Depuis que l’humanité a inventorié et cartographié la planète, les pôles exercent parmi les hommes une fascination poétique et scientifique. Mais en fait, hors quelques baleiniers et quelques explorateurs, personne n’y allait voir de plus près, et l’immobilité sereine des décors arctique et antarctique s’accommodait fort bien de l’indifférence de l’humanité.
Mais la perspective du réchauffement climatique et plus généralement celle de la protection générale de notre niche écologique font que tout change.
Déjà, dans un rare sursaut d’intelligence politique collective, et pour prévenir tout risque de conflit international pour l’appropriation de territoires, un consensus international avait permis en 1959 que soit signé à Washington un traité sur l’Antarctique. Ce traité vouait l’Antarctique à des fins exclusivement pacifiques et visait à interdire qu’elle ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux. Il enregistrait les revendications territoriales proclamées, les déclarait « gelées » et en interdisait la manifestation sur le terrain. Ce traité comporte 27 nations actives, déclarées « consultatives », et 19 autres signataires. Il est de nature et de contenu purement diplomatique. C’est assez vite après sa signature que se manifestent des soucis écologiques. Ainsi sont ajoutés au traité, en 1972 une Convention sur la protection des phoques, en 1980 une Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, et surtout en 1991 un protocole signé à Madrid, relatif à la protection de l’environnement en Antarctique. J’ai eu l’honneur, en compagnie du Premier Ministre d’Australie de l’époque, Monsieur Robert Hawke, d’être l’initiateur de cette dernière négociation. Ce texte fait de l’Antarctique une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science pour cinquante ans renouvelables par tacite reconduction. C’est un très beau succès, qui fut loin d’être facile. Il a fallu rejeter une convention négociée et déjà signée sur l’exploitation des ressources minérales, et prendre le risque de rouvrir des négociations bien incertaines. C’était un peu un coup de bluff mais il a réussi.
L’environnement antarctique est aujourd’hui jalousement et efficacement protégé par la Communauté Internationale, qui est de fait la propriétaire de ce territoire nationalement indifférencié. C’est le seul cas au monde. Et c’est au point que les juristes qui préparent actuellement un statut juridique de l’espace (qui sera propriétaire de la lune, quel sera le statut des matériaux qu’éventuellement on en extraira un jour ?) se sont informés sur le « système du traité de l’Antarctique » pour y trouver des références ou des précédents.
Mais il faut reconnaître qu’au milieu de bien des difficultés l’Antarctique offrait au moins une grande facilité : il n’y avait que des manchots, mais aucun électeur, et notamment pas d’électeurs de nations différentes.
Il n’en allait pas de même en Arctique. Si l’Antarctique est un immense archipel continental de 24 millions de Km² recouvert de 4 à 5 Km d’épaisseur de glace, et fort éloigné de tout continent habité, l’Arctique n’est que de l’eau. C’est un océan très refermé, enserré entre l’extrême nord européen, la Sibérie l’Alaska, les îles canadiennes et le Groenland. Le pôle nord est à 4200 mètres sous l’eau. Il n’y a que cinq nations vraiment riveraines : la Norvège, la Russie, les Etats-Unis par l’Alaska, le Canada et le Danemark par le Groenland mais ce dernier va finir de conquérir son indépendance dans les quelques années qui viennent. Pendant toute l’histoire humaine connue la glace a pratiquement interdit toute navigation. Et l’Arctique dormait dans un silence indifférent.
Depuis trois ans, tout a radicalement changé. Le Groupe international d’études sur le climat – le GIEC créé par les Nations Unies – a établi que le réchauffement climatique n’est pas homogène sur la planète et que s’il a provoqué en moyenne au XXème siècle un réchauffement planétaire de 0,6 degré Celsius, dans la zone Arctique c’est 2 degrés.
On évalue d’autre part à près de 20% du total mondial les réserves pétrolières repérées sous l’Arctique. L’année 2008 est la première de l’histoire où les deux chenaux de navigation contournant la banquise polaire par l’Est le long de la Sibérie, et par l’Ouest le long des îles canadiennes, on été ouverts à la navigation un même temps plusieurs mois, permettant ainsi de passer d’Europe au Japon ou en Californie par le détroit de Béring plutôt que par le canal de Panama ou par le sud de l’Afrique, économisant ainsi 4 ou 5000 kilomètres. On est fondé à penser, vu le réchauffement, que ce sera maintenant le cas tous les cas. Cela veut dire des milliers de navires, du dégazage, des marées noires, des pollutions de toutes sortes. Tout cela menace gravement la vie des populations esquimaux et Inuits, en même temps d’ailleurs que celle des ours blancs.
Pour couronner le tout, la Convention internationale sur le droit de la mer (Montago Bay 1982) prévoit que tout état exerce sa souveraineté absolue sur les 12 milles marins (20Km environ) de mer bordant ses côtes, et une souveraineté limitée par quelques conventions, mais tout de même directe et presque absolue sur les 200 milles marins (360 km) qui borde ses côtes. Elle prévoit en outre que toute nation qui peut prouver qu’au-delà de ces 200 milles les fonds marins sont le prolongement indiscutable du plateau continental des 200 milles sur lequel elle exerce sa souveraineté peut demander d’ obtenir l’élargissement des limites de cette souveraineté. La Russie qui a réussi il y a trois ans à déposer par sous marin, exactement au Pôle nord, un exemplaire en platine de son drapeau national, revendique ainsi l’élargissement de sa souveraineté sur 37% de la surface de l’Océan Arctique, en deux zones dont la plus grande inclus le Pôle nord et la plus petite une immense réserve pétrolière…
Si l’on exploite ce pétrole les risques de pollution son là infiniment plus grands que n’importe où ailleurs. Et la Russie en plein réarmement n’aurait-elle pas l’intention d’installer des bases de lancement de missiles sous l’océan ?
On le voit, il y a urgence à négocier un traité assurant la paix et la protection environnementale de la zone arctique. Ce sera surement très difficile, mais c’est aujourd’hui une grande cause de l’humanité.
Depuis que l’humanité a inventorié et cartographié la planète, les pôles exercent parmi les hommes une fascination poétique et scientifique. Mais en fait, hors quelques baleiniers et quelques explorateurs, personne n’y allait voir de plus près, et l’immobilité sereine des décors arctique et antarctique s’accommodait fort bien de l’indifférence de l’humanité.
Mais la perspective du réchauffement climatique et plus généralement celle de la protection générale de notre niche écologique font que tout change.
Déjà, dans un rare sursaut d’intelligence politique collective, et pour prévenir tout risque de conflit international pour l’appropriation de territoires, un consensus international avait permis en 1959 que soit signé à Washington un traité sur l’Antarctique. Ce traité vouait l’Antarctique à des fins exclusivement pacifiques et visait à interdire qu’elle ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux. Il enregistrait les revendications territoriales proclamées, les déclarait « gelées » et en interdisait la manifestation sur le terrain. Ce traité comporte 27 nations actives, déclarées « consultatives », et 19 autres signataires. Il est de nature et de contenu purement diplomatique. C’est assez vite après sa signature que se manifestent des soucis écologiques. Ainsi sont ajoutés au traité, en 1972 une Convention sur la protection des phoques, en 1980 une Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, et surtout en 1991 un protocole signé à Madrid, relatif à la protection de l’environnement en Antarctique. J’ai eu l’honneur, en compagnie du Premier Ministre d’Australie de l’époque, Monsieur Robert Hawke, d’être l’initiateur de cette dernière négociation. Ce texte fait de l’Antarctique une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science pour cinquante ans renouvelables par tacite reconduction. C’est un très beau succès, qui fut loin d’être facile. Il a fallu rejeter une convention négociée et déjà signée sur l’exploitation des ressources minérales, et prendre le risque de rouvrir des négociations bien incertaines. C’était un peu un coup de bluff mais il a réussi.
L’environnement antarctique est aujourd’hui jalousement et efficacement protégé par la Communauté Internationale, qui est de fait la propriétaire de ce territoire nationalement indifférencié. C’est le seul cas au monde. Et c’est au point que les juristes qui préparent actuellement un statut juridique de l’espace (qui sera propriétaire de la lune, quel sera le statut des matériaux qu’éventuellement on en extraira un jour ?) se sont informés sur le « système du traité de l’Antarctique » pour y trouver des références ou des précédents.
Mais il faut reconnaître qu’au milieu de bien des difficultés l’Antarctique offrait au moins une grande facilité : il n’y avait que des manchots, mais aucun électeur, et notamment pas d’électeurs de nations différentes.
Il n’en allait pas de même en Arctique. Si l’Antarctique est un immense archipel continental de 24 millions de Km² recouvert de 4 à 5 Km d’épaisseur de glace, et fort éloigné de tout continent habité, l’Arctique n’est que de l’eau. C’est un océan très refermé, enserré entre l’extrême nord européen, la Sibérie l’Alaska, les îles canadiennes et le Groenland. Le pôle nord est à 4200 mètres sous l’eau. Il n’y a que cinq nations vraiment riveraines : la Norvège, la Russie, les Etats-Unis par l’Alaska, le Canada et le Danemark par le Groenland mais ce dernier va finir de conquérir son indépendance dans les quelques années qui viennent. Pendant toute l’histoire humaine connue la glace a pratiquement interdit toute navigation. Et l’Arctique dormait dans un silence indifférent.
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Depuis trois ans, tout a radicalement changé. Le Groupe international d’études sur le climat – le GIEC créé par les Nations Unies – a établi que le réchauffement climatique n’est pas homogène sur la planète et que s’il a provoqué en moyenne au XXème siècle un réchauffement planétaire de 0,6 degré Celsius, dans la zone Arctique c’est 2 degrés.
On évalue d’autre part à près de 20% du total mondial les réserves pétrolières repérées sous l’Arctique. L’année 2008 est la première de l’histoire où les deux chenaux de navigation contournant la banquise polaire par l’Est le long de la Sibérie, et par l’Ouest le long des îles canadiennes, on été ouverts à la navigation un même temps plusieurs mois, permettant ainsi de passer d’Europe au Japon ou en Californie par le détroit de Béring plutôt que par le canal de Panama ou par le sud de l’Afrique, économisant ainsi 4 ou 5000 kilomètres. On est fondé à penser, vu le réchauffement, que ce sera maintenant le cas tous les cas. Cela veut dire des milliers de navires, du dégazage, des marées noires, des pollutions de toutes sortes. Tout cela menace gravement la vie des populations esquimaux et Inuits, en même temps d’ailleurs que celle des ours blancs.
Pour couronner le tout, la Convention internationale sur le droit de la mer (Montago Bay 1982) prévoit que tout état exerce sa souveraineté absolue sur les 12 milles marins (20Km environ) de mer bordant ses côtes, et une souveraineté limitée par quelques conventions, mais tout de même directe et presque absolue sur les 200 milles marins (360 km) qui borde ses côtes. Elle prévoit en outre que toute nation qui peut prouver qu’au-delà de ces 200 milles les fonds marins sont le prolongement indiscutable du plateau continental des 200 milles sur lequel elle exerce sa souveraineté peut demander d’ obtenir l’élargissement des limites de cette souveraineté. La Russie qui a réussi il y a trois ans à déposer par sous marin, exactement au Pôle nord, un exemplaire en platine de son drapeau national, revendique ainsi l’élargissement de sa souveraineté sur 37% de la surface de l’Océan Arctique, en deux zones dont la plus grande inclus le Pôle nord et la plus petite une immense réserve pétrolière…
Si l’on exploite ce pétrole les risques de pollution son là infiniment plus grands que n’importe où ailleurs. Et la Russie en plein réarmement n’aurait-elle pas l’intention d’installer des bases de lancement de missiles sous l’océan ?
On le voit, il y a urgence à négocier un traité assurant la paix et la protection environnementale de la zone arctique. Ce sera surement très difficile, mais c’est aujourd’hui une grande cause de l’humanité.