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La menace de la stagflation est réelle

NEW YORK – Depuis plusieurs mois, je préviens que le mix actuel de politiques monétaires, budgétaires et de crédit, qui demeurent très accommodantes, stimulera excessivement la demande globale et conduira à une surchauffe inflationniste. Pour aggraver le problème, des chocs d'offre négatifs à moyen terme réduiront la croissance potentielle et augmenteront les coûts de production. Combinées, ces dynamiques de l'offre et de la demande pourraient générer une stagflation, une hausse de l'inflation en période de récession, comme dans les années 1970. A terme, elles pourraient même conduire à une grave crise de la dette.

Jusqu'à récemment, je me suis concentré davantage sur les risques à moyen terme. Mais maintenant, on peut faire valoir qu'une stagflation « légère » est déjà en cours. L'inflation augmente aux États-Unis et dans de nombreuses économies avancées, et la croissance ralentit fortement, malgré des mesures massives de relance monétaire, budgétaire et de crédit.

Il existe désormais un consensus sur le fait que le ralentissement de la croissance aux États-Unis, en Chine, en Europe et dans d'autres grandes économies est le résultat de goulots d'étranglement de l'offre sur les marchés du travail et des biens. Selon la version optimiste des analystes et des décideurs de Wall Street, cette légère stagflation sera temporaire et ne durera que le temps nécessaire pour que les goulots d'étranglement de l'offre se résorbent.

En fait, plusieurs facteurs expliquent la mini-stagflation de cet été. Pour commencer, le variant Delta augmente temporairement les coûts de production, réduit la croissance de la production et limite l'offre de main-d'œuvre. Les travailleurs, dont beaucoup reçoivent toujours les allocations de chômage majorées qui expireront en septembre, hésitent à retourner sur le lieu de travail, surtout maintenant que Delta fait rage. De plus, ceux qui ont des enfants doivent parfois rester à la maison, en raison des fermetures d'écoles et du manque de services de garde d’enfants abordables.

Du côté de la production, Delta perturbe la réouverture de nombreux secteurs de services et sème la pagaille dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, les ports et les systèmes logistiques. Les pénuries d'intrants clés tels que les semi-conducteurs entravent encore davantage la production de voitures, de produits électroniques et d'autres biens de consommation durables, augmentant ainsi l'inflation.

Pourtant, les optimistes insistent sur le fait que tout cela est temporaire. Une fois que Delta s'estompera et que les prestations expireront, les travailleurs retourneront sur le marché du travail, les goulots d'étranglement de la production se résorberont, la croissance de la production s'accélérera et l'inflation sous-jacente – qui atteint désormais près de 4 % aux États-Unis – retournera vers la cible de la Réserve fédérale américaine de 2 % d'ici l'année prochaine.

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Du côté de la demande, l’hypothèse est que la Réserve fédérale américaine et d'autres banques centrales commenceront à mettre fin à leurs politiques monétaires non conventionnelles. Combiné à un certain degré de freinage budgétaire l'année prochaine (lorsque les déficits devraient être moins importants), cela réduira supposément les risques de surchauffe et maintiendra l'inflation sous contrôle. La légère stagflation d'aujourd'hui céderait alors la place à un scénario idéal – une croissance plus forte et une inflation plus faible – d'ici l'année prochaine.

Mais que se passera-t-il si cette vision optimiste se révèle erronée et que la pression stagflationniste persiste au-delà de cette année ? A cet égard, il convient de noter que diverses mesures font état d’une inflation non seulement largement au-dessus de son objectif, mais également de plus en plus persistante. Par exemple, aux États-Unis, l'inflation sous-jacente, qui exclut les prix volatils des aliments et de l'énergie, devrait toujours avoisiner les 4 % d'ici la fin de l'année. Les politiques macroéconomiques devraient également rester laxistes, à en juger par les plans de relance de l'administration Biden et la probabilité que les économies faibles de la zone euro enregistrent d'importants déficits budgétaires même en 2022. De plus, la Banque centrale européenne et de nombreuses autres banques centrales des économies avancées restent pleinement engagées à poursuivre encore longtemps leurs politiques non conventionnelles.

Bien que la Fed envisage de réduire son assouplissement quantitatif (QE), elle restera probablement accommodante et en retard dans l'ensemble. Comme la plupart des banques centrales, elle a été attirée dans un « piège de la dette » par la flambée des dettes privée et publique (en pourcentage du PIB) ces dernières années. Même si l'inflation reste supérieure à son objectif, une sortie prématurée du QE pourrait provoquer un crash des marchés obligataire, du crédit et des actions. Cela soumettrait l'économie à un atterrissage brutal, forçant potentiellement la Fed à faire marche arrière et à reprendre le QE.

Après tout, c'est ce qui s'est passé entre le quatrième trimestre de 2018 et le premier trimestre de 2019, à la suite de la précédente tentative de la Fed de relever les taux et de réduire le QE. Les marchés du crédit et des actions se sont effondrés et la Fed a immédiatement arrêté le resserrement de sa politique. Puis, lorsque l'économie américaine a subi un ralentissement causé par la guerre commerciale et une légère crise du marché des pensions quelques mois plus tard, la Fed est revenue pleinement à la baisse des taux et à la poursuite du QE (sans le dire ouvertement).

Tout cela s'est produit une année complète avant que la COVID-19 ne bouleverse l'économie et ne pousse la Fed et d'autres banques centrales à s'engager dans des politiques monétaires non conventionnelles à une échelle sans précédent, pendant que les gouvernements créaient les plus gros déficits budgétaires depuis la Grande Dépression. Le véritable test du courage de la Fed viendra lorsque les marchés subiront un choc dans un contexte de ralentissement économique et d'inflation élevée. Très probablement, la Fed se dégonflera et fermera les yeux.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, les chocs d'offre négatifs sont susceptibles de persister à moyen et long terme. On en distingue déjà au moins neuf.

Pour commencer, il y a la tendance à la démondialisation et à la montée du protectionnisme, la balkanisation et la relocalisation des chaînes d'approvisionnement éloignées, et le vieillissement démographique des économies avancées et des principaux marchés émergents. Des restrictions d'immigration plus strictes entravent la migration des pays du Sud les plus pauvres vers le Nord plus riche. La guerre froide sino-américaine ne fait que commencer, menaçant de fragmenter l'économie mondiale. Et le changement climatique perturbe déjà l'agriculture et provoque des flambées des prix des denrées alimentaires.

De plus, les pandémies mondiales persistantes conduiront inévitablement à une plus grande autonomie nationale et à des contrôles à l'exportation pour les biens et matériaux clés. La cyberguerre perturbe de plus en plus la production, mais reste très coûteuse à contrôler. Et la réaction politique face aux inégalités de revenus et de richesse incite les autorités fiscales et réglementaires à mettre en œuvre des politiques renforçant le pouvoir des travailleurs et des syndicats, ouvrant la voie à une croissance accélérée des salaires.

Alors que ces chocs d'offre négatifs persistants menacent de réduire la croissance potentielle, la poursuite de politiques monétaires et budgétaires accommodantes pourrait déclencher un désancrage des anticipations d'inflation. La spirale salaires-prix qui en résulterait inaugurerait alors d’un environnement de stagflation à moyen terme pire que celui des années 1970 – lorsque les ratios dette/PIB étaient inférieurs à ce qu'ils sont actuellement. C'est pourquoi le risque d'une crise de la dette stagflationniste continuera de planer à moyen terme.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

https://prosyn.org/NaaXr1yfr