chapagain1_MUNIR UZ ZAMANAFP via Getty Images_bangladeshtyphoonhouse Munir Uz Zaman/AFP via Getty Images

Pourquoi la préparation à la catastrophe ne peut attendre

GENÈVE / WASHINGTON – Le monde prépare l’avenir en imaginant à tort qu’il ressemblera au passé. Mais alors que la Covid-19 coïncide avec les cyclones en Asie du Sud et dans le Pacifique, ainsi qu’avec les nuées de criquets pèlerins en Afrique de l’Est, la nécessité de se préparer pour un monde de chocs imprévus apparaît plus claire que jamais. Épidémies, inondations, tempêtes, sécheresses et feu de forêts seront selon toutes probabilités plus fréquents et plus dangereux, touchant chaque année des centaines de millions de personnes.

La pandémie de Covid-19 est un avertissement à l’échelle mondiale. En tant que dirigeants d’organisations internationales, nous comprenons à la fois la grave menace qu’elle représente et l’opportunité potentielle qu’elle offre au changement.

La Covid-19 et les récentes catastrophes naturelles montrent que nous devons renforcer dès maintenant nos investissements dans la préparation des crises plus tôt que d’attendre d’être frappés par la prochaine. Le choix est clair : éluder et le payer, ou bien nous organiser et réussir.

Nous savons que cela vaut la peine d’investir dans la préparation aux catastrophes – tant en termes de vies humaines épargnées que de bénéfices économiques. Des recherches, menées par la Commission globale pour l’adaptation ont montré, par exemple, que le rapport bénéfices/coûts des investissements pour l’adaptation au changement climatique variait de 2 à 10.

Certes, il faut, pour se préparer aux chocs graves des investissements conséquents. La construction de la résilience face aux chocs climatiques pourrait coûter de 140 à 300 milliards annuels d’ici 2030, tandis que pour atteindre les seuils minima de préparation aux pandémies préconisés par l’Organisation mondiale de la santé, il en coûtera 3,4 milliards par an.

Mais ces sommes sont négligeables lorsqu’on les compare aux coûts de l’impréparation. Les catastrophes naturelles coûtent d’ores et déjà des centaines de milliards de dollars chaque année ; on estime qu’un accroissement de la température de 2 °C entraînerait d’ici 2100 des destructions liées aux changements climatiques de quelque 69 000 milliards de dollars.

BLACK FRIDAY SALE: Subscribe for as little as $34.99
BF2024-Onsite-1333x1000

BLACK FRIDAY SALE: Subscribe for as little as $34.99

Subscribe now to gain access to insights and analyses from the world’s leading thinkers – starting at just $34.99 for your first year.

Subscribe Now

Le coût humain est lourd, lui aussi. Une analyse de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) a montré, l’an dernier, que la passivité pourrait accroître de 50 % d’ici 2030 le nombre annuel de personnes nécessitant une aide internationale humanitaire suite à des inondations, des tempêtes, des sécheresses ou des incendies de forêts – actuellement de 108 millions. Leur nombre pourrait presque doubler d’ici 2050, pour atteindre 200 millions. 

En outre, l’année à venir offre une fenêtre d’opportunité cruciale pour les investissements dans la résilience, car les pouvoirs publics de par le monde vont dépenser des milliers de milliards de dollars pour relancer les économies après la pandémie. Ces ressources financières diminueront après la relance, et avec elles l’appétence politique pour le changement, d’où le danger. C’est pourquoi il est temps que les pays riches aident les pays pauvres à faire repartir leur économie et à renforcer leur résilience face aux menaces futures, et notamment face au changement climatique.

Au niveau national, l’une des actions publiques les plus importantes, aujourd’hui, à cet égard, serait d’investir dans la collecte des données liées aux risques de catastrophe et dans leur analyse.  Un avis de tempête lancé vingt-quatre heures à l’avance ou la prévision d’une vague de chaleur peuvent réduire les pertes consécutives de 30 %, alors qu’un investissement de 800 millions de dollars dans les systèmes de prévision et d’alerte des pays en développement pourrait entraîner une économie de 3 à 16 milliards de dollars par an.

Le cyclone Amphan, pour prendre cet exemple, a récemment ravagé l’Inde et le Bangladesh et tué des dizaines de personnes, mais les systèmes de prévision et d’alerte ont sauvé un nombre incalculable de vies. Des prévisions précises, qui allaient de pair avec des décennies d’organisation et de préparation ont permis aux deux pays d’évacuer plus de trois millions de personnes et de réduire considérablement, par rapport à ce qu’il aurait pu être autrefois, le nombre des victimes.

Les gouvernements et les organisations internationales œuvrent aujourd’hui pour rendre plus accessibles et plus efficaces les technologies d’alerte anticipée, au travers d’un partenariat pour des actions rapides prises en connaissance des risques (REAP). Cette initiative a pour but de renforcer la sécurité d’un milliard de personnes face aux catastrophes d’ici 2025, notamment en étendant les dispositifs dits de financement sur prévisions, qui utilisent les projections météorologiques pour fournir aux populations vulnérables les ressources dont elles ont besoin pour se préparer. Des projets de financements novateurs comme ceux-ci, qui reçoivent les contributions, entre autres, des gouvernements allemand et britannique, peuvent sauver des vies et réduire les dégâts matériels lorsque frappent des vagues de chaleur ou des tempêtes.

Mais ces solutions ne peuvent être efficaces qu’à condition que les financements et l’information parviennent au niveau local. Les collectivités et les organisations locales sont souvent en première ligne dans une crise et il est vital qu’elles soient prêtes et aptes à l’action.

Ainsi, la FICR a-t-elle envoyé des fonds au chapitre bangladais du Croissant-Rouge avant que le cyclone Amphan ne touche terre, ce qui a contribué à fournir des aliments secs, de l’eau potable, des équipements de sécurité et des moyens de transport vers les abris. Dans le même temps, le chapitre contribuait à la mise en œuvre des mesures de sécurité contre la Covid-19, notamment à désinfecter les abris, à rendre disponible suffisamment d’espace pour permettre la distanciation physique, et à fournir des équipements de protection individuelle.

Les communautés locales sont souvent les mieux à même de définir les solutions les plus efficaces. En 2009, par exemple, après que le typhon Ondoy a frappé les Philippines, les habitants des bidonvilles ont travaillé avec des fonctionnaires municipaux pour concevoir des logements résilients, capables de résister à de nouvelles inondations.

Lorsqu’au cours de l’année prochaine, leurs pays sortiront de la pandémie de Covid-19, les dirigeants de la planète feront face à des choix historiques. En intensifiant les investissements dans la préparation aux catastrophes, ils peuvent décider de la place qu’ils laisseront dans l’histoire et fixer à l’humanité un cap plus sûr pour la prochaine décennie, voire au-delà.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

https://prosyn.org/LJ5EiQDfr