemple à faciliter la communication entre les femmes restées au pays et les Afghanes exilées.

Enfin, il est essentiel que les Afghanes – et plus largement la société civile – soient associées à tout dialogue politique ou processus de paix dans leur pays. Si les talibans cherchaient à les priver d’un siège autour de la table, comme ils l’ont fait jusqu’à présent, alors la communauté internationale devrait s’y opposer. Il en va de l’avenir de l’Afghanistan, et de la stabilité de la région.

Cette année, la réunion de la Commission de la condition de la femme marquera le 30e anniversaire de la Déclaration et plateforme d’action de Pékin, la feuille de route la plus progressiste au monde en matière de droits des femmes. Lorsqu’elle fut élaborée il y a trente ans, les femmes concernées étaient pleines d’espoir, et pensaient que la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes avait atteint un tournant. Malheureusement, en dépit d’avancées dans certains domaines – participation au marché du travail, représentation politique et inclusion financière des femmes – la promesse formulée par cette déclaration demeure non tenue. Il est temps de tirer parti de la créativité, du leadership, des savoir-faire et du courage d’une génération nouvelle de militantes, notamment des femmes afghanes.

https://prosyn.org/0lvziaSfr