PARIS - « La démographie, c’est la destinée ». Attribuée à Auguste Comte, la maxime pourrait bien décrire le sort de nombre de pays les plus développés du monde. La récente publication, par la Division de la Population de l’ONU, des dernières prévisions démographiques mondiales apporte un éclairage nouveau à un débat, vieux de plus d’une décennie, sur l’impact d’une fécondité basse dans de nombreux pays avancés. Si les chiffres de l’ONU n’accréditent pas les pronostics les plus catastrophistes, ils n’offrent guère de motifs d’optimisme.
La prévision démographique peut s’appuyer sur un niveau de fiabilité bien plus élevé que la prévision économique. Les femmes susceptibles d’avoir des enfants dans une génération sont déjà nées. Et pour qu’il y ait accroissement naturel d’une population, le taux de fécondité, c'est-à-dire le nombre d’enfants par femme, doit excéder le taux de remplacement des générations, qui est de 2,1. Ce taux a, au tournant du siècle, en Allemagne et au Japon, atteint un point bas de 1,3 enfants par femme – voire moins, comme en Italie, en Russie et en Corée du sud.
La légère remontée constatée ces dernières années laisse cependant les taux de fécondité loin encore en-deçà du niveau de remplacement des générations. En tout état de cause, le mal est fait et la pyramide des âges reste rétrécie à sa base, en particulier dans des pays comme la Russie et le Japon, où la tolérance à l’immigration est réduite.
L’impact des faibles taux de fécondité est compensé par l’allongement continu de l’espérance de vie. Le Japon, champion du monde à cet égard, a cependant atteint son « pic » de population en 2008, prélude à une lente décrue. La principale exception est la Russie, qui, du fait d’une diminution de l’espérance de vie, a vu sa population décroître dès 1993 : elle a perdu quelque 6 millions d’individus depuis lors, avec un ratio peu banal de 170 décès pour 100 naissances en 2001.
Tous les pays européens ne connaissent pas une situation aussi extrême. L’Irlande, la France et nombre de pays d’Europe de l’ouest et de Scandinavie affichent des taux de fécondité proches du remplacement des générations qui, grâce à l’appoint de l’immigration, permet une croissance de leur population. Et l’hypothèse retenue par les experts des Nations Unies est que le taux de fécondité – le plus volatil et le plus imprévisible des indicateurs démographiques – se rapprochera un peu partout du seuil de 2,1 enfants par femme dans les décennies à venir.
Mais même si cette hypothèse se réalise, la population de l’Europe culminera vers le début des années 2020, le Vieux Continent emboîtant ensuite le pas à la Russie, au Japon, à l’Allemagne et à nombre de pays est-européens, tous en proie au déclin démographique. Le vide pourrait certes être comblé par un afflux massif d’immigrants, mais cette perspective se heurte à une résistance politique dans la plupart des pays concernés.
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Ces données illustrent le pronostic fait par le démographe français Alfred Sauvy, qui annonçait que le XXIe siècle serait « le siècle du vieillissement démographique ». Les deux indicateurs qui en donnent la meilleure mesure sont le ratio de dépendance – le rapport entre la population âgée de plus de 65 ans et la population d’âge actif – et l’âge médian, qui divise une population en deux moitiés.
Tableau : âge médian par région 2010-2050
Le fardeau qui pèse sur les générations jeunes et actives est d’ores et déjà palpable. Le ratio de dépendance du Japon est voué à doubler, passant de 38 à 76 % entre 2010 et 2050. Le contraste est plus accusé encore en Corée du sud, où ce ratio pourrait passer de 17 à 66 %. La situation est à peine plus encourageante en Europe – en premier lieu en Espagne, en Italie et en Allemagne – où l’âge réel moyen de départ à la retraite est souvent à peine supérieur à 60 ans, amenant le ratio de dépendance à proximité du seuil de 100 %.
Les pays à vieillissement rapide sont de plus en plus nombreux. La population allemande, par exemple, dont l’âge médian est d’ores et déjà 44 ans, devrait atteindre 49 ans en 2050, tandis que pour l’Italie, cet indicateur pourrait passer de 43 à 50 ans. Même la Chine suivra cette trajectoire, du fait de la politique de l’enfant unique, et, de 35 ans aujourd'hui, devrait croître jusqu’à 49 ans en 2050. On ne sait pas, en revanche, qui, du Japon ou de la Corée du sud, occupera la première place sur le podium en franchissant, vers le milieu du siècle, la barre des 52 ans.
Les conséquences de ce vieillissement sont nombreuses : une main-d’ouvre en contraction et un vivier réduit d’entrepreneurs, déprimant les perspectives de croissance, une menace persistante sur les systèmes de retraite par répartition, des coûts de santé et de services à la personne accrus pour répondre aux besoins d’une population âgée.
Sur le plan politique, il s’ensuit une préférence pour des dépenses sociales plutôt que pour des dépenses de défense ou d’investissement, avec un accroissement des budgets sociaux susceptible de représenter de 5 à 10 % du PIB dans les pays développés. La pression au relèvement de la dette publique sera renforcée, de même que la nécessité de recourir à l’immigration pour occuper les emplois vacants, souvent au bas de l’échelle des qualifications. Cette dynamique a peu de chances d’être enrayée, compte tenu de la résistance politique, dans de nombreux pays, au relèvement de l’âge de la retraite et de la réticence des entreprises à recruter des salariés âgés.
Les États-Unis sont le seul grand pays développé à rester épargné par ces tendances lourdes, grâce à un taux de fécondité égal au taux de renouvellement des générations et à une politique volontariste d’immigration. – qui amène dans le pays quelque 2,7 millions de personnes au total. Aussi l’âge médian ne devrait-il être, vers le milieu du siècle, que de 40 ans – contre 37 ans aujourd'hui – et le ratio de dépendance inférieur à 40 %.
Compte tenu de leur impact sur la croissance économique et aussi la stabilité mondiale, ces nouveaux chiffres mettent en lumière la nécessité d’une gestion avisée des inévitables flux migratoires entre le sud et le nord. Aujourd'hui, plus encore, sans doute, qu’à l’époque d’Auguste Comte, la démographie façonne nos destinées.
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For decades, an efficiency-centered “economic style” has dominated public policy, overriding the concerns for fairness that animated the New Deal and Lyndon B. Johnson’s Great Society. Now, Americans must brace for economic governance that delivers neither efficiency nor fairness, only chaos.
highlights the high cost of the single-minded focus on efficiency that has come to dominate the discipline.
While some observers doubt that US President-elect Donald Trump poses a grave threat to US democracy, others are bracing themselves for the destruction of the country’s constitutional order. With Trump’s inauguration just around the corner, we asked PS commentators how vulnerable US institutions really are.
PARIS - « La démographie, c’est la destinée ». Attribuée à Auguste Comte, la maxime pourrait bien décrire le sort de nombre de pays les plus développés du monde. La récente publication, par la Division de la Population de l’ONU, des dernières prévisions démographiques mondiales apporte un éclairage nouveau à un débat, vieux de plus d’une décennie, sur l’impact d’une fécondité basse dans de nombreux pays avancés. Si les chiffres de l’ONU n’accréditent pas les pronostics les plus catastrophistes, ils n’offrent guère de motifs d’optimisme.
La prévision démographique peut s’appuyer sur un niveau de fiabilité bien plus élevé que la prévision économique. Les femmes susceptibles d’avoir des enfants dans une génération sont déjà nées. Et pour qu’il y ait accroissement naturel d’une population, le taux de fécondité, c'est-à-dire le nombre d’enfants par femme, doit excéder le taux de remplacement des générations, qui est de 2,1. Ce taux a, au tournant du siècle, en Allemagne et au Japon, atteint un point bas de 1,3 enfants par femme – voire moins, comme en Italie, en Russie et en Corée du sud.
La légère remontée constatée ces dernières années laisse cependant les taux de fécondité loin encore en-deçà du niveau de remplacement des générations. En tout état de cause, le mal est fait et la pyramide des âges reste rétrécie à sa base, en particulier dans des pays comme la Russie et le Japon, où la tolérance à l’immigration est réduite.
L’impact des faibles taux de fécondité est compensé par l’allongement continu de l’espérance de vie. Le Japon, champion du monde à cet égard, a cependant atteint son « pic » de population en 2008, prélude à une lente décrue. La principale exception est la Russie, qui, du fait d’une diminution de l’espérance de vie, a vu sa population décroître dès 1993 : elle a perdu quelque 6 millions d’individus depuis lors, avec un ratio peu banal de 170 décès pour 100 naissances en 2001.
Tous les pays européens ne connaissent pas une situation aussi extrême. L’Irlande, la France et nombre de pays d’Europe de l’ouest et de Scandinavie affichent des taux de fécondité proches du remplacement des générations qui, grâce à l’appoint de l’immigration, permet une croissance de leur population. Et l’hypothèse retenue par les experts des Nations Unies est que le taux de fécondité – le plus volatil et le plus imprévisible des indicateurs démographiques – se rapprochera un peu partout du seuil de 2,1 enfants par femme dans les décennies à venir.
Mais même si cette hypothèse se réalise, la population de l’Europe culminera vers le début des années 2020, le Vieux Continent emboîtant ensuite le pas à la Russie, au Japon, à l’Allemagne et à nombre de pays est-européens, tous en proie au déclin démographique. Le vide pourrait certes être comblé par un afflux massif d’immigrants, mais cette perspective se heurte à une résistance politique dans la plupart des pays concernés.
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Tableau : âge médian par région 2010-2050
Le fardeau qui pèse sur les générations jeunes et actives est d’ores et déjà palpable. Le ratio de dépendance du Japon est voué à doubler, passant de 38 à 76 % entre 2010 et 2050. Le contraste est plus accusé encore en Corée du sud, où ce ratio pourrait passer de 17 à 66 %. La situation est à peine plus encourageante en Europe – en premier lieu en Espagne, en Italie et en Allemagne – où l’âge réel moyen de départ à la retraite est souvent à peine supérieur à 60 ans, amenant le ratio de dépendance à proximité du seuil de 100 %.
Les pays à vieillissement rapide sont de plus en plus nombreux. La population allemande, par exemple, dont l’âge médian est d’ores et déjà 44 ans, devrait atteindre 49 ans en 2050, tandis que pour l’Italie, cet indicateur pourrait passer de 43 à 50 ans. Même la Chine suivra cette trajectoire, du fait de la politique de l’enfant unique, et, de 35 ans aujourd'hui, devrait croître jusqu’à 49 ans en 2050. On ne sait pas, en revanche, qui, du Japon ou de la Corée du sud, occupera la première place sur le podium en franchissant, vers le milieu du siècle, la barre des 52 ans.
Les conséquences de ce vieillissement sont nombreuses : une main-d’ouvre en contraction et un vivier réduit d’entrepreneurs, déprimant les perspectives de croissance, une menace persistante sur les systèmes de retraite par répartition, des coûts de santé et de services à la personne accrus pour répondre aux besoins d’une population âgée.
Sur le plan politique, il s’ensuit une préférence pour des dépenses sociales plutôt que pour des dépenses de défense ou d’investissement, avec un accroissement des budgets sociaux susceptible de représenter de 5 à 10 % du PIB dans les pays développés. La pression au relèvement de la dette publique sera renforcée, de même que la nécessité de recourir à l’immigration pour occuper les emplois vacants, souvent au bas de l’échelle des qualifications. Cette dynamique a peu de chances d’être enrayée, compte tenu de la résistance politique, dans de nombreux pays, au relèvement de l’âge de la retraite et de la réticence des entreprises à recruter des salariés âgés.
Les États-Unis sont le seul grand pays développé à rester épargné par ces tendances lourdes, grâce à un taux de fécondité égal au taux de renouvellement des générations et à une politique volontariste d’immigration. – qui amène dans le pays quelque 2,7 millions de personnes au total. Aussi l’âge médian ne devrait-il être, vers le milieu du siècle, que de 40 ans – contre 37 ans aujourd'hui – et le ratio de dépendance inférieur à 40 %.
Compte tenu de leur impact sur la croissance économique et aussi la stabilité mondiale, ces nouveaux chiffres mettent en lumière la nécessité d’une gestion avisée des inévitables flux migratoires entre le sud et le nord. Aujourd'hui, plus encore, sans doute, qu’à l’époque d’Auguste Comte, la démographie façonne nos destinées.