WASHINGTON – En 2015, la communauté internationale a redoublé d’efforts pour relever les défis posés à la planète, avec, notamment, deux grandes avancées des Nations Unies : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 [voté en septembre 2015] et la Conférence des parties de la Convention cadre sur le changement climatique de Paris (COP 21 [qui s’est tenue du 30 novembre au 11 décembre 2015]). Passé un premier mouvement d’enthousiasme, l’élan imprimé vers la réalisation des objectifs de développement durable et dans la lutte contre la dégradation du climat s’est pourtant essoufflé. Il semble que les mises en garde de plus en plus alarmées lancées par l’ONU ou par d’autres organismes concernant l’accélération des extinctions d’espèces, l’effondrement des écosystèmes et le réchauffement de la Terre suscitent de nombreuses réactions allergiques.
Il n’est plus temps de nous demander si le verre, eu égard aux progrès réalisés, est à moitié plein ou à moitié vide. Il n’y aura bientôt plus de verre du tout. Malgré l’attention portée par les médias aux initiatives civiles et politiques pour faire face aux crises qui s’annoncent, les tendances à long terme sont inquiétantes. Voici quelques mois, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rassemblé les preuves écrasantes des conséquences dévastatrices qu’aura sur des milliards d’humains dans le monde un réchauffement global supérieur à 1,5° C au-dessus des niveaux préindustriels.
Un récent rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques lance un autre coup de semonce. L’activité humaine, conclut ce rapport, met en danger d’extinction un million d’espèces – chiffre sans précédent. Les océans, qui fournissent à plus de quatre milliards d’humains nourriture et moyens de subsistance, sont menacés. Si nous ne prenons pas immédiatement des mesures pour renverser ces tendances, il sera probablement impossible de rattraper le retard que nous aurons pris.
Pendant des décennies, la plupart des grandes économies se sont appuyées sur une forme de capitalisme qui assurait des bénéfices considérables. Mais nous sommes aujourd’hui les témoins des conséquences de la célèbre formule de Milton Friedman, lauréat en son temps du Nobel d’économie : « La [seule] responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits. » Un modèle de gouvernance d’entreprise fondé sur la maximisation de la valeur actionnariale a longtemps dominé notre système économique, déterminant nos cadres comptables, nos régimes fiscaux et les programmes de nos écoles de commerce.
Mais nous atteignons un point où de grands penseurs de l’économie remettent en question les fondements mêmes du système dominant. The future of Capitalisme [non traduit] de Paul Collier, People, Power and Profits [à paraître en français] de Joseph E. Stiglitz et The Third Pillar [non traduit] de Raghuram G. Rajan examinent en détail le problème. Le système capitaliste actuel, déconnecté de la plupart des gens et sans attaches dans des territoires où il opère, n’est plus acceptable. Les systèmes ne peuvent fonctionner dans l’isolement. À la fin, la réalité s’impose : les tensions commerciales mondiales resurgissent, les nationalistes populistes arrivent au pouvoir et les catastrophes naturelles se multiplient et gagnent en intensité.
Pour le dire simplement, notre façon d’envisager le capitalisme a aggravé des problèmes sociaux et environnementaux auparavant solubles et semé de profondes divisions sociales. L’explosion des inégalités et l’intérêt exclusif donné aux résultats de court terme (c’est-à-dire aux gains trimestriels) ne sont que deux symptômes d’un système brisé.
Maintenir en état de fonctionnement une économie qui puisse soutenir les intérêts de toutes ses parties prenantes requiert que nous portions notre attention sur le long terme. D’une certaine façon, nous le faisons déjà. Mais nous devons rassembler les efforts entrepris en une campagne concertée qui engage des réformes systémiques au-delà du point critique. Ainsi seulement aurons-nous atteint une boucle de rétroaction récompensant des philosophies à long termes, des conceptions durables de la vie économique.
Le plus important est que nous ne succombions pas à la complaisance. Les tensions à court terme concernant le commerce et d’autres questions ne manqueront pas d’attirer l’attention de l’opinion et des gouvernements. Mais permettre aux premiers gros titres de nous distraire du souci de catastrophes environnementales et sociales serait manquer la forêt pour l’arbre.
Cela dit, l’élan qui conduira l’avènement d’un changement positif ne peut se fonder sur la peur. Les crises qui menacent sont aussi réelles que terrifiantes, mais les cris d’alarme semblent faire de moins en moins recette. Les gens s’immunisent contre la réalité. Le changement à long terme doit donc provenir d’un réajustement du marché et de nos structures de régulation. Si consommateurs, investisseurs et autres acteurs du marché doivent continuer de s’instruire et de se former, partant, de pousser au changement, nous devons aussi réexaminer rapidement et en profondeur les règles et les normes qui régissent aujourd’hui le capitalisme.
Les acteurs du marché qui ne changent pas de comportement doivent en assumer les coûts réels. Discours, commentaires et rapports annuels ne suffiront pas. L’économie de marché est une force puissante, qui nécessite une direction ; le compas est entre les mains des régulateurs et des acteurs du marché. Il est temps de passer aux choses sérieuses et de mettre en place les incitations et les sanctions financières qui présideront à une évolution systémique. Ce n’est qu’après les avoir instituées que nous pourrons débattre pour savoir si le verre est à moitié vide ou à moitié plein.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
WASHINGTON – En 2015, la communauté internationale a redoublé d’efforts pour relever les défis posés à la planète, avec, notamment, deux grandes avancées des Nations Unies : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 [voté en septembre 2015] et la Conférence des parties de la Convention cadre sur le changement climatique de Paris (COP 21 [qui s’est tenue du 30 novembre au 11 décembre 2015]). Passé un premier mouvement d’enthousiasme, l’élan imprimé vers la réalisation des objectifs de développement durable et dans la lutte contre la dégradation du climat s’est pourtant essoufflé. Il semble que les mises en garde de plus en plus alarmées lancées par l’ONU ou par d’autres organismes concernant l’accélération des extinctions d’espèces, l’effondrement des écosystèmes et le réchauffement de la Terre suscitent de nombreuses réactions allergiques.
Il n’est plus temps de nous demander si le verre, eu égard aux progrès réalisés, est à moitié plein ou à moitié vide. Il n’y aura bientôt plus de verre du tout. Malgré l’attention portée par les médias aux initiatives civiles et politiques pour faire face aux crises qui s’annoncent, les tendances à long terme sont inquiétantes. Voici quelques mois, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rassemblé les preuves écrasantes des conséquences dévastatrices qu’aura sur des milliards d’humains dans le monde un réchauffement global supérieur à 1,5° C au-dessus des niveaux préindustriels.
Un récent rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques lance un autre coup de semonce. L’activité humaine, conclut ce rapport, met en danger d’extinction un million d’espèces – chiffre sans précédent. Les océans, qui fournissent à plus de quatre milliards d’humains nourriture et moyens de subsistance, sont menacés. Si nous ne prenons pas immédiatement des mesures pour renverser ces tendances, il sera probablement impossible de rattraper le retard que nous aurons pris.
Pendant des décennies, la plupart des grandes économies se sont appuyées sur une forme de capitalisme qui assurait des bénéfices considérables. Mais nous sommes aujourd’hui les témoins des conséquences de la célèbre formule de Milton Friedman, lauréat en son temps du Nobel d’économie : « La [seule] responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits. » Un modèle de gouvernance d’entreprise fondé sur la maximisation de la valeur actionnariale a longtemps dominé notre système économique, déterminant nos cadres comptables, nos régimes fiscaux et les programmes de nos écoles de commerce.
Mais nous atteignons un point où de grands penseurs de l’économie remettent en question les fondements mêmes du système dominant. The future of Capitalisme [non traduit] de Paul Collier, People, Power and Profits [à paraître en français] de Joseph E. Stiglitz et The Third Pillar [non traduit] de Raghuram G. Rajan examinent en détail le problème. Le système capitaliste actuel, déconnecté de la plupart des gens et sans attaches dans des territoires où il opère, n’est plus acceptable. Les systèmes ne peuvent fonctionner dans l’isolement. À la fin, la réalité s’impose : les tensions commerciales mondiales resurgissent, les nationalistes populistes arrivent au pouvoir et les catastrophes naturelles se multiplient et gagnent en intensité.
Pour le dire simplement, notre façon d’envisager le capitalisme a aggravé des problèmes sociaux et environnementaux auparavant solubles et semé de profondes divisions sociales. L’explosion des inégalités et l’intérêt exclusif donné aux résultats de court terme (c’est-à-dire aux gains trimestriels) ne sont que deux symptômes d’un système brisé.
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Le plus important est que nous ne succombions pas à la complaisance. Les tensions à court terme concernant le commerce et d’autres questions ne manqueront pas d’attirer l’attention de l’opinion et des gouvernements. Mais permettre aux premiers gros titres de nous distraire du souci de catastrophes environnementales et sociales serait manquer la forêt pour l’arbre.
Cela dit, l’élan qui conduira l’avènement d’un changement positif ne peut se fonder sur la peur. Les crises qui menacent sont aussi réelles que terrifiantes, mais les cris d’alarme semblent faire de moins en moins recette. Les gens s’immunisent contre la réalité. Le changement à long terme doit donc provenir d’un réajustement du marché et de nos structures de régulation. Si consommateurs, investisseurs et autres acteurs du marché doivent continuer de s’instruire et de se former, partant, de pousser au changement, nous devons aussi réexaminer rapidement et en profondeur les règles et les normes qui régissent aujourd’hui le capitalisme.
Les acteurs du marché qui ne changent pas de comportement doivent en assumer les coûts réels. Discours, commentaires et rapports annuels ne suffiront pas. L’économie de marché est une force puissante, qui nécessite une direction ; le compas est entre les mains des régulateurs et des acteurs du marché. Il est temps de passer aux choses sérieuses et de mettre en place les incitations et les sanctions financières qui présideront à une évolution systémique. Ce n’est qu’après les avoir instituées que nous pourrons débattre pour savoir si le verre est à moitié vide ou à moitié plein.
Traduit de l’anglais par François Boisivon