brown82_HECTOR RETAMALAFP via Getty Images)_afghanistanchildpoverty Hector Retamal/AFP via Getty Images

Sauver l'Afghanistan

ÉDIMBOURG – Cela fait maintenant plus de quatre mois qu’a eu lieu le dramatique retrait des forces américaines et autres armées occidentales hors d’Afghanistan. En affrétant des vols spéciaux, en assouplissant les règles sur le droit d’asile, ainsi qu’en déployant des fonds, les pays occidentaux ont évacué vers un lieu sûr quelques milliers d’Afghans chanceux, pendant que les talibans reprenaient le contrôle du pays. Ceux qui n’ont pas pu partir se retrouvent malheureusement coupés du reste du monde – qu’ils soient ou non partisans des talibans.

Les gouvernements étrangers ont gelé les transactions bancaires et les échanges commerciaux internationaux avec l’Afghanistan, principalement à la demande des États-Unis, et imposé le large ensemble de mesures de lutte contre le terrorisme mis en place ces 20 dernières années. Résultat, les salaires dans le secteur public en Afghanistan s’assèchent, et l’économie s’effondre. Nombre de projets d’aide au développement, quel que soit leur degré d’importance, ont été stoppés voire annulés.

Le début du très rude hiver afghan entraîne ainsi une hausse des prix, et les produits alimentaires se font de plus en plus rares. Écoles, cliniques et hôpitaux de tout le pays ont cessé de fonctionner. Au moment même où la population afghane a le plus besoin d’aide, elle se retrouve privée des biens les plus essentiels. Tel est le tribut extrêmement lourd qu’implique aujourd’hui l’existence sous le règne taliban.

Les équipes humanitaires internationales et les communautés afghanes elles-mêmes font de leur mieux pour continuer de faire circuler l’aide alimentaire, pour que les hôpitaux fonctionnent, ainsi que pour maintenir les écoles ouvertes pour les jeunes filles et garçons. Les difficultés sont malheureusement considérables. Les Afghans risquent aujourd’hui de connaître la misère, voire la famine, à une échelle dramatique.

Si la situation ne change pas, c’est quasiment tout le pays qui risque de connaître une pauvreté extrême cette année. D’ici la fin de cet hiver, l’Afghanistan presque toute entière – 97 % de la population – pourrait se retrouver trop démunie pour survivre sans aide.

Les autres pays du monde, notamment les plus développés, ne sauraient se contenter de fermer les yeux pour oublier cette tragédie croissante. Car même en mettant de côté la morale la plus essentielle, l’instabilité liée à l’effondrement de l’Afghanistan entraînera des répercussions bien au-delà des frontières du pays. De nombreux Afghans pourraient abandonner tout espoir et chercher ailleurs un avenir meilleur, de même que la détresse financière des agriculteurs pourrait constituer une aubaine pour l’économie nationale de la drogue.

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C’est pourquoi il est incompréhensible que les Nations Unies et agences humanitaires internationales peinent autant à réunir les fonds nécessaires pour éloigner l’Afghanistan du bord du précipice. Les sanctions imposées au pouvoir taliban ont pour conséquence contreproductive d’impacter la capacité des agences d’aide à lever et déployer des fonds – bien que plusieurs signaux bienvenus en direction de la levée de ces restrictions perverses s’observent actuellement.

Il est évidemment nécessaire de défendre l’éducation des jeunes filles en Afghanistan. Pour autant, comme l’a récemment              fait valoir l’analyste afghane Orzala Nemat de la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres, il est inacceptable que soit entravée l’aide en faveur des services essentiels – nourriture, eau et soins de santé – qui permettent tout simplement à ces jeunes filles de vivre.

Que ce soit du point de vue afghan ou de celui des intérêts des dirigeants occidentaux, l’actuel effondrement de l’Afghanistan est un cauchemar. Plutôt que de plonger la tête dans le sable, la communauté internationale doit agir sans tarder. Trois mesures en particulier peuvent être prises, sans pour autant que les talibans ne s’en trouvent renforcés.

Premièrement, les fonds doivent pouvoir être mis à disposition. L’ONU entend lever 4,5 milliards $ au cours de l’année 2022 pour aider les plus vulnérables en Afghanistan. Ce plan ne constitue qu’un palliatif pour les plus de 21 millions d’Afghans qui ont besoin de s’alimenter, de s’abriter, de se soigner et de vivre en sécurité. La communauté internationale peut tout à fait réunir une telle somme. Une conférence des donateurs se tiendra en ce début d’année pour contribuer à concentrer les esprits sur cette problématique.

Par ailleurs, le Conseil de sécurité des Nations Unies a récemment adopté une résolution consistant à exempter les activités humanitaires du régime de sanction imposé à certains dirigeants talibans. Cette mesure confère aux institutions financières et acteurs commerciaux l’assurance légale qu’ils n’enfreindront aucune sanction existante en s’engageant auprès d’organisations humanitaires. Gouvernements et institutions financières doivent tout faire pour exploiter cette récente opportunité ; il ne peut plus y avoir aucune excuse.

Deuxièmement, une plus grande flexibilité est nécessaire dans la manière dont les fonds versés par les donateurs peuvent être utilisés. À titre d’illustration, la Banque mondiale détient en fiducie 1,5 milliard $ pour l’Afghanistan, et a récemment annoncé un accord pour le transfert de 280 millions $ – dont une partie en faveur du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) à des fins de santé, et une autre pour le Programme alimentaire mondial. L’ensemble du fonds doit désormais être reprogrammé pour venir en aide à la population afghane cet hiver.

Il est également nécessaire que les fonds des donateurs puissent être utilisés pour payer les salaires des travailleurs du secteur public, ainsi que pour aider les institutions afghanes à assurer les services de bases tels que la santé et l’éducation, ici encore sans que les talibans ne soient considérés comme gagnants. Ce soutien aux fonctions étatiques essentielles redonnera aux Afghans de l’espoir quant à leur avenir, et une raison de ne pas quitter leur pays. Vider l’État de tout substance ne peut au contraire qu’annoncer souffrances et instabilité.

Troisièmement, la communauté internationale doit se montrer plus intelligente dans son approche de l’Afghanistan. Actuellement, le monde attend que les talibans progressent sur différentes normes internationales, sans clairement définir ce qu’il attend du régime. De leur côté, les talibans ne montrent ni volonté particulière de répondre à ces attentes, ni d’ailleurs quelque intention claire.

Cette approche est quasiment vouée à l’échec. La communauté internationale doit se montrer autrement plus décisive et spécifique dans ses demandes, et beaucoup plus engagée. Cela pourrait passer par un assouplissement voire une levée des sanctions économiques, ou par une réintroduction progressive de l’aide au développement à plus long terme, en réponse aux progrès observés sur plusieurs questions qui préoccupent le monde – dont les droits des femmes et jeunes filles.

Ces mesures ne doivent pas être considérées comme de simples actes de générosité face à de terribles souffrances. Le monde a besoin d’apporter aux Afghans l’aide nécessaire, car les conséquences désastreuses d’un manquement à cet égard seraient synonyme de futures difficultés pour tous.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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