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En Inde, les travailleurs meurent de chaud et le gouvernement ne fait rien

NEW DELHI – Le roman de science-fiction prémonitoire de Kim Stanley Robinson, The Ministry for the Future (non traduit en français), commence par la description saisissante d’une énorme vague de chaleur dans une ville du nord de l’Inde qui tue des millions de personnes. Bien que les événements du roman se déroulent quelques décennies dans le futur, ils semblent d’une actualité terrifiante dans le contexte de la vague de chaleur sans précédent qui frappe le centre et le nord de l’Inde et le Pakistan depuis la fin mars. 

Au mois d’avril, période normalement marquée par un temps printanier tardif avec des températures maximales moyennes ne dépassant pas 35°C, les températures diurnes ont dépassé 46°C à New Delhi. Dans plusieurs endroits de la région, les températures ont oscillé autour de 45°C pendant deux mois, avec un pic de 49°C à Jacobabad au Pakistan le 30 avril, et de 47,2°C à Banda dans le centre de l’Inde. Il s’agit du mois d’avril le plus chaud enregistré depuis le début des relevés météo en Inde, soit depuis 122 ans.

Bien que la chaleur soit légèrement retombée depuis début mai, la saison chaude ne fait que commencer dans la région. Les météorologues indiens prédisent déjà qu’en partie à cause du déficit pluviométrique par rapport à la normale, les températures dépasseront 50°C dans une grande partie de l’Asie du Sud avec l’arrivée de la période estivale. Ces conditions climatiques peuvent s’avérer mortelles parce que la combinaison d’une chaleur extrême et d’une humidité élevée empêche l’évaporation de la sueur, réduisant ainsi la capacité du corps à se refroidir.

C’est la raison pour laquelle la température du thermomètre mouillé (Tw), ou la température humide, qui tient à la fois compte de la chaleur et de l’humidité de l’air, est importante. Lorsque cette température avoisine 32°C, les activités extérieures deviennent difficiles et éprouvantes. Si elle dépasse 35°C, passer quelques heures à l'ombre, même sans activité physique, peut entraîner la mort. Plusieurs villes indiennes ont récemment connu des températures de près de 30°C Tw. Ces températures pourraient augmenter lors des prochaines canicules et être fatales pour les êtres humains, exactement comme le décrit Robinson dans son roman.

Pourtant, les preuves factuelles indiquant que le changement climatique se produit plus rapidement que les prévisions scientifiques les plus pessimistes ne semblent pas inciter les pouvoirs publics à infléchir de toute urgence les orientations économiques, que ce soit en Inde ou ailleurs dans le monde. Comme trop d’autres gouvernements, l’administration du Premier ministre indien Narendra Modi se montre peu encline à mettre en œuvre les changements politiques et à consacrer les ressources budgétaires nécessaires pour réduire les émissions de dioxyde de carbone et diminuer la pollution, des mesures pourtant essentielles pour éviter une catastrophe climatique.

En réalité, le gouvernement ne fait même pas le strict minimum pour aider la population indienne, majoritairement pauvre, à faire face aux changements climatiques qui l’affectent déjà. Modi a demandé aux gouvernements des États indiens de prendre des mesures pour prévenir les décès dus aux vagues de chaleur et aux incendies, mais comment doivent-ils s'y prendre exactement? Le Plan national d’action contre les maladies liées à la chaleur ne prévoit pas de protéger les personnes contre l’exposition aux chaleurs extrêmes, seulement des stratégies limitées pour atténuer leurs conséquences, et il s’adresse avant tout aux services de santé publique et aux établissements de soins privés.

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Il n’est d’aucune utilité pour les neuf personnes sur dix en Inde qui travaillent dans l’économie informelle, sans protection juridique ou sociale. Ces travailleurs n’ont pas d’autre option qu’une activité à l’extérieur, aussi terribles que puissent être les conditions climatiques. Un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le stress thermique au travail définit l’agriculture et la construction – les deux principaux employeurs en Inde – comme les secteurs qui seront les plus directement concernés par la dégradation des conditions de travail et les pertes de productivité liées au réchauffement de la planète.  Les emplois dans d’autres secteurs particulièrement exposés, comme le ramassage des ordures, sont aussi majoritairement occupés par des travailleurs informels très pauvres et peu rémunérés.

Ces activités en extérieur sont les plus susceptibles d'entraîner de graves problèmes de santé, voire la mort, si elles sont effectuées dans des conditions de chaleur et d'humidité extrêmes. Mais les centaines de millions d'Indiens qui occupent ces emplois n'ont généralement pas d'autre choix que de continuer à les exercer.

L’un des aspects du stress thermique au travail que même l’OIT n’aborde pas est celui du travail non rémunéré des centaines de millions de femmes et de filles en Inde qui vont chaque jour chercher de l’eau pour les besoins du foyer. Les canicules assèchent les eaux de surface et abaissent le niveau des nappes phréatiques, ce qui oblige les femmes et les filles à parcourir des distances toujours plus longues et à consacrer toujours plus de temps à la collecte et au transport de l’eau, rendant cette tâche plus pénible et potentiellement mortelle.

L'OIT souligne que les gouvernements doivent mettre en œuvre des politiques d'adaptation aux températures plus élevées pour atténuer le stress thermique au travail, notamment en assurant une protection sociale universelle et en garantissant la sécurité au travail, même pour les emplois informels. Mais les déclarations publiques et les politiques affichées du gouvernement indien ne contiennent rien de tel, alors même que des vagues de chaleur plus intenses et plus fréquentes sont sur le point de devenir plus meurtrières dans le sous-continent que la pandémie du Covid-19.

Le gouvernement indien laisse essentiellement la population se débrouiller seule face à une tragédie prévisible. Et il envisage de continuer à investir dans les combustibles fossiles pour les décennies à venir.

Comme l’a dit Sir Robert Watson, ancien président de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), « Mère Nature fait simplement ce que lui dictent la chimie, la biologie et la physique. Mère Nature a toujours le dernier mot et elle gagne toujours ».  

Les gouvernements doivent admettre cette vérité fondamentale. Si les vagues de chaleur sans précédent ne parviennent pas à les convaincre, on voit mal ce qui le pourrait.

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