par Ralf Dahrendorf

Le traité est particulièrement ambigu quand il utilise le vocabulaire constitutionnel. La "Charte des droits fondamentaux" par exemple semble destinée à protéger les libertés publiques ; en fait, elle ne s'applique qu'aux actes pris par les institutions de l'UE : "Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et agences de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union" (article II‑51). Chaque droit spécifique inscrit dans le traité est accompagné d'une clause précisant qu'il est garanti dans les conditions prévues par les législations nationales.

De la même manière, dans sa description des institutions de l'UE, le traité reprend pour l'essentiel les lois existantes. Quelques nouvelles dispositions - comme le fait de pondérer les votes nationaux dans les Conseils de l'Union - ont fait l'objet de nombreux débats qui sont loin d'être clos. Des dispositions telles que celle qui fixe à 25 et peut-être bientôt à 30 le nombre de membres de la Commission risquent d'être modifiées sous peu, car elles ne sont tout simplement pas viables. En tout cas, il est certain que le texte actuel ne survivra pas pendant plus de deux siècles (contrairement à la Constitution américaine), ou même au-delà d'une vingtaine d'années.

Alors, pourquoi tant d'hommes politiques intelligents font-ils autant de bruit autour de ce texte ? La construction européenne se traduit au moins autant par des actes symboliques que par des réalités tangibles, c'est pourquoi elle a la curieuse propriété de ne se manifester que par intermittence. Le Premier ministre Tony Blair a longuement répété que le traité est un simple exercice de dépoussiérage à ne pas prendre trop au sérieux, puis il a été dépassé par le débat sur les symboles et il a entièrement changé son discours. C'est à la surprise générale qu'il promet maintenant un référendum sur le traité qui décidera une bonne fois pour toutes si la Grande-Bretagne est à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union. Un débat analogue se déroule en Suède. Ailleurs, notamment en Allemagne et en France, on attend tellement de cette "Constitution" que la minorité qui a réellement lu le projet doit se demander pourquoi ces 125 pages d'un texte dense, si ce n'est opaque, devraient sauver l'Europe.

Charles Grant, le responsable du Centre for European Reform britannique, s'est demandé ce qui se passerait "si la Grande-Bretagne vote Non". S'il ne s'agissait que de la Grande-Bretagne, avance-t-il, des pressions s'exerceraient pour recommencer le vote (ce qu'ont fait le Danemark en 1992 et l'Irlande en 2001) ou pour l'exclure de l'UE en lui accordant un statut de pays associé. Si d'autres pays - et pas seulement de "petits pays" - votent Non, il y aura une tendance (selon Grant), particulièrement en France et en Allemagne, à "aller de l'avant avec un noyau européen".

Mais, peut-on se demander, que ferait ce "noyau européen" ? En particulier, comment les gouvernements d'un "noyau européen" prendraient-ils en compte le manque d'enthousiasme de leur propre population à l'égard de l'Union - souligné encore par les élections européennes qui ont eu lieu en juin ?

Tout cela laisse songeur. Il semble qu'en l'absence de véritables projets politiques, l'UE s'est repliée sur elle-même pour produire un document qui prétend à bien plus que ce qu'il n'est réellement. Quand les peuples ont leur mot à dire, ils expriment des doutes appuyés, comme ils l'ont fait lors des récentes élections européennes. Plus la démocratie est ancienne et plus elle est enracinée dans leur pays, plus les citoyens font preuve de scepticisme vis-à-vis des prétentions de ce traité constitutionnel. Aussi, le fossé se creuse-t-il entre le projet européen et la réalité de l'Union.

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Alors que faire si l'on croit en l'Europe réelle et dans les objectifs communs qu'elle s'est fixée ? Le premier impératif est de dépassionner le débat sur le traité et de cesser d'afficher des prétentions irréalistes autour de son contenu, l'Europe élargie peut survivre sans lui. La deuxième impératif consiste à donner davantage d'importance à l'Europe réelle. Le marché unique est loin d'être entièrement réalisé. Beaucoup de problèmes importants restent posés au voisinage de l'Union élargie, en Europe de l'Est et dans les Balkans.

En résumé l'agenda européen devrait être porteur de moins de préoccupations abstraites sur l'identité européenne et inciter à plus de réalisations concrètes. L'Europe pourra alors se définir par des actions plutôt que par des symboles.

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