ABERYSTWYTH – Les scientifiques estiment qu’il existe plus de 400.000 espèces de plantes sur Terre, dont la moitié au moins sont comestibles pour les êtres humains. En fait, il serait tout à fait possible que nous soyons capables de consommer 300.000 espèces végétales. Et pourtant, nous n’en consommons qu’une fraction. Homo Sapiens, la plus cosmopolite des espèces, qui prospère parce qu’elle est généraliste, ne mange que 200 espèces végétales environ. De manière étonnante, trois cultures seulement – le maïs, le riz et le blé – représentent plus de la moitié des calories et des protéines que nous dérivons des plantes.
Il n’existe curieusement que quelques rares tentatives d’expliquer pourquoi nous consommons si peu d’espèces parmi toutes celles qui sont consommables. Leur goût n’est pas la réponse. Ni leur valeur nutritionnelle. Les plantes que nous mangeons ont été améliorées par des générations de sélection au cours desquelles les agriculteurs ont favorisé les espèces ayant la meilleure palatabilité, la plus grande valeur nutritionnelle et le rendement le plus élevé. Même si l’on déteste le brocoli, il est probable qu’il a plus de goût que la plupart des 300.000 autres espèces comestibles. Les plantes sauvages ont le goût de plantes sauvages parce qu’elles sont restées des plantes sauvages. Mais pourquoi ?
Dans son livreDe l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, Jared Diamond, un géographe et l’auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique, explique que la raison de notre régime alimentaire limité tient aux plantes elles-mêmes. Il affirme qu’aux débuts de l’agriculture, nos ancêtres ont su identifier de manière remarquablement efficace les rares espèces pouvant être domestiquées – c’est-à-dire celles qui n’étaient pas toxiques.
La logique semble imparable et il est vrai que la grande majorité des 400.000 espèces végétales de la planète contiennent des défenses chimiques (des poisons) pour se protéger des herbivores. Mais malheureusement pour la théorie de Diamond, plusieurs de nos principales cultures sont également bourrées de toxines, à tel point que si elles étaient introduites aujourd’hui, elles seraient probablement considérées impropres à la consommation humaine.
Citons notamment la tomate, sa cousine la pomme de terre, et de nombreuses cultures de racines, comme le manioc, qui contient du cyanure, le taro, truffé d’oxalates, et l’igname, doté de défenses chimiques qui imitent les hormones féminines. En fait, de nombreuses plantes que nous cultivons et adorons consommer, comme les piments, la moutarde, le raifort et le wasabi, le sont précisément parce qu’elles sont riches en substances chimiques potentiellement nocives.
Ce qui distingue les cultures alimentaires des autres plantes n’a rien à voir avec le goût, la nutrition ou le fait qu’elles contiennent des poisons. Les plantes que nous mangeons sont atypiques en raison de leur vie sexuelle particulièrement fade.
De nombreux biologistes pensent qu’il existe autant d’espèces de plantes à fleurs parce que chacune d’entre elles a développé une dépendance à une espèce unique d’insecte qui a évolué parallèlement à la plante pour la polliniser. En d’autres termes, ce sont des plantes avec une vie sexuelle élaborée. Plus le mécanisme de pollinisation par un insecte est inhabituel, plus la différentiation génétique entre les plantes est importante, presque comme si elles avaient évolué sur des îles différentes.
C’est la raison pour laquelle il existe quelques 25.000 espèces d’orchidées. Ce sont les exhibitionnistes coquines du monde végétal. Nombre d’entre elles arborent des fleurs extrêmement complexes qui ont évolué de manière à faire croire aux abeilles ou aux guêpes mâles qu’elles pouvaient s’accoupler avec elles, assurant ainsi leur pollinisation régulière.
Ce processus explique pourquoi nous ne cultivons pas les orchidées pour notre alimentation. Séduire les abeilles et les guêpes est un mode de fonctionnement possible pour quelques fleurs, mais il n’est pas applicable à l’échelle de l’agriculture. Il n’y aurait pas assez de guêpes ou d’abeilles mâles pour polliniser toute une récolte et si tel était le cas, nulle doute qu’elles se lasseraient rapidement ou se rendraient compte de l’astuce. Et surtout, parce que les guêpes ne se trouvent pas partout, la culture des orchidées ne serait pas possible en dehors de leur aire de répartition d’origine.
Par contre, la plupart des cultures alimentaires peuvent être pollinisées par toutes sortes d’insectes. Elles peuvent être cultivées dans le monde entier, reposant sur la pollinisation des insectes disponibles. Les cultures les plus communes – le blé, le maïs et le riz – sont des herbes qui dépendent du vent pour leur pollinisation. D’autres, comme la pomme de terre et l’igname, se propagent de manière végétative et sont rarement multipliées au moyen de semences. D’autres plantes qui seraient naturellement pollinisées par des insectes, comme le colza, le deviennent par le vent lorsqu’elles sont cultivées à l’échelle industrielle.
Un régime alimentaire végétal plus aventureux est possible. Mais il devrait s’adapter à la vie sexuelle inventive des plantes que nous choisirions d’y inclure.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
ABERYSTWYTH – Les scientifiques estiment qu’il existe plus de 400.000 espèces de plantes sur Terre, dont la moitié au moins sont comestibles pour les êtres humains. En fait, il serait tout à fait possible que nous soyons capables de consommer 300.000 espèces végétales. Et pourtant, nous n’en consommons qu’une fraction. Homo Sapiens, la plus cosmopolite des espèces, qui prospère parce qu’elle est généraliste, ne mange que 200 espèces végétales environ. De manière étonnante, trois cultures seulement – le maïs, le riz et le blé – représentent plus de la moitié des calories et des protéines que nous dérivons des plantes.
Il n’existe curieusement que quelques rares tentatives d’expliquer pourquoi nous consommons si peu d’espèces parmi toutes celles qui sont consommables. Leur goût n’est pas la réponse. Ni leur valeur nutritionnelle. Les plantes que nous mangeons ont été améliorées par des générations de sélection au cours desquelles les agriculteurs ont favorisé les espèces ayant la meilleure palatabilité, la plus grande valeur nutritionnelle et le rendement le plus élevé. Même si l’on déteste le brocoli, il est probable qu’il a plus de goût que la plupart des 300.000 autres espèces comestibles. Les plantes sauvages ont le goût de plantes sauvages parce qu’elles sont restées des plantes sauvages. Mais pourquoi ?
Dans son livreDe l'inégalité parmi les sociétés - Essai sur l'homme et l'environnement dans l'histoire, Jared Diamond, un géographe et l’auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique, explique que la raison de notre régime alimentaire limité tient aux plantes elles-mêmes. Il affirme qu’aux débuts de l’agriculture, nos ancêtres ont su identifier de manière remarquablement efficace les rares espèces pouvant être domestiquées – c’est-à-dire celles qui n’étaient pas toxiques.
La logique semble imparable et il est vrai que la grande majorité des 400.000 espèces végétales de la planète contiennent des défenses chimiques (des poisons) pour se protéger des herbivores. Mais malheureusement pour la théorie de Diamond, plusieurs de nos principales cultures sont également bourrées de toxines, à tel point que si elles étaient introduites aujourd’hui, elles seraient probablement considérées impropres à la consommation humaine.
Citons notamment la tomate, sa cousine la pomme de terre, et de nombreuses cultures de racines, comme le manioc, qui contient du cyanure, le taro, truffé d’oxalates, et l’igname, doté de défenses chimiques qui imitent les hormones féminines. En fait, de nombreuses plantes que nous cultivons et adorons consommer, comme les piments, la moutarde, le raifort et le wasabi, le sont précisément parce qu’elles sont riches en substances chimiques potentiellement nocives.
Ce qui distingue les cultures alimentaires des autres plantes n’a rien à voir avec le goût, la nutrition ou le fait qu’elles contiennent des poisons. Les plantes que nous mangeons sont atypiques en raison de leur vie sexuelle particulièrement fade.
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De nombreux biologistes pensent qu’il existe autant d’espèces de plantes à fleurs parce que chacune d’entre elles a développé une dépendance à une espèce unique d’insecte qui a évolué parallèlement à la plante pour la polliniser. En d’autres termes, ce sont des plantes avec une vie sexuelle élaborée. Plus le mécanisme de pollinisation par un insecte est inhabituel, plus la différentiation génétique entre les plantes est importante, presque comme si elles avaient évolué sur des îles différentes.
C’est la raison pour laquelle il existe quelques 25.000 espèces d’orchidées. Ce sont les exhibitionnistes coquines du monde végétal. Nombre d’entre elles arborent des fleurs extrêmement complexes qui ont évolué de manière à faire croire aux abeilles ou aux guêpes mâles qu’elles pouvaient s’accoupler avec elles, assurant ainsi leur pollinisation régulière.
Ce processus explique pourquoi nous ne cultivons pas les orchidées pour notre alimentation. Séduire les abeilles et les guêpes est un mode de fonctionnement possible pour quelques fleurs, mais il n’est pas applicable à l’échelle de l’agriculture. Il n’y aurait pas assez de guêpes ou d’abeilles mâles pour polliniser toute une récolte et si tel était le cas, nulle doute qu’elles se lasseraient rapidement ou se rendraient compte de l’astuce. Et surtout, parce que les guêpes ne se trouvent pas partout, la culture des orchidées ne serait pas possible en dehors de leur aire de répartition d’origine.
Par contre, la plupart des cultures alimentaires peuvent être pollinisées par toutes sortes d’insectes. Elles peuvent être cultivées dans le monde entier, reposant sur la pollinisation des insectes disponibles. Les cultures les plus communes – le blé, le maïs et le riz – sont des herbes qui dépendent du vent pour leur pollinisation. D’autres, comme la pomme de terre et l’igname, se propagent de manière végétative et sont rarement multipliées au moyen de semences. D’autres plantes qui seraient naturellement pollinisées par des insectes, comme le colza, le deviennent par le vent lorsqu’elles sont cultivées à l’échelle industrielle.
Un régime alimentaire végétal plus aventureux est possible. Mais il devrait s’adapter à la vie sexuelle inventive des plantes que nous choisirions d’y inclure.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin