MADRID – Lorsqu’une fissure se dessine sur les murs d’une maison, elle peut rapidement s’étendre si l’on ne la répare pas, et en fin de compte déstabiliser l’ensemble de la structure jusqu’à la rendre inhabitable. Ses occupants se retrouvent alors contraints de se trouver un nouveau foyer. Les populations de notre planète n’ont cependant pas cette chance. Bien que cela s’avère coûteux, il est toujours possible de remplacer une habitation ; ce n’est malheureusement pas le cas de notre planète.
Le changement climatique, tel que nous le connaissons depuis plusieurs années, s’apparente à véritable fissure dans nos fondations. Le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) étudie ce phénomène depuis 1988. Il y a 22 ans, les Nations Unies dévoilaient leur Convention-Cadre sur les changements climatiques (CCNUCC) ; aujourd’hui, quelque 195 pays ont consenti à prévenir la redoutable menace du réchauffement climatique, en s’efforçant de limiter l’augmentation de la température globale à 2°C.
Nous continuons pourtant d’arpenter un chemin périlleux. Selon les calculs du GIEC, nous nous orientons davantage en direction d’augmentations de température de l’ordre de 3,7°C à 4,8°C d’ici la fin du siècle. La fissure ne cesse de se propager, et certaines populations de la planète – notamment les plus vulnérables – commencent d’ores et déjà à voir l’eau s’y infiltrer. Quels sont les responsables d’une telle dégradation, et qui doit payer de sa poche le réchauffement climatique ?
Ces questions ont toujours dominé les discussions et les débats internationaux autour du changement climatique. L’établissement d’une distinction entre la responsabilité causale et la responsabilité réparatrice constitue un aspect essentiel, le texte phare de la CCNUCC reconnaissant des responsabilités à la fois communes et différenciées, en prenant en considération les capacités respectives des États. Comme l’a récemment fait valoir le sociologue Claus Offe, désignation du coupable des dégâts et détermination de l’acteur susceptible d’endosser la responsabilité de résolution du problème sont deux choses différentes.
L’éternelle recherche d’une véritable identification de responsabilité (à la fois causale et réparatrice) ne se limite pas au domaine du changement climatique. Au sein d’une planète mondialisée, les citoyens des États-nations peuvent par exemple être amenés à se demander (et beaucoup se sont interrogés sur la question) pourquoi une crise financière survenue aux antipodes parvient à faire s’effondrer brutalement le système bancaire de leur pays.
Au sein de l’Europe, qui vit les États se rapprocher à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cédant une part précieuse de souveraineté individuelle afin de bâtir une structure d’ensemble plus solide, les oppositions autour de la monnaie unique suscitent la crainte dans l’esprit des citoyens – une peur que l’on retrouve dans les urnes. En passant d’un régime de gouvernements à un régime de gouvernance, nous avons bâti une nouvelle matrice d’acteurs – privés et publics, locaux, nationaux et supranationaux – afin de résoudre un certain nombre de problématiques sociale et économiques. Or, au sein de cet univers institutionnel complexe, sans cesse en mutation, nous ne savons plus vraiment qui est aux commandes.
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C’est le plus souvent dans le cadre de difficultés mondialement partagées, telles que le changement climatique, que surgit cette problématique. En termes simples, il est nécessaire de réformer l’ordre international, et de l’adapter à l’ascension économique d’États tels que l’Inde et la Chine. L’accord récemment conclu par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) autour de l’instauration d’une Nouvelle banque de développement, ainsi que d’un fonds de réserves d’urgence, illustre clairement cette soif de changement.
Une telle refonte structurelle globale de l’architecture institutionnelle de l’économie mondiale apparaît toutefois improbable pour l’heure, quel que soit le contexte. Dans l’attente, notre capacité de créativité jouera un rôle clé. Les meilleures solutions sont celles qui consistent à bâtir sur la base des points forts actuels de la structure.
À cet égard, les approches de gouvernance descendantes se sont souvent révélées utiles, démontrant la volonté de certains des émetteurs historiques de gaz à effet de serre d’accepter une responsabilité réparatrice. L’Union européenne a par exemple affirmé son attachement au Protocole de Kyoto de la CCNUCC, unique traité international sur le changement climatique fixant à ce jour des contraintes d’objectifs en direction de la réduction des émissions. Les récents sommets de la CCNUCC ont cependant laissé apparaître les limites de cette approche.
L’une des priorités premières de la CCNUCC consiste à garantir un financement en appui des démarches d’adaptation et efforts de réduction d’émissions entrepris par les pays en voie de développement, afin d’espérer mobiliser la capacité et l’implication des émetteurs historiques en direction de nouvelles innovations. Tout autour du monde, les scientifiques travaillent à l’élaboration de solutions. Seule la science pourra en effet nous permettre d’avancer efficacement, de la même manière qu’elle nous a permis d’élever les conditions de vie de la plupart des régions du monde bien au-dessus des niveaux de subsistance. En cette période critique, à l’heure où ces mêmes combustibles fossiles qui nous ont apporté la prospérité pourraient désormais nous conduire à la catastrophe, il est nécessaire que l’innovation technologique intervienne à nouveau pour nous réorienter vers un avenir viable.
En matière de changement climatique, seules la créativité, l’innovation, la responsabilité et la volonté politique pourront nous permettre de sauver les murs. Il nous faut garder les yeux ouverts, admettre l’existence d’une fissure dans nos fondations, et endosser la responsabilité de sa réparation. Au premier trimestre 2015, les États annonceront leurs contributions respectives à cet effort, consolidant la confiance et accélérant ainsi l’avancée sur le chemin de Paris. En attendant, il est indispensable que nous guettions les innovations potentielles, et que nous investissions en recherche et développement partout où réside ce potentiel.
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At the end of a year of domestic and international upheaval, Project Syndicate commentators share their favorite books from the past 12 months. Covering a wide array of genres and disciplines, this year’s picks provide fresh perspectives on the defining challenges of our time and how to confront them.
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MADRID – Lorsqu’une fissure se dessine sur les murs d’une maison, elle peut rapidement s’étendre si l’on ne la répare pas, et en fin de compte déstabiliser l’ensemble de la structure jusqu’à la rendre inhabitable. Ses occupants se retrouvent alors contraints de se trouver un nouveau foyer. Les populations de notre planète n’ont cependant pas cette chance. Bien que cela s’avère coûteux, il est toujours possible de remplacer une habitation ; ce n’est malheureusement pas le cas de notre planète.
Le changement climatique, tel que nous le connaissons depuis plusieurs années, s’apparente à véritable fissure dans nos fondations. Le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) étudie ce phénomène depuis 1988. Il y a 22 ans, les Nations Unies dévoilaient leur Convention-Cadre sur les changements climatiques (CCNUCC) ; aujourd’hui, quelque 195 pays ont consenti à prévenir la redoutable menace du réchauffement climatique, en s’efforçant de limiter l’augmentation de la température globale à 2°C.
Nous continuons pourtant d’arpenter un chemin périlleux. Selon les calculs du GIEC, nous nous orientons davantage en direction d’augmentations de température de l’ordre de 3,7°C à 4,8°C d’ici la fin du siècle. La fissure ne cesse de se propager, et certaines populations de la planète – notamment les plus vulnérables – commencent d’ores et déjà à voir l’eau s’y infiltrer. Quels sont les responsables d’une telle dégradation, et qui doit payer de sa poche le réchauffement climatique ?
Ces questions ont toujours dominé les discussions et les débats internationaux autour du changement climatique. L’établissement d’une distinction entre la responsabilité causale et la responsabilité réparatrice constitue un aspect essentiel, le texte phare de la CCNUCC reconnaissant des responsabilités à la fois communes et différenciées, en prenant en considération les capacités respectives des États. Comme l’a récemment fait valoir le sociologue Claus Offe, désignation du coupable des dégâts et détermination de l’acteur susceptible d’endosser la responsabilité de résolution du problème sont deux choses différentes.
L’éternelle recherche d’une véritable identification de responsabilité (à la fois causale et réparatrice) ne se limite pas au domaine du changement climatique. Au sein d’une planète mondialisée, les citoyens des États-nations peuvent par exemple être amenés à se demander (et beaucoup se sont interrogés sur la question) pourquoi une crise financière survenue aux antipodes parvient à faire s’effondrer brutalement le système bancaire de leur pays.
Au sein de l’Europe, qui vit les États se rapprocher à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cédant une part précieuse de souveraineté individuelle afin de bâtir une structure d’ensemble plus solide, les oppositions autour de la monnaie unique suscitent la crainte dans l’esprit des citoyens – une peur que l’on retrouve dans les urnes. En passant d’un régime de gouvernements à un régime de gouvernance, nous avons bâti une nouvelle matrice d’acteurs – privés et publics, locaux, nationaux et supranationaux – afin de résoudre un certain nombre de problématiques sociale et économiques. Or, au sein de cet univers institutionnel complexe, sans cesse en mutation, nous ne savons plus vraiment qui est aux commandes.
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C’est le plus souvent dans le cadre de difficultés mondialement partagées, telles que le changement climatique, que surgit cette problématique. En termes simples, il est nécessaire de réformer l’ordre international, et de l’adapter à l’ascension économique d’États tels que l’Inde et la Chine. L’accord récemment conclu par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) autour de l’instauration d’une Nouvelle banque de développement, ainsi que d’un fonds de réserves d’urgence, illustre clairement cette soif de changement.
Une telle refonte structurelle globale de l’architecture institutionnelle de l’économie mondiale apparaît toutefois improbable pour l’heure, quel que soit le contexte. Dans l’attente, notre capacité de créativité jouera un rôle clé. Les meilleures solutions sont celles qui consistent à bâtir sur la base des points forts actuels de la structure.
À cet égard, les approches de gouvernance descendantes se sont souvent révélées utiles, démontrant la volonté de certains des émetteurs historiques de gaz à effet de serre d’accepter une responsabilité réparatrice. L’Union européenne a par exemple affirmé son attachement au Protocole de Kyoto de la CCNUCC, unique traité international sur le changement climatique fixant à ce jour des contraintes d’objectifs en direction de la réduction des émissions. Les récents sommets de la CCNUCC ont cependant laissé apparaître les limites de cette approche.
Ainsi, à l’approche du sommet de la CCNUCC de Paris 2015, précédé du sommet de haut niveau que réunira le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon à New York au mois de septembre, il conviendrait de réfléchir à l’élaboration d’initiatives innovantes selon une démarche ascendante. La Chine a par exemple amorcé sept projets pilotes d’échange de droits d’émission, qui concernent un quart de milliards d’individus – soit le deuxième plus important effort mondial (après l’UE). En Ouganda, la municipalité de Kampala réfléchit à une solution d’éclairage de ses rues à l’énergie solaire. De nombreux petits États insulaires, parmi lesquels les Tuvalu, montrent également l’exemple en visant l’objectif zéro carbone dans un avenir proche.
L’une des priorités premières de la CCNUCC consiste à garantir un financement en appui des démarches d’adaptation et efforts de réduction d’émissions entrepris par les pays en voie de développement, afin d’espérer mobiliser la capacité et l’implication des émetteurs historiques en direction de nouvelles innovations. Tout autour du monde, les scientifiques travaillent à l’élaboration de solutions. Seule la science pourra en effet nous permettre d’avancer efficacement, de la même manière qu’elle nous a permis d’élever les conditions de vie de la plupart des régions du monde bien au-dessus des niveaux de subsistance. En cette période critique, à l’heure où ces mêmes combustibles fossiles qui nous ont apporté la prospérité pourraient désormais nous conduire à la catastrophe, il est nécessaire que l’innovation technologique intervienne à nouveau pour nous réorienter vers un avenir viable.
En matière de changement climatique, seules la créativité, l’innovation, la responsabilité et la volonté politique pourront nous permettre de sauver les murs. Il nous faut garder les yeux ouverts, admettre l’existence d’une fissure dans nos fondations, et endosser la responsabilité de sa réparation. Au premier trimestre 2015, les États annonceront leurs contributions respectives à cet effort, consolidant la confiance et accélérant ainsi l’avancée sur le chemin de Paris. En attendant, il est indispensable que nous guettions les innovations potentielles, et que nous investissions en recherche et développement partout où réside ce potentiel.
Traduit de l’anglais par Martin Morel