NEW-YORK – L'année 2012 aura été aussi mauvaise que je l'avais imaginée. La récession en Europe a été la conséquence prévisible et prévue de sa politique d'austérité et d'une faille dans la conception même de l'euro, ce qui le vouait à l'échec. Aux USA la croissance a été à peine suffisante pour créer les emplois voulus pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. Cette reprise anémique a été elle aussi la conséquence prévisible et prévue d'un blocage politique qui a empêché l'adoption des mesures contre le chômage du président Obama et envoyé l'économie vers une "falaise budgétaire" (l'augmentation automatique des impôts et la réduction des dépenses au 1° janvier 2013).
Il y a eu cependant deux surprises en 2012 : le ralentissement dans les pays émergents un peu plus brutal et plus étendu que ce à quoi l'on s'attendait, et l'adoption par l'Europe de quelques réformes véritablement remarquables, mais encore très insuffisantes.
En 2013, les USA et l'Europe seront les lieux de tous les dangers. Par contre, la Chine dispose des instruments, des ressources, des incitations voulues et du savoir nécessaire pour éviter un atterrissage brutal de l'économie. Et contrairement à ce qui se passe dans les pays occidentaux, les idées destructrices telles que "l'austérité expansionniste" n'y font pas recette.
Les Chinois ont compris qu'ils doivent maintenant donner la priorité à la "qualité" de la croissance (rééquilibrer l'économie en diminuant la part des exportations et en augmentant la consommation intérieure), au lieu de se focaliser uniquement sur le volume de la production. Malgré la réorientation de l'économie chinoise et les difficultés de l'économie mondiale, une croissance de l'ordre de 7% devrait maintenir le cours des matières premières, ce qui bénéficiera aux pays exportateurs d'Afrique et d'Amérique latine. Une troisième période de relâchement monétaire de la part de la Réserve fédérale américaine aiderait aussi les exportateurs de matières premières, mais ne favoriserait guère la croissance intérieure aux USA.
Obama réélu, les USA vont sans doute se débrouiller tant bien que mal, comme ils le font depuis quatre ans. Des semblants de redémarrage du marché immobilier suffiront à dissuader de recourir à des mesures spectaculaires comme une diminution des dettes immobilières des propriétaires qui ont vu le prix de leur logement dégringoler en dessous des sommes qu'ils doivent rembourser. Mais comme les prix réels dans l'immobilier (ajustés en fonction de l'inflation) sont encore inférieurs de 40% à leur dernière valeur pic, une reprise forte du secteur de l'immobilier (et de celui de la construction qui lui est lié) semble improbable.
Même si les adversaires républicains d'Obama assouplissent leur position avant que le pays ne soit confronté à la "falaise fiscale" du 1° janvier 2013, ils veilleront à ce que l'austérité pas trop rigoureuse imposée aux classes moyennes continue. Le secteur public compte maintenant 600 000 emplois de moins qu'avant la crise, alors que si la croissance avait continué normalement il aurait bénéficié de 1,2 millions d'emplois supplémentaires. Autrement dit, le secteur public souffre d'un déficit de près de deux millions d'emplois.
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Mais c'est en Europe que réside le plus grand danger pour l'économie mondiale. L'Espagne et la Grèce sont en dépression, sans espoir de redressement à court terme. Le "pacte budgétaire" de la zone euro ne constitue pas une solution et l'achat de dettes souveraines par la Banque centrale européenne (BCE) est au mieux un palliatif temporaire. Si la BCE impose davantage d'austérité en échange d'un financement (comme elle semble le faire avec la Grèce et l'Espagne), le remède sera pire que le mal.
De la même manière, une supervision bancaire commune au niveau de l'Europe ne suffira pas à stopper l'hémorragie des capitaux dont souffrent les pays les plus en difficultés. Il y faudrait un projet de garantie commune des dépôts, ce dont les pays d'Europe du Nord ne veulent pas entendre parler de si tôt. Même si les dirigeants européens ont fait à de multiples reprises ce qui paraissait impensable auparavant, leur politique est à la traîne par rapport à l'évolution des marchés. Ils ont constamment sous-estimé les inconvénients des programmes d'austérité et surestimé les avantages des réformes institutionnelles.
L'opération de refinancement à long terme (ORLT) à hauteur de 1000 milliards d'euros de la BCE qui a prêté de l'argent aux banques commerciales pour qu'elles achètent des obligations souveraines a été aussi bizarre que son aide aux Etats pour qu'ils interviennent au secours des banques. Son impact a été fugace. Les dirigeants européens ont reconnu que la crise de la dette à la périphérie ne ferait que s'aggraver en l'absence de croissance et ils ont même (parfois) reconnu que l'austérité ne serait d'aucun secours face à cette crise. Néanmoins, ils n'ont pas adopté une politique de croissance efficace.
La dépression que les autorités européennes ont imposée à la Grèce et à l'Espagne a déjà des conséquences politiques. En Espagne des mouvements indépendantistes ont réapparu, notamment en Catalogne, tandis qu'en Grèce les néo-nazis ont le vent en poupe. L'euro, créé dans le but avoué de favoriser l'intégration d'une Europe démocratique, a précisément l'effet inverse. Cela montre que politique et économie sont inséparables. Il est possible que les marchés en eux-mêmes ne soient ni efficaces ni stables, mais la dérégulation a permis des excès sans précédents qui ont conduit à des bulles des actifs et à la crise prolongée qui a suivi leur éclatement.
Les réactions politiques face à la crise n'ont pas été adéquates. Les banques ont été sauvées, mais les problèmes sous-jacents se sont aggravés - ce qui n'est pas surprenant, puisque tant en Europe qu'en Amérique, la responsabilité de les résoudre a été confiée aux dirigeants politiques qui en sont à l'origine. En Europe, c'est la politique, pas l'économie, qui a conduit à la création de l'euro et c'est encore la politique qui est à l'origine d'une erreur fondamentale dans sa conception qui a suscité la formation de bulles, sans grand moyen pour traiter leurs conséquences.
Faire des prévisions pour 2013 consiste à prédire comment un gouvernement confronté à une opposition partisane aux USA et une Europe divisée vont réagir à leurs crises respectives. Les économistes ne savent plus trop où ils en sont avec leur boule de cristal, mais les experts es-politique sont encore davantage dans le brouillard. Néanmoins les USA vont probablement s'en tirer sans trop de dégâts une année supplémentaire, évitant la catastrophe budgétaire sans pour autant parvenir à un redressement durable. Mais des deux cotés de l'Atlantique, la polarisation va s'accentuer et les dirigeants vont poursuivre une politique qui conduit au bord du gouffre. Au risque de nous y précipiter…
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NEW-YORK – L'année 2012 aura été aussi mauvaise que je l'avais imaginée. La récession en Europe a été la conséquence prévisible et prévue de sa politique d'austérité et d'une faille dans la conception même de l'euro, ce qui le vouait à l'échec. Aux USA la croissance a été à peine suffisante pour créer les emplois voulus pour les nouveaux entrants sur le marché du travail. Cette reprise anémique a été elle aussi la conséquence prévisible et prévue d'un blocage politique qui a empêché l'adoption des mesures contre le chômage du président Obama et envoyé l'économie vers une "falaise budgétaire" (l'augmentation automatique des impôts et la réduction des dépenses au 1° janvier 2013).
Il y a eu cependant deux surprises en 2012 : le ralentissement dans les pays émergents un peu plus brutal et plus étendu que ce à quoi l'on s'attendait, et l'adoption par l'Europe de quelques réformes véritablement remarquables, mais encore très insuffisantes.
En 2013, les USA et l'Europe seront les lieux de tous les dangers. Par contre, la Chine dispose des instruments, des ressources, des incitations voulues et du savoir nécessaire pour éviter un atterrissage brutal de l'économie. Et contrairement à ce qui se passe dans les pays occidentaux, les idées destructrices telles que "l'austérité expansionniste" n'y font pas recette.
Les Chinois ont compris qu'ils doivent maintenant donner la priorité à la "qualité" de la croissance (rééquilibrer l'économie en diminuant la part des exportations et en augmentant la consommation intérieure), au lieu de se focaliser uniquement sur le volume de la production. Malgré la réorientation de l'économie chinoise et les difficultés de l'économie mondiale, une croissance de l'ordre de 7% devrait maintenir le cours des matières premières, ce qui bénéficiera aux pays exportateurs d'Afrique et d'Amérique latine. Une troisième période de relâchement monétaire de la part de la Réserve fédérale américaine aiderait aussi les exportateurs de matières premières, mais ne favoriserait guère la croissance intérieure aux USA.
Obama réélu, les USA vont sans doute se débrouiller tant bien que mal, comme ils le font depuis quatre ans. Des semblants de redémarrage du marché immobilier suffiront à dissuader de recourir à des mesures spectaculaires comme une diminution des dettes immobilières des propriétaires qui ont vu le prix de leur logement dégringoler en dessous des sommes qu'ils doivent rembourser. Mais comme les prix réels dans l'immobilier (ajustés en fonction de l'inflation) sont encore inférieurs de 40% à leur dernière valeur pic, une reprise forte du secteur de l'immobilier (et de celui de la construction qui lui est lié) semble improbable.
Même si les adversaires républicains d'Obama assouplissent leur position avant que le pays ne soit confronté à la "falaise fiscale" du 1° janvier 2013, ils veilleront à ce que l'austérité pas trop rigoureuse imposée aux classes moyennes continue. Le secteur public compte maintenant 600 000 emplois de moins qu'avant la crise, alors que si la croissance avait continué normalement il aurait bénéficié de 1,2 millions d'emplois supplémentaires. Autrement dit, le secteur public souffre d'un déficit de près de deux millions d'emplois.
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De la même manière, une supervision bancaire commune au niveau de l'Europe ne suffira pas à stopper l'hémorragie des capitaux dont souffrent les pays les plus en difficultés. Il y faudrait un projet de garantie commune des dépôts, ce dont les pays d'Europe du Nord ne veulent pas entendre parler de si tôt. Même si les dirigeants européens ont fait à de multiples reprises ce qui paraissait impensable auparavant, leur politique est à la traîne par rapport à l'évolution des marchés. Ils ont constamment sous-estimé les inconvénients des programmes d'austérité et surestimé les avantages des réformes institutionnelles.
L'opération de refinancement à long terme (ORLT) à hauteur de 1000 milliards d'euros de la BCE qui a prêté de l'argent aux banques commerciales pour qu'elles achètent des obligations souveraines a été aussi bizarre que son aide aux Etats pour qu'ils interviennent au secours des banques. Son impact a été fugace. Les dirigeants européens ont reconnu que la crise de la dette à la périphérie ne ferait que s'aggraver en l'absence de croissance et ils ont même (parfois) reconnu que l'austérité ne serait d'aucun secours face à cette crise. Néanmoins, ils n'ont pas adopté une politique de croissance efficace.
La dépression que les autorités européennes ont imposée à la Grèce et à l'Espagne a déjà des conséquences politiques. En Espagne des mouvements indépendantistes ont réapparu, notamment en Catalogne, tandis qu'en Grèce les néo-nazis ont le vent en poupe. L'euro, créé dans le but avoué de favoriser l'intégration d'une Europe démocratique, a précisément l'effet inverse. Cela montre que politique et économie sont inséparables. Il est possible que les marchés en eux-mêmes ne soient ni efficaces ni stables, mais la dérégulation a permis des excès sans précédents qui ont conduit à des bulles des actifs et à la crise prolongée qui a suivi leur éclatement.
Les réactions politiques face à la crise n'ont pas été adéquates. Les banques ont été sauvées, mais les problèmes sous-jacents se sont aggravés - ce qui n'est pas surprenant, puisque tant en Europe qu'en Amérique, la responsabilité de les résoudre a été confiée aux dirigeants politiques qui en sont à l'origine. En Europe, c'est la politique, pas l'économie, qui a conduit à la création de l'euro et c'est encore la politique qui est à l'origine d'une erreur fondamentale dans sa conception qui a suscité la formation de bulles, sans grand moyen pour traiter leurs conséquences.
Faire des prévisions pour 2013 consiste à prédire comment un gouvernement confronté à une opposition partisane aux USA et une Europe divisée vont réagir à leurs crises respectives. Les économistes ne savent plus trop où ils en sont avec leur boule de cristal, mais les experts es-politique sont encore davantage dans le brouillard. Néanmoins les USA vont probablement s'en tirer sans trop de dégâts une année supplémentaire, évitant la catastrophe budgétaire sans pour autant parvenir à un redressement durable. Mais des deux cotés de l'Atlantique, la polarisation va s'accentuer et les dirigeants vont poursuivre une politique qui conduit au bord du gouffre. Au risque de nous y précipiter…