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Immigration, décentralisation, fin du mois et fin du monde

STANFORD – Dans de nombreux pays du monde, l'année 2018 s'est terminée de manière plus ou moins chaotique pour les marchés financiers, la politique climatique et les dirigeants politiques. La crise financière mondiale et de la Grande récession qui a suivi ont été lourdes de conséquences. Il en a été de même de l'évolution économique, technologique, culturelle et démographique à long terme. Dans plusieurs pays, toute une partie de la population s'est sentie négligée par le pouvoir politique, et/ou laissée pour compte sur le plan économique, et culturellement déphasée. Son mécontentement, qu'il se soit exprimé dans les urnes, sur Internet ou dans la rue, a beaucoup affaibli les dirigeants politiques.

Au début de son quatrième mandat, la chancelière allemande Angela Merkel, semblait être la dirigeante de fait de l'UE, jusqu'à sa décision fatidique en 2015 d'accueillir plus d'un million de réfugiés. Sans compter les politiciens qui brandissent l'immigration comme un épouvantail, la réaction - alimentée par la pression supplémentaire sur les services publics, le budget et le maintien de l'ordre - a été brutale. La chancelière en est ressortie affaiblie, au point de ne pas s'être présentée à la réélection à la tête de son parti en décembre et de ne pas briguer un nouveau mandat en 2021, à l'issue de son mandat actuel.

L'hostilité aux migrants ne se limite pas à l'Allemagne. De l'Italie à la Pologne, elle a servi aux partis populistes à parvenir au pouvoir. La Hongrie a érigé du fil fer barbelé pour empêcher les réfugiés d'entrer dans le pays. Le Danemark a confisqué les biens des migrants et il est prêt à envoyer sur une île inhabitée des centaines de demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée mais qui sont inexpulsables. Cette île au large des côtes danoises a servi dans le passé de centre de recherche sur des animaux atteints de maladies contagieuses.

L'hostilité à l'immigration et plus largement l'inquiétude quant à un abandon de souveraineté au profit de l'UE ont favorisé un événement choc : le Oui au Brexit lors du référendum de 2016 au Royaume-Uni. Pour renforcer sa position politique après sa réélection en 2015 comme Premier ministre, David Cameron a trouvé un stratagème : organiser faire un référendum sur le Brexit. Mais n'ayant pas pu obtenir davantage de dérogations en faveur de la Grande-Bretagne de la part de l'UE, notamment un plus grand contrôle sur l'immigration, il n'a pas réussi à convaincre une majorité d'électeurs de rester dans l'UE.

Le drame du Brexit s'est poursuivi en 2018. Theresa May, la Première ministre britannique, est bien parvenue à un accord de sortie avec les dirigeants de l'UE, mais risquant une défaite retentissante au Parlement, elle a repoussé le vote pour l'entériner au mois de janvier. L'opposition au compromis qu'elle a obtenu est telle au sein du parti conservateur, son propre parti, qu'elle a dû se soumettre à un vote de confiance des députés conservateurs.

Elle a survécu à ce vote, mais se retrouve coincée entre le refus de l'UE de faire davantage de concessions et les graves divisions politiques sur le plan intérieur. D'après les sondages, Jeremy Corbyn, le dirigeant du parti travailliste, militant d'extrême-gauche et apparemment antisémite, pourrait devenir le prochain Premier ministre.

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En France, le président Emmanuel Macron qui semblait appelé à être le prochain dirigeant de facto de l'Europe est confronté depuis quelques semaines à une vague de protestations et de troubles. Il avait déjà dû se bagarrer pour appliquer ses réformes pro-croissance qui imposent de modestes contraintes à un Etat-providence hypertrophié.

Mais c'est une augmentation de la fiscalité sur l'essence, une mesure destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre qui a déclenché le mouvement des "gilets jaunes". Toute une partie des citoyens des pays riches à fiscalité élevée rejettent en bloc une classe politique dominante qui leur donne l'impression de s'intéresser davantage à la fin du monde qu'à leur fin du mois.

De la même manière, au Canada, le Premier ministre Justin Trudeau est confronté à la contestation d'un impôt fédéral sur le carbone visant quatre provinces canadiennes (sur 10) qui ont rejeté sa politique initiale de réduction des émissions de gaz à effet de serre - ce qui pourrait lui coûter son poste l'année prochaine. Un peu partout dans le monde, la montée des tensions entre le gouvernement central et les autorités régionales est l'une des caractéristiques fondamentales de ces dernières années. 

Ailleurs, l'action climatique rencontre d'autres difficultés. En décembre, lors de la COP24 (la conférence des Nations unies sur le changement climatique) qui a eu lieu dans la ville minière de Katowice en Pologne, les négociateurs ont seulement réussi à s'accorder sur les modalités d'application de l'accord de Paris sur le climat de 2015. Elles comportent notamment une méthodologie appropriée pour mesurer les avancées.

De manière plus parlante, bien d'autres pays ne tiennent pas les engagements qu'ils ont pris dans le cadre de l'accord de Paris (et même s'ils les tenaient, ce ne serait probablement pas suffisant pour atteindre l'objectif fixé en matière d'émission de gaz à effet de serre). C'est le cas de l'Allemagne qui a adopté une politique de fermeture des centrales nucléaires et de soutien aux énergies renouvelables. Mais elle a alors dû relancer l'une des formes de charbon les plus polluantes, le lignite, afin de limiter la hausse du prix de l'électricité et de disposer d'une solution de secours quand le vent ou le soleil manquent à l'appel.

Dès le début de la COP24, les critiques se sont focalisées sur les USA, du fait de la décision de Donald Trump de retirer le pays de l'Accord de Paris le plutôt possible, en 2020. Il n'en reste pas moins que le bilan de la réduction des émissions par les USA reste l'un des meilleurs du monde, malgré leur résistance croissante à la nouvelle politique climatique.

Ainsi lors des élections de novembre, en Arizona, au Colorado et dans l'Etat de Washington, les électeurs ont rejeté des propositions visant à limiter le recours aux énergies fossiles. Même en Californie, un Etat pourtant très favorable à l'écologie, une hausse du prix de l'essence qui avait été décidée à failli être annulée. Finalement elle ne l'a pas été, parce que les électeurs craignaient que le budget consacré à l'entretien des routes et des autoroutes (souvent en piteux état) soit insuffisant.

Le climat est loin d'être la seule préoccupation du gouvernement de Trump. Lors des élections de novembre, le parti républicain a perdu le contrôle de la Chambre des représentants. Les indicateurs macroéconomiques restent bons, mais la hausse des taux d'intérêt, le ralentissement de la croissance à l'étranger, l'évolution du marché et le ralentissement du cycle économique suscitent des inquiétudes. Ces inquiétudes sont encore avivées par la hausse des barrières douanières qu'a décidé Trump, notamment à l'égard de la Chine, car cela pourrait annuler le regain de croissance dû à sa politique fiscale et à ses mesures de déréglementation.

Portons notre regard au-delà de l'Occident. En Inde, en raison de préoccupations économiques croissantes, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata du Premier ministre Narendra Modi a subi un sérieux revers dans cinq Etats lors des élections régionales. En Chine la croissance ralentit, le conflit commercial avec les USA s'intensifie, les accusations de cyber-espionnage et de transfert forcé de technologie ont conduit au boycott dans plusieurs pays de produits des équipementiers chinois dans le domaine des télécommunications. Dans ce contexte, les préoccupations économiques y sont comme ailleurs de plus en plus marquées. Néanmoins le président Xi Jinping conserve sa mainmise sur le pouvoir.

La restructuration politique que traversent les grandes économies du monde souligne les limites de ce qu'une société peut accepter en termes d'immigration, de centralisation du pouvoir (pour ne pas parler de pouvoir supranational) et de difficultés économiques. En ce début d'année, les dirigeants politiques doivent se concentrer en priorité sur les questions de fin de mois de leur population, tout en évoluant vers des modèles politiques plus flexibles et décentralisés, adaptés à une société hétérogène. Cela améliorera la stabilité intérieure et consolidera les fondations de la coopération internationale sur des problèmes urgents, du commerce au risque climatique.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

https://prosyn.org/F2DPc2ufr