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L'Europe a besoin d'un important débat sur l'énergie nucléaire

BRUXELLES – Le mois dernier, Akademik Lomonosov, la première centrale nucléaire flottante, a accosté dans la ville reculée de Pevek dans la région de l'Arctique sibérien. L'entreprise publique russe d'énergie nucléaire Rosatom envisage cette entreprise comme un projet pilote et espère pouvoir déployer une flotte de ces unités en Russie et ailleurs - notamment dans les pays en développement d'Asie et d'Afrique qui ont un besoin urgent d'électricité à prix abordable.

Le Lomonosov poursuit une longue tradition de brise-glaces à propulsion nucléaire dans l'océan Arctique. Mais comme je l'explique dans mon livre sur la géopolitique de l'énergie, c'est aussi un exemple de la façon dont de petits réacteurs modulaires (PRM) peuvent être déployés plus facilement, de manière plus flexible et à moindre coût par rapport aux installations nucléaires traditionnelles.

Les PRM promettent une production d'énergie propre non seulement dans les régions reculées, mais également dans les pays qui ne sont pas équipés pour construire des centrales nucléaires à terre. Les technologies PRM flottantes pourraient être également utilisées dans la navigation commerciale dans l'Arctique en proie au dégel : les conteneurs propulsés à énergie nucléaire seraient beaucoup plus propres que ceux au mazout lourd, qui produisent des émissions de soufre et de métaux lourds. En outre, suite à l'activité économique croissante dans l'ensemble de l'Arctique, il est de plus en plus important pour les régions éloignées comme Pevek d'avoir des sources d'énergie à faible émission en carbone.

Le Lomonosov sera certes bientôt la plus petite et la plus septentrionale installation nucléaire une fois activée, mais elle risque toutefois de ne pas tarder à avoir de la concurrence. Des chercheurs aux États-Unis, en Corée du Sud, en Russie, en France, en Chine, en Argentine, au Japon et en Inde travaillent actuellement sur près de 50 différents modèles de PRM. En outre, les changements rapides dans l'Arctique et l'effort mondial visant à remplacer les combustibles fossiles par des sources énergétiques à faible émission de carbone ont conduit les chercheurs chinois, français et américains à se joindre à leurs homologues russes afin d'estimer les chances de succès de l'énergie nucléaire en mer.

Malheureusement les médias occidentaux n'ont pas su reconnaître l'importance du Lomonosov. Au lieu de cela, le langage incendiaire et trompeur de Greenpeace et d'autres groupes environnementaux a conduit à des articles sans grande portée sur le lancement d'un « Titanic nucléaire » ou encore d'un « Tchernobyl sur la glace ».

Greenpeace, qui s'oppose depuis toujours à l'énergie nucléaire en raison de ses risques supposés pour l'environnement et les humains, a souligné l'emplacement reculé du Lomonosov et le climat imprévisible de l'Arctique. Comme dans beaucoup d'autres projets nucléaires au cours des dernières décennies, le groupe a encore réussi à biaiser les termes du débat. Mais ceux dotés d'une réelle expertise en matière nucléaire ont clairement fait savoir que les tactiques alarmistes de Greenpeace n'ontaucun fondement scientifique. »

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Des experts de ce secteur d'activité ont souligné à plusieurs reprises, que les réacteurs nucléaires maritimes n'ont rien de nouveau. Les États-Unisont utiliséun cargo de la  Seconde Guerre mondiale équipé d'un réacteur nucléaire pour produire de l'énergie pour le canal de Panama de 1968 à 1976 et la flotte russe de brise-glaces à propulsion nucléaireutilise le même type de réacteur que le Lomonosov. Ces réacteurs satisfont déjà aux exigences de l'Agence internationale de l'énergie atomique, avec notamment des mesures de systèmes de confinement à double paroi et des systèmes de refroidissement à caisson de réacteur passif. En fait, l'exploitation des réacteurs nucléaires offshore pourrait même être plus sûre que celles à terre, parce que l'eau froide facilite le refroidissement rapide de l'unité en cas d'urgence.

Malheureusement la primauté du sentiment anti-nucléaire sur les faits empiriques a été une caractéristique constante du débat européen sur l'énergie nucléaire depuis les années 1980. En 1997, par exemple, la France a abandonné sa propre recherche avancée sur le projet de « surgénérateur » Superphénix parce que le nouveau Premier ministre Lionel Jospin a eu besoin du soutien du Parti Vert pour former un gouvernement.

Deux décennies plus tard, la France n'a pas encore réussi à développer la technologie. Le mois dernier, le Commissariat à l'Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA) du pays a décidé d'abandonner la technologie du réacteur de quatrième génération de démonstration industrielle (ASTRID), lancé en 2006 pour remplacer Superphénix.

En succombant à la pression anti-nucléaire de groupes comme Greenpeace, les décideurs occidentaux n'ont pas réussi à suivre le rythme de la Russie et de la Chine. Rosatom en Russie, par exemple, est déjà un leader mondial dans la commercialisation de l'énergie nucléaire pour les pays émergents et a plus d'une centaine de projets dans des pays comme l'Inde, la Chine et la Biélorussie.

La rhétorique alarmiste autour de la technologie nucléaire émergente actuelle n'a malheureusement rien d'inhabituel. Elle met en lumière à nouveau la contradiction et l'échec de l'approche de certains responsables politiques occidentaux de la plus grandeet de la plus fiable source d'énergie à faible émission de carbone.

Selon le Panel intergouvernemental sur le changement climatique de l'Organisation des Nations Unies, la production d'énergie nucléaire n'est devancée que par l'énergie éolienne terrestre en termes de neutralité carbone, avec une médiane d'émissions de dioxyde de carbone de seulement 12 grammes par kilowatt-heure (kWh) d'électricité. Ceux qui s'inquiètent des émissions de CO2 devraient donc préférer l'énergie nucléaire à des combustibles fossiles tels que le charbon (820 grammes/kWh) et le gaz naturel (490 grammes/kWh). Le nucléaire surpasse également la biomasse (230 g/kWh), l'énergie solaire (48 grammes/kWh) et l'hydroélectricité (24 grammes/kWh). En outre, l'énergie nucléaire n'a aucun des problèmes qui grèvent par intermittence les énergies solaire et éolienne, ce qui entraîne des augmentations de prix actuelles pour les consommateurs.

Ces différences font l'objet d'une attention particulière lorsque l'on considère l'effet de la politique Energiewende de la Chancelière allemande Angela Merkel, qui vise à accroître la capacité d'énergie renouvelable du pays en démantelant progressivement l'énergie nucléaire. L'Energiewende est souvent décrite comme l'avant-garde des initiatives de développement durable en Europe. Pourtant dans la précipitation de l'Allemagne de prendre ses distances avec l'énergie nucléaire après l'accident nucléaire de Fukushima au Japon en 2011, le secteur énergétique du pays a dû recourir au charbon pour ses centrales électriques.

La pression des écologistes allemands a pesé dans cette prise de décision - mais l'utilisation de l'énergie nucléaire au lieu du charbon aurait produit en Allemagne de près de 220 millions de tonnes d'émissions de CO2 en moins par an. En fait, depuis 1990, l'Allemagne n'a réussi à obtenir qu'un déclin lent et inégal des émissions de CO2, malgré une augmentation considérable de la capacité d'énergie renouvelable.

Tandis que l'Allemagne continue de démanteler progressivement son industrie nucléaire, Akademik Lomonosov met en lumière le potentiel de production d'énergie nucléaire en Arctique. L'Europe a tout particulièrement besoin d'avoir en ce moment un débat sensé sur l'énergie nucléaire, fondé sur des faits plutôt que sur des craintes.

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