9a49cd0346f86f380ed0321a_pa3811c.jpg Paul Lachine

L’Occident vacille

CHARLESTON, SOUTH CAROLINA – Au début de la crise financière, un important investisseur sur les marchés émergents m’avait déclaré : « ceci n’est pas une crise financière globale, mais semi-globale. » Il avait raison : il s’agissait véritablement d’une crise des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon. Parmi les économies émergentes, seule l’Europe de l’est fut gravement touchée. En effet, la crise a marqué le renversement des plus grands pays occidentaux par les économies émergentes, avec d’énormes conséquences pour la répartition globale du pouvoir, de la finance, de la politique et de l’économie.

La crise de la dette souveraine de la zone euro semble avoir été la crise financière la plus mal gérée depuis le défaut de l’Argentine en 2001. Les leaders de l’Union Européenne et de la zone euro se sont sérieusement discrédités. L’Europe a besoin de changements institutionnels bien plus fondamentaux que tout ce dont il a été question jusqu’à présent.

Le Fonds Monétaire International n’a jamais mis en jeu une somme aussi importante dans un seul pays que ce qu’il a fait en Grèce. Par conséquent, le FMI, qui est le gardien d’une partie des réserves internationales détenues par les banques centrales du monde, risque de perdre des dizaines de milliards de dollars.

Est-ce une utilisation responsable de l’argent des contribuables internationaux ? Le FMI n’aurait-il pas imposé des conditions beaucoup plus sévères, et prêté moins, s’il s’eût agi de n’importe quel autre pays en-dehors de la zone euro ?

L’explication apparente à l’extraordinaire prise de risque du FMI est que le directeur général qui a pris la décision d’aider autant la Grèce est originaire de la zone euro et, à l’époque, cachait à peine ses ambitions de candidat aux présidentielles françaises – c’est à dire avant son arrestation à New York sur accusation de viol. De plus, les Européens dominent le leadership du Fonds. Le fait que des débiteurs dominent une institution internationale sensée prêter de larges sommes représente un conflit d’intérêts inconfortable.

Cette mauvaise gestion devrait disqualifier tout décideur politique de la zone euro pour le poste de directeur général du FMI. Pourtant, Christine Lagarde, la ministre des finances française, a été nommée pour succéder à son compatriote Dominique Strauss-Kahn après la démission de ce dernier. Qui aurait sérieusement suggéré qu’un Russe prenne la tête du FMI à la suite de son crash financier en 1998, ou encore un Argentin après le défaut de 2001. Aujourd’hui, la zone euro est tout aussi toxique.

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L’UE, les USA et le Japon sont en péril fiscal et plusieurs pays – le Japon, la Grèce, l’Italie et la Belgique – ont une dette publique qui excède leur PIB. Il est de plus en plus reconnu que les politiques fiscales laxistes ont été de mauvais choix de politique économique, avec de fortes implications pour la pensée macroéconomique, la politique et les constitutions.

Dans la théorie macroéconomique, le Keynésianisme est promis à sa deuxième mort. Le monétarisme de Milton Friedman avait généré une première condamnation à mort, sans pourtant fournir de prédictions ou règles utiles à une politique fiscale alternative. Pendant la crise, la théorie macroéconomique dominante recommandait un stimulus fiscal massif, qui a contribué à aggraver la crise de la dette publique. La question aujourd’hui est de savoir si la théorie macroéconomique s’avouera aussi non pertinente que l’économie politique du socialisme, ou au contraire proposera des contributions intéressantes pour la politique économique. Pour l’instant, des règles monétaires et fiscales élémentaires semblent plus appropriées.

Comment les populations et les gouvernements ont-ils pu accepter ces dettes énormes et même recommander davantage de stimulus ? De nombreuses dépenses publiques et déficits budgétaires n’ont d’autre justification que le populisme, et les grands perdants politiques de la crise ont été les sociaux-démocrates européens, l’équivalent politique du Keynésianisme économique.

Bien trop souvent, la social-démocratie s’est apparentée au populisme, s’opposant à toute réduction des dépenses publiques et même toute dérégulation, qui auraient amélioré la productivité. Les électeurs européens sont à présent en train de punir les partis sociaux-démocrates, qui n’ont jamais été aussi faibles depuis la première guerre mondiale. A leur place, un alignement centre-droit de forces politiques responsables fiscalement a pris le pouvoir dans tous les 27 pays de l’UE sauf trois.

Les démocraties occidentales se sont souvent vantées de leurs contrôles institutionnels, mais à l’évidence ces mécanismes n’ont pas fonctionné au cours de la crise ou du boom qui l’a précédé. Et ils ont été la recette de la paralysie politique aux USA lors du long débat concernant le relèvement du plafond sur leur dette nationale. Dès lors, lorsque les fonctionnaires chinois et russes attaquent la démocratie en tant que telle, de vieilles questions à propos de l’efficacité et de la stabilité de la démocratie redeviennent d’actualité.

Personne ne nie que les démocraties avancées ont largement échoué à anticiper les crises financières et de la dette souveraine, alors que la plupart des économies émergentes ont mené de meilleures politiques économiques. Comment les démocraties occidentales modernes peuvent-elles imposer une discipline fiscale stricte ? L’indépendance des banques centrales a-t-elle donné à leurs fonctionnaires non élus l’autorisation d’imprimer de la monnaie ? Comment peut-on leur imposer d’être responsables ? Comment peut-on contrôler les intérêts particuliers non représentatifs de la population ?

De telles questions ont généré un débat constitutionnel de grande ampleur. Après la deuxième guerre mondiale, de nombreux pays européens ont inscrit des garanties sociales considérables dans leurs constitutions. Aujourd’hui, beaucoup de ces garanties devront être abandonnées. A la place, certains pays européens discutent de l’imposition de certaines règles fiscales rigoureuses dans leur constitution, et envisagent des changements encore plus importants.

Les déficits fiscaux excessifs de nombreux pays occidentaux doivent être réduits. La dette publique moyenne de la zone euro a grimpé à 85% du PIB. Certains pays européens parviennent à réduire leur dette grâce à des surplus budgétaires constants, comme la Bulgarie, la Finlande, la Russie et la Suède l’ont fait au cours de la dernière décennie. La privatisation d’entreprises et propriétés publiques est une autre possibilité.

Mon collègue à l’Institut Petersen Carmen Reinhardt pense que la répression financière sera la méthode principale pour réduire la dette : les gouvernements utiliseront la régulation et la manipulation pour forcer les épargnants à rembourser la dette publique via des rendements négatifs sur leurs investissements obligataires.

Entretemps, les banquiers centraux de partout se demandent : à quoi bon garder des réserves internationales de plus en plus grandes dans deux des monnaies les moins bien gérées au monde, le dollar américain et l’euro ? Bien que les changements de monnaie de réserve soient rares dans l’histoire, la situation actuelle n’est plus tenable. Cependant, tout changement pourrait déstabiliser encore plus l’économie mondiale.

La mauvaise gestion économique de l’Occident réduira également son pouvoir militaire. A présent, les USA comptent pour la moitié de l’ensemble des dépenses militaires globales, mais des réductions sont prévues. La puissance militaire relative des USA ne sera probablement plus jamais aussi grande, et la montée de la puissance militaire de la Chine semble aussi inévitable que son succès économique.

La situation difficile de l’Occident demeure lamentable. Malgré tout, certains économistes restent en faveur de davantage de stimulus fiscal. Au contraire, les leaders occidentaux doivent se concentrer sur la réparation du budget de leur état afin de sauver ce qui peut encore l’être.

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