WASHINGTON, DC – À quoi devrait ressembler une ville « verte » ? à Copenhague, avec son réseau de pistes cyclables et son système de recyclage ? À Curitiba, la capitale de l’État brésilien du Paraná, avec son centre urbain aménagé exclusivement pour les piétons ? Ou peut-être à Addis-Abeba, où toute l’énergie consommée est d’origine renouvelable ?
Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines – une proportion en augmentation rapide – et la réponse à cette question déterminera notre avenir collectif. Mais elle est peut-être plus simple que nous ne le croyons : il suffirait, pour rendre les villes plus « vertes » – c’est-à-dire moins polluées, moins gaspilleuses d’énergie, et plus respectueuses de l’environnement –, qu’elles soient au sens strict du mot, plus vertes.
Les débats sur le « verdissement » des villes ne remettent généralement pas en cause l’importance d’une infrastructure soutenable et d’un aménagement urbain intelligent. Ce qu’ils oublient souvent, en revanche, c’est que la nature constitue en elle-même l’infrastructure originelle du monde, et que les solutions qui s’en inspirent peuvent aider les villes à répondre aux principaux problèmes d’infrastructure qui se posent à elles, comme la pollution de l’air et de l’eau, la rareté de cette dernière et les chaleurs extrêmes, que le changement climatique rend aujourd’hui plus aigus.
Dans certains cas, les solutions inspirées par et s’appuyant sur la nature sont d’un coût au moins aussi efficace que les infrastructures construites avec des moyens conventionnels, notamment parce qu’elles peuvent résoudre plusieurs problèmes en même temps. Et comme le montrent les arbres plantés le long des rues, ces solutions ne sont pas compliquées. Des études ont prouvé que les arbres des rues peuvent contribuer à réduire la pollution de l’air – qui n’est rien moins, selon l’Organisation mondiale de la santé, que la principale menace pesant sur la santé humaine, en zone urbaine surtout – en filtrant les particules fines émises par les moteurs à combustion. Ils sont aussi très efficace dans la lutte contre l’« effet des îlots de chaleur urbains », qui peuvent provoquer en été des hausses dangereuses de température.
Certes, les avantages de la plantation d’arbres ne sont que locaux. Mais ils en sont d’autant plus déterminants dans le cadre d’interventions ciblées, pour l’installation par exemple d’un écran devant une route très fréquentée ou une zone industrielle, ou encore pour protéger des endroits vulnérables comme les écoles ou les jardins d’enfants.
En outre, planter des arbres dans des quartiers à bas revenus et mal financés, qui sont aussi ceux qui ne jouissent généralement pas de l’abri des frondaisons, peut contribuer à réduire les inégalités environnementales. C’est pour cette raison que l’organisation à laquelle j’appartiens, The Nature Conservancy, travaille en collaboration avec des bénévoles locaux et des chercheurs en santé publique à Louisville, dans le Kentucky, pour planter plus d’arbres dans les lieux où l’ombre offerte par les feuillages est insuffisante, et pour les premiers essais contrôlés sur les arbres considérés du point de vue médical.
Autre problème urbain d’importance, que la nature peut aider à résoudre : la gestion de l’eau. Les matériaux qui composent les villes modernes sont pour la plupart imperméables, et ne peuvent donc pas absorber les eaux de pluie. Ainsi, lors de tempêtes violentes, le ruissèlement excède les capacités des systèmes de drainage, de sorte que les polluants se déversent dans les rues et dans les écosystèmes locaux.
Des jardins de pluie – petites poches de végétation autochtone plantées dans des dépressions naturelles ou sur les sites locaux de plus faible altitude – peuvent résoudre ce problème en collectant et en filtrant les eaux de pluie, afin qu’elles puissent être réabsorbées par la terre, alimentant simultanément les nappes phréatiques et accroissant la biodiversité. Dans les « villes éponges » chinoises, comme Shenzhen, ces jardins de pluie, ainsi que des toits végétalisés et des zones humides artificielles, sont déjà utilisés pour faire face aux pluies des tempêtes tropicales, de même que des matériaux de pavement perméables, afin de permettre que l’eau soit filtrée par le substrat.
Au-delà même des limites urbaines, des interventions naturelles peuvent être utiles pour résoudre les problèmes de gestion de l’eau. À Nairobi, l’intensification de l’activité agricole dans le bassin du haut Tana a entraîné de telles accumulations de sédiments lourds que le débit du fleuve en aval, au niveau de la ville, s’est considérablement réduit. Les pénuries d’eau qui en résultent frappent particulièrement les résidents pauvres, souvent contraints d’acheter à des prix exorbitants des jerrycans d’eau. La production d’hydro-électricité a également chuté.
Aujourd’hui, Nairobi travaille avec ses voisins ruraux à mettre en place des solutions naturelles pour traiter à la source les questions de sécurité posées par l’alimentation en eau. Par l’intermédiaire du Nairobi-Upper-Tana- Water Fund, fonds publics et privés combinés aident les agriculteurs à mettre en œuvre des pratiques plus durables, comme le recours aux cultures de couverture, qui a non seulement pour conséquence un accroissement du débit des eaux au niveau de Nairobi, mais une augmentation des rendements agricoles.
Les solutions inspirées de la nature ne sont peut-être pas suffisantes pour résoudre tous les problèmes auxquels une ville donnée doit faire face. Les zones urbaines peuvent aussi avoir besoin d’infrastructures construites pour durer et bien conçues pour gérer l’eau et l’air, ainsi que de systèmes intégrés d’énergies propres et de solutions de transports publics contribuant à réduire la pollution et les émissions carbonées.
Mais les solutions s’appuyant sur la nature – lorsqu’elles sont suffisamment financées et mises en place de manière équitable – offrent des avantages que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Les technologies qui, dans le passé, ont permis aux villes de se développer, ont coûté très cher, de la pollution et des inondations à la destruction de la biodiversité. Alors que le changement climatique transforme notre planète, ces menaces croissent et se déplacent, relançant encore les défis qui nous attendent.
Nous ne pouvons résoudre les problèmes créés par le béton et les turbines avec plus de turbines et plus de béton. Il nous faut des solutions flexibles, capables de rendre nos villes plus résilientes, plus durables, et plus adaptables, sans pour autant ralentir les dynamiques et la prospérité urbaines dont nous dépendons. La nature peut elle-même offrir de telles solutions, et servir de catalyseur pour des quartiers en meilleure santé, plus énergiques, qui attireront les investissements et permettront aux villes, à tout point de vue, de mieux réussir.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
WASHINGTON, DC – À quoi devrait ressembler une ville « verte » ? à Copenhague, avec son réseau de pistes cyclables et son système de recyclage ? À Curitiba, la capitale de l’État brésilien du Paraná, avec son centre urbain aménagé exclusivement pour les piétons ? Ou peut-être à Addis-Abeba, où toute l’énergie consommée est d’origine renouvelable ?
Plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines – une proportion en augmentation rapide – et la réponse à cette question déterminera notre avenir collectif. Mais elle est peut-être plus simple que nous ne le croyons : il suffirait, pour rendre les villes plus « vertes » – c’est-à-dire moins polluées, moins gaspilleuses d’énergie, et plus respectueuses de l’environnement –, qu’elles soient au sens strict du mot, plus vertes.
Les débats sur le « verdissement » des villes ne remettent généralement pas en cause l’importance d’une infrastructure soutenable et d’un aménagement urbain intelligent. Ce qu’ils oublient souvent, en revanche, c’est que la nature constitue en elle-même l’infrastructure originelle du monde, et que les solutions qui s’en inspirent peuvent aider les villes à répondre aux principaux problèmes d’infrastructure qui se posent à elles, comme la pollution de l’air et de l’eau, la rareté de cette dernière et les chaleurs extrêmes, que le changement climatique rend aujourd’hui plus aigus.
Dans certains cas, les solutions inspirées par et s’appuyant sur la nature sont d’un coût au moins aussi efficace que les infrastructures construites avec des moyens conventionnels, notamment parce qu’elles peuvent résoudre plusieurs problèmes en même temps. Et comme le montrent les arbres plantés le long des rues, ces solutions ne sont pas compliquées. Des études ont prouvé que les arbres des rues peuvent contribuer à réduire la pollution de l’air – qui n’est rien moins, selon l’Organisation mondiale de la santé, que la principale menace pesant sur la santé humaine, en zone urbaine surtout – en filtrant les particules fines émises par les moteurs à combustion. Ils sont aussi très efficace dans la lutte contre l’« effet des îlots de chaleur urbains », qui peuvent provoquer en été des hausses dangereuses de température.
Certes, les avantages de la plantation d’arbres ne sont que locaux. Mais ils en sont d’autant plus déterminants dans le cadre d’interventions ciblées, pour l’installation par exemple d’un écran devant une route très fréquentée ou une zone industrielle, ou encore pour protéger des endroits vulnérables comme les écoles ou les jardins d’enfants.
En outre, planter des arbres dans des quartiers à bas revenus et mal financés, qui sont aussi ceux qui ne jouissent généralement pas de l’abri des frondaisons, peut contribuer à réduire les inégalités environnementales. C’est pour cette raison que l’organisation à laquelle j’appartiens, The Nature Conservancy, travaille en collaboration avec des bénévoles locaux et des chercheurs en santé publique à Louisville, dans le Kentucky, pour planter plus d’arbres dans les lieux où l’ombre offerte par les feuillages est insuffisante, et pour les premiers essais contrôlés sur les arbres considérés du point de vue médical.
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Autre problème urbain d’importance, que la nature peut aider à résoudre : la gestion de l’eau. Les matériaux qui composent les villes modernes sont pour la plupart imperméables, et ne peuvent donc pas absorber les eaux de pluie. Ainsi, lors de tempêtes violentes, le ruissèlement excède les capacités des systèmes de drainage, de sorte que les polluants se déversent dans les rues et dans les écosystèmes locaux.
Des jardins de pluie – petites poches de végétation autochtone plantées dans des dépressions naturelles ou sur les sites locaux de plus faible altitude – peuvent résoudre ce problème en collectant et en filtrant les eaux de pluie, afin qu’elles puissent être réabsorbées par la terre, alimentant simultanément les nappes phréatiques et accroissant la biodiversité. Dans les « villes éponges » chinoises, comme Shenzhen, ces jardins de pluie, ainsi que des toits végétalisés et des zones humides artificielles, sont déjà utilisés pour faire face aux pluies des tempêtes tropicales, de même que des matériaux de pavement perméables, afin de permettre que l’eau soit filtrée par le substrat.
Au-delà même des limites urbaines, des interventions naturelles peuvent être utiles pour résoudre les problèmes de gestion de l’eau. À Nairobi, l’intensification de l’activité agricole dans le bassin du haut Tana a entraîné de telles accumulations de sédiments lourds que le débit du fleuve en aval, au niveau de la ville, s’est considérablement réduit. Les pénuries d’eau qui en résultent frappent particulièrement les résidents pauvres, souvent contraints d’acheter à des prix exorbitants des jerrycans d’eau. La production d’hydro-électricité a également chuté.
Aujourd’hui, Nairobi travaille avec ses voisins ruraux à mettre en place des solutions naturelles pour traiter à la source les questions de sécurité posées par l’alimentation en eau. Par l’intermédiaire du Nairobi-Upper-Tana- Water Fund, fonds publics et privés combinés aident les agriculteurs à mettre en œuvre des pratiques plus durables, comme le recours aux cultures de couverture, qui a non seulement pour conséquence un accroissement du débit des eaux au niveau de Nairobi, mais une augmentation des rendements agricoles.
Les solutions inspirées de la nature ne sont peut-être pas suffisantes pour résoudre tous les problèmes auxquels une ville donnée doit faire face. Les zones urbaines peuvent aussi avoir besoin d’infrastructures construites pour durer et bien conçues pour gérer l’eau et l’air, ainsi que de systèmes intégrés d’énergies propres et de solutions de transports publics contribuant à réduire la pollution et les émissions carbonées.
Mais les solutions s’appuyant sur la nature – lorsqu’elles sont suffisamment financées et mises en place de manière équitable – offrent des avantages que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. Les technologies qui, dans le passé, ont permis aux villes de se développer, ont coûté très cher, de la pollution et des inondations à la destruction de la biodiversité. Alors que le changement climatique transforme notre planète, ces menaces croissent et se déplacent, relançant encore les défis qui nous attendent.
Nous ne pouvons résoudre les problèmes créés par le béton et les turbines avec plus de turbines et plus de béton. Il nous faut des solutions flexibles, capables de rendre nos villes plus résilientes, plus durables, et plus adaptables, sans pour autant ralentir les dynamiques et la prospérité urbaines dont nous dépendons. La nature peut elle-même offrir de telles solutions, et servir de catalyseur pour des quartiers en meilleure santé, plus énergiques, qui attireront les investissements et permettront aux villes, à tout point de vue, de mieux réussir.
Traduit de l’anglais par François Boisivon