nye258_ZinchenkoGlobal Images Ukraine via Getty Images_ukrainewar Zinchenko/Global Images Ukraine via Getty Images

Toutes les leçons de la guerre en Ukraine

CAMBRIDGE – Il y a deux ans, j'indiquais les huit leçons à tirer de la guerre en Ukraine. Elles se sont révélées relativement pertinentes, même si je disais qu'il était trop tôt pour accorder foi à quelque prévision que ce soit.

En février 2022, quand Poutine a ordonné l'invasion de l'Ukraine, il envisageait une prise rapide de Kiev et un changement de gouvernement - à l'image de ce que les Soviétiques on fait en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968. Mais la guerre continue à faire rage, et personne ne sait quand et comment elle s'arrêtera.

Si l'on considère le conflit comme une guerre d'indépendance pour l'Ukraine plutôt que de se focaliser exclusivement sur les frontières, les Ukrainiens sont déjà victorieux. Poutine refuse à l'Ukraine d'être une nation indépendante, mais il a renforcé par sa politique le sentiment d'identité nationale des Ukrainiens. Qu'avons-nous appris d'autre?

- Les armes anciennes et les nouvelles se complètent les unes les autres. Malgré le succès initial des armes antichars pour défendre Kiev, j'ai dit sans me tromper qu'il était sans doute trop tôt pour proclamer la fin de l'ère des tanks, alors que le champ de bataille se déplaçait des banlieues nord de Kiev vers les plaines orientales du pays. Je n'avais cependant prévu ni l'efficacité des drones contre les tanks et les navires, ni le retrait de la marine russe hors de la partie occidentale de la mer Noire sous la pression militaire de l'Ukraine. L'artillerie et les mines ont également joué un rôle majeur quand le conflit a évolué vers une guerre des tranchés du style de la Première Guerre mondiale.

- La dissuasion nucléaire fonctionne, mais elle dépend davantage des enjeux relatifs que des capacités. L'Occident a été dissuadé, mais seulement jusqu'à un certain point. La menace nucléaire de Poutine a empêché les pays de l'OTAN d'envoyer des troupes en Ukraine, par contre ils ont envoyé des armes. Leur retenue ne tient pas aux capacités nucléaires de la Russie, mais à un autre paramètre: l'Ukraine ne constitue pas un enjeu vital pour eux, alors qu'aux yeux de Poutine, l'enjeu est vital pour la Russie. Les menaces formulées par Poutine de recourir à l'arme nucléaire n'ont pas dissuadé l'Occident d'étendre la portée des armes qu'il fournit à l'Ukraine, et jusqu'à présent il dissuade Poutine d'attaquer les pays membres de l'OTAN.

- L'interdépendance économique n'empêche pas la guerre. Certains dirigeants allemands ont cru que la rupture des liens commerciaux avec la Russie serait si coûteuse qu'aucune des deux parties n'entamerait des hostilités ouvertes. Or, si l'interdépendance économique peut augmenter le coût de la guerre, elle ne l'empêche pas nécessairement. Plus précisément, la partie la moins dépendante peut utiliser une interdépendance économique asymétrique comme une arme.

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- Les sanctions peuvent augmenter les coûts, mais à court terme leur effet est limité. Rappelons-nous que lors de sa rencontre avec Poutine en novembre 2021, le directeur de la CIA, William Burns, l'avait averti en vain de la mise en place rapide de sanctions en cas d'invasion russe. Poutine doutait probablement que l'Occident puisse rassembler un soutien global en faveur de sanctions, il ne s'est pas trompé. Le pétrole est une marchandise fongible, et de nombreux pays (notamment l'Inde) sont très satisfaits d'importer du pétrole russe à prix réduit transporté par une flotte fantôme de navires pétroliers.

Par ailleurs, comme je l'avais prévu il y a deux ans, craignant d'être l'objet elle aussi de sanctions, la Chine semble avoir fixé certaines limites à son soutien à la Russie. Elle lui fournit des outils importants à double usage (civil et militaire), mais pas d'armes. Dans ce contexte, il faudra encore attendre un certain temps pour évaluer pleinement l'effet à long terme des sanctions contre la Russie.

- La guerre de l'information fait la différence. L’issue d’une guerre moderne ne dépend plus seulement d'une victoire militaire, mais aussi du récit qui l’emporte. La communication minutieuse par l’Amérique des renseignements dont elle disposait sur les projets militaires russes s’est avérée assez efficace pour discréditer la parole de Poutine à l'égard de l’Europe, et elle a grandement contribué à la solidarité occidentale lorsque l’invasion présagée a eu lieu. De même, le président ukrainien Zelensky a parfaitement réussi à faire entendre le point de vue de son pays en Occident.

- La force et la capacité d'attraction d'un pays importent toutes deux. Si la force l'emporte à court terme sur la capacité d'attraction, cette dernière compte encore beaucoup; or Poutine a échoué très tôt en la matière. La barbarie des forces russes en Ukraine a conduit finalement l'Allemagne à annuler la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 - ce que des années de pression américaine n'avaient pas réussi à obtenir. Par contre Zelensky s'est appuyé dès le début sur la capacité d'attraction. Utilisant son talent d'acteur pour dresser un portrait sympathique de l'Ukraine sous l'attaque russe, il a non seulement suscité la compassion de l'Occident, mais obtenu des livraisons d'équipements militaires nécessaires à l'armée.

- La cybercapacité n'est pas une solution miracle. Depuis 2015, la Russie utilise l'arme informatique contre le réseau électrique ukrainien. De nombreux analystes ont prédit qu'une cyberattaque contre les infrastructures et contre le gouvernement ukrainien transformerait l'invasion en un fait accompli. Or selon les déclarations officielles il y a eu de nombreuses attaques informatiques pendant la guerre, mais aucune ne s'est avérée décisive. Lorsque le réseau satellitaire Viasat utilisé par les Ukrainiens pour communiquer a été piraté, ils se sont repliés sur le réseau Starlink constitué de nombreux petits satellites. Avec l'entraînement et l'expérience du champ de bataille, l'Ukraine a grandement amélioré ses capacités en matière de cyberdéfense et de cyberattaque.

- Une fois qu'une guerre a commencé, les armes à énergie cinétique offrent une plus grande rapidité d'action, une plus grande précision et une meilleure évaluation des dommages que les armes cybernétiques. Ceci dit, la guerre électronique peut perturber les communications essentielles au fonctionnement des drones.

- Enfin, toute guerre est imprévisible. La principale leçon de la guerre en Ukraine est l'une des plus anciennes. Il y a deux ans, beaucoup de gens s'attendaient à une victoire rapide de la Russie, et il y a un an, beaucoup s'attendaient à la réussite de l'offensive d'été de l'Ukraine. Mais ainsi que l'écrivait Shakespeare il y a plus de quatre siècles, il est dangereux pour un chef de "crier Haro! et de laisser filer les chiens de guerre"

La promesse d'une guerre courte est séduisante. Poutine ne s'attendait sûrement pas à un embourbement. Il a néanmoins réussi à vendre au peuple russe sa guerre d'usure comme un grand combat patriotique contre l'Occident. Mais les chiens qu'il a lâchés pourraient se retourner contre lui.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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