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L’Inde sur la voie d’une nouvelle grandeur

SINGAPOUR - Il serait malavisé de sous-estimer la dimension quasi métaphysique des récentes élections en Inde. L’électorat indien a sans hésiter choisi de faire avancer l’histoire mondiale dans la bonne direction en reconduisant le tandem Manmohan Singh – Sonia Gandhi. Ils ont maintenant le mandat et le pouvoir pour faire adopter une libéralisation et des réformes économiques plus importantes. Le tigre naissant de l’économie indienne sera libéré. L’émergence simultanée de la Chine et de l’Inde affermira les forces de modernisation et de la modération au plan mondial. Dans le contexte de la crise globale actuelle, le monde doit se réjouir de ce nouvel élan d’énergie.

Pour ainsi dire personne n’a su prédire ce résultat spectaculaire. La plupart des observateurs ont sous-estimé l’électorat indien, qui a compris les nombreux avantages du partenariat Singh-Gandhi. Premièrement, leur gouvernement, mené par le Parti du Congrès, a ravivé les traditions séculaires modérées de Jawaharlal Nehru et fermement replacé l’Inde au centre de l’échiquier politique, en écartant les extrémismes communautaristes et idéologiques.

Ensuite, l’électorat a aussi compris l’importance de la réélection d’un dirigeant modeste, mais sage et déterminé qui comprend dans quelle direction l’Inde doit aller, notamment en engageant une ouverture économique plus grande que celle qu’il avait amorcée jusqu’à présent. Comme il l’a dit une fois, « bien que l’Inde ait un marché intérieur important, notre expérience liée aux précédentes mesures économiques, relativement limitées, ainsi que notre expérience dans ce sens au plan mondial, ont clairement démontré le potentiel de croissance du commerce et de la coopération économique avec l’économie mondiale ».

Enfin, Singh poursuivra le dialogue avec les voisins asiatiques de l’Inde, en appelant à une plus grande coopération régionale. Déjà en 1995, il disait que «  c’est cette vision, celle d’une Inde qui connaît un nouvel essor et qui retrouve sa place de grande puissance économique en Asie, qui a inspiré notre politique économique ». L’Inde cherchera à conclure un accord de libre-échange avec l’ASEAN, dans le sillage de la Chine. Une vague de libéralisation économique balaiera l’Asie, consolidant d’autant le développement de la région.

Ce processus sera encouragé par la confiance retrouvée de l’Inde en ses capacités. Dans les années 1950 et 1960, peu de chefs d’entreprise indiens pensaient que leur pays pouvait rivaliser avec les économies avancées. L’association patronale de Mumbai avait ainsi une approche essentiellement protectionniste. Aujourd’hui, ces mêmes industriels, convaincus que l’Inde peut rivaliser avec les meilleurs, soutiennent les réformes de Singh.

L’Inde n’en reste pas moins confrontée à de nombreux défis : le pays compte près de 300 millions de pauvres, l’insurrection naxalite s’étend, sans compter des bidonvilles toujours plus grands et le risque d’attentats terroristes comme celui de Mumbai. Par ailleurs, comment Singh parviendra-t-il à concilier une politique d’ouverture des marchés avec une politique favorable aux pauvres ? Comment répondra-t-il aux attentes croissantes de la classe moyenne concernant l’amélioration des infrastructures, un meilleur accès aux soins médicaux et à l’éducation, un approvisionnement constant en eau et en électricité, et des moyens de transport plus efficaces ?

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Ces problèmes ne seront pas résolus du jour au lendemain. Mais la conviction toujours plus forte que chaque nouveau jour sera meilleur que le précédent contribuera à la stabilité politique de l’Inde. Ce point est peut-être bien le résultat le plus important de ces dernières  élections : cinq ans de stabilité politique et de réformes économiques de plus créeront un cercle vertueux et irréversible de croissance économique et de modération politique.

La classe moyenne indienne est vouée à se développer rapidement, en donnant au pays le lest nécessaire à son équilibre pour les décennies à venir. Une statistique mérite d’être relevée : au taux de développement actuel de plusieurs économies asiatiques, une augmentation de 10 pour cent du revenu moyen doit se traduire par la multiplication par deux de la classe moyenne, un objectif éminemment réalisable.

Ce n’est qu’une coïncidence que le leader des Tigres tamouls, Velupillai Prabhakaran, ait été tué et son mouvement décimé en même temps que se tenaient les élections en Inde. Il ne faut pourtant pas négliger l’importance de cet événement fortuit. C’est Prabhakaran, pas Al Quaida, qui a inventé les attentats suicide. Sa disparition souligne la futilité de la vague de terreur qu’il a infligée au monde.

Mais si Mahinda Rajapaksa, le président du Sri Lanka, veut éliminer le séparatisme tamoul, il doit s’inspirer de la culture de modération politique de Singh. Il a été bien avisé de prononcer quelques phrases en tamoul en annonçant la victoire des forces armées sur les Tigres tamouls. Il doit maintenant créer un environnement ouvert et tolérant, comme en Inde, qui permettent tant aux Sri Lankais qu’aux Tamouls de prospérer. 

Le Pakistan reste le principal problème de l’Inde. En souhaitant que le Pakistan devienne un pays modéré et en voie de modernisation, il ne fait aucun doute que Singh est sur la bonne voie. Il ne veut plus de guerre entre les deux pays. Cette approche peut toutefois être confortée par des choix politiques à long terme.

L’Inde pourrait notamment prendre exemple sur la manière dont la Chine s’est employée avec succès à traiter la question taïwanaise. Au plus fort des tensions entre les deux pays, alors que les gouvernements de Lee Teng-hui et de Chen Shui-bian n’étaient pas acceptables pour la Chine, elle n’a pas interrompu les échanges avec la population et les hommes d’affaires taïwanais, créant ainsi dans la durée des réseaux d’interdépendance économique, source de stabilité.

Il serait tout aussi aisé pour la population indienne de nouer des liens avec la population pakistanaise. C’est le même peuple. Originaire du Sindh, je ressens des affinités avec les deux populations. Lorsque je participe à des colloques internationaux, je suis frappé par l’aisance avec laquelle les Indiens et les Pakistanais vont les uns vers les autres. Les divisions politiques sont artificielles et l’unité culturelle est naturelle.

Les Pakistanais n’auront aucune peine à coopérer avec la politique modérée du gouvernement Singh. En fait, la politique d’ouverture du président américain Obama et de Singh envers le monde islamique présente probablement la meilleure occasion qui soit pour trouver une solution durable au problème entre l’Inde et le Pakistan.

En résumé, la réélection du gouvernement Singh a fait du monde un endroit moins dangereux et a donné lieu à de nombreuses opportunités politiques. Il est difficile d’imaginer un meilleur Premier ministre pour l’Inde. Singh est l’un des meilleurs économistes au monde, qui a aussi prouvé qu’il avait des nerfs d’acier en refusant de céder devant les pressions visant à faire échouer le traité nucléaire entre l’Inde et les Etats-Unis. Il n’a pas cédé un pouce de terrain et a obtenu satisfaction. Cette détermination sera tout à l’avantage de l’Inde et du reste du monde dans les années à venir.

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