7afe370246f86f3409a2bf2b_m5077c.jpg

De quelle taille est l’issue de secours ?

BRUXELLES – La zone euro est aujourd’hui soumise à de fortes turbulences liées à une ruée collective des investisseurs vers la sortie. Les taux de rendement des emprunts d’État des pays en périphérie de la zone euro se sont envolés parce que les investisseurs ne savent pas à quels risques ils sont exposés.

Les autorités se veulent rassurantes. Les investisseurs ne devraient pas s’inquiéter, disent-elles, parce que le mécanisme de sauvetage actuel – la Facilité européenne de stabilité financière (FESF) – a pour l’instant fonctionné sans occasionner de pertes pour les obligataires et continuera à le faire jusqu’en 2013. Ce n’est qu’à cette date qu’il sera demandé au secteur privé d’assumer des pertes et seulement pour des emprunts contractés après cette date.

Mais les marchés n’ont pas grande confiance dans la ligne officielle – et pour cause : elle n’est pas crédible. Après tout, dire que des risques de pertes ne pourront se présenter sur des emprunts d’État qu’après la mise en place du nouveau mécanisme de gestion de crise en 2014 implique que toutes les obligations émises jusqu’alors sont sûres et que l’insolvabilité d’un État ne pourra être envisagée que dans un avenir lointain et pas aujourd’hui, contrairement à l’exemple de la Grèce et de l’Irlande. De fait, les responsables européens disent aux investisseurs, «  Qui croyez-vous – nous ou vos propres yeux ? ».

De plus, pour de trop nombreux investisseurs, la situation du Portugal, avec ses faibles perspectives de croissance et une épargne insuffisante pour financer le déficit public, fait penser à celle de la Grèce. Et l’Espagne doit clairement faire face à son propre problème irlandais, à savoir une énorme surcapacité immobilière – et probablement des pertes importantes du secteur bancaire – à la suite de l’éclatement d’une bulle immobilière surdimensionnée.  Les problèmes du Portugal et de l’Espagne semblent moins aigus que ceux de la Grèce et de l’Irlande, mais apparemment le sont suffisamment pour que les investisseurs rechignent à se porter acquéreurs de leurs obligations.

Le risque que courent donc ces pays est celui de retraits massifs de leurs systèmes bancaires. Jusqu’à présent, les investisseurs qui ont voulu les premiers se retirer l’ont fait sans pertes. Les détenteurs d’emprunts d’État grecs arrivés à maturité récupèrent aujourd’hui leur mise grâce au programme européen de sauvetage de 110 milliards d’euros et les détenteurs d’obligations de banques irlandaises ont reçu des assurances du gouvernement irlandais, dont les promesses ont été garanties par la FESF. Ce mécanisme mettra également des fonds à disposition pour s’assurer que les déposants puissent récupérer leur argent.

Le problème de cette approche est qu’elle donne de mauvaises incitations. Les investisseurs ont aujourd’hui compris que les premiers à vendre éviteront les pertes. La situation fait penser à une salle de cinéma avec une seule issue. Tout le monde sait qu’en cas d’incendie, seuls les premiers à gagner la sortie seront sains et saufs. Si l’issue est étroite, une simple odeur de fumée suffira à déclencher une panique. Mais si l’issue semble confortablement large, le public aura plus de chances de garder son calme, même si une partie de la salle est déjà envahie par la fumée.

HOLIDAY SALE: PS for less than $0.7 per week
PS_Sales_Holiday2024_1333x1000

HOLIDAY SALE: PS for less than $0.7 per week

At a time when democracy is under threat, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided. Subscribe now and save $50 on a new subscription.

Subscribe Now

Dans le cas des marchés financiers, la taille de l’issue correspond aux fonds disponibles permettant aux investisseurs à court terme d’être dédommagés. Malheureusement, les fonds dont dispose la FESF semblent tout à fait insuffisants pour financer une sortie collective des investisseurs.

Lorsque la FESF a été créée, le seul problème envisagé était de garantir le financement des déficits gouvernementaux des quatre pays en difficulté potentielle (Espagne, Grèce, Irlande et Portugal). De ce point de vue, le montant de 750 milliards d’euros alloués à la FESF semblait adéquat.

Mais les créateurs de la FESF n’ont pas tenu compte de l’énorme passif à court terme des banques, qui en cas de crise devient de fait une dette publique, comme l’Irlande l’a récemment démontré. La FESF peut juste suffire à garantir la dette publique des quatre pays concernés, mais certainement pas le passif de leurs  secteurs bancaires.

Le passif du secteur bancaire ibérique s’élève par exemple à plusieurs centaines de milliards d’euros. Pour revenir à l’analogie cinématographique : les investisseurs savent que l’issue n’est pas suffisamment large pour qu’ils puissent tous sortir en même temps, et chacun d’entre eux veut donc être le premier à sortir.

La ligne officielle a jusqu’à présent été celle du « pas de défaut », c’est à dire que le défaut de paiement souverain ou d’une banque n’était pas envisageable. Si cette ligne doit être maintenue, il faut immédiatement élargir l’issue de secours et mettre en évidence d’énormes extincteurs. Le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne doivent prouver aux investisseurs qu’ils disposent de fonds en quantité suffisante pour financer simultanément la sortie de tous les investisseurs à court terme.

Cette approche pourrait réussir. Une démonstration de force écrasante pourrait rétablir le calme sur les marchés. Mais cette proposition n’est pas sans risque : si les investisseurs décidaient de se retirer quand même, les fonds nécessaires pourraient être tellement importants que les contribuables des pays créditeurs pourraient se révolter.

L’alternative est de changer de stratégie et de se pencher sur les incitations pour les investisseurs. Les investisseurs patients devraient être récompensés. Ils devraient en particulier bénéficier de meilleures conditions que ceux qui se précipitent vers la sortie. Cette approche-ci est conditionnée à deux changements majeurs d’orientation politique.

Premièrement, les gouvernements ne devraient pas être acculés à l’insolvabilité pour sauver leurs banques. Le gouvernement irlandais (peut-être le prochain ) devrait demander aux détenteurs d’obligations de banques d’assumer une partie des pertes, en leur offrant par exemple une transformation de la dette en capital.

Les doutes concernant la solvabilité de l’État irlandais seraient ainsi rapidement dissipés, et sa garantie des dépôts bancaires ne paraîtrait plus aussi incertaine. Des mesures similaires devraient sans doute être prises pour l’exposition du système bancaire espagnol au marché de l’immobilier du pays.

Le second élément d’un mécanisme permanent  de gestion de crise devrait être  un plancher pour le prix des obligations – et donc d’un plafond pour les pertes. Le taux de rendement et la volatilité des obligations à long terme devraient donc baisser par rapport aux titres à court terme, permettant aux gouvernements des pays périphériques de se financer de manière relativement sûre et à un coût raisonnable.

Aucune de ces mesures ne permettra de résoudre les problèmes fondamentaux de l’Europe, à savoir des positions fiscales faibles, des secteurs financiers déficients et un manque de compétitivité. S’attaquer à ces problèmes sera toutefois nettement plus facile une fois les marchés financiers apaisés.

https://prosyn.org/MMMKUkSfr