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De la Nécessité d’une Suspension Globale des Remboursements de Dette Souveraine

LONDRES/NEW YORK/GENEVE — Confrontés à une crise économique sans précédent due à la pandémie de COVID-19, les gouvernements des pays riches ont adopté une politique du ‘Whatever it takes’ (« peu importe ce qu’il en coute ») pour éviter que leurs économies ne s'effondrent. Mais, confrontés à une crise encore pire dans le reste du monde, les mêmes gouvernements ont repris la posture du président américain Herbert Hoover au début de la crise de 1929 : ‘On ne peut rien faire’. D’un côté des plans de sauvetage par milliers de milliards de dollars pour les pays riches, de l’autre des miettes pour le reste du monde.

La tragédie est double. Non seulement les coûts économiques de l'éloignement social vont être plus élevés dans les pays émergents, mais en plus les énormes programmes de sauvetage des pays riches rendent la lutte contre la pandémie dans les pays pauvres beaucoup plus difficile.

Les pays riches comme les États-Unis sont dotés de capacités d'emprunt suffisantes et sont en mesure de lever des fonds énormes à des taux défiant toute concurrence. Mais ces fonds proviennent en partie des pays émergents en quête de sécurité, et d'investisseurs américains qui liquident leurs avoirs étrangers. En d'autres termes, une partie du financement dont dépendent les États-Unis et d'autres économies avancées provient d'économies émergentes qui ont pourtant des besoins financiers beaucoup plus pressants.

Il n'est donc pas étonnant qu’à ce jour plus de 100 pays se soient adressés au Fonds monétaire international pour obtenir une aide financière d’urgence. Mais les fonds dont dispose le FMI sont bien insuffisants.

Les gouvernements du G20 ont récemment décidé de suspendre les remboursements des prêts officiels bilatéraux de 76 des pays les plus pauvres jusqu'à la fin de 2020. Mais l’accord du G20 ne couvre pas les créanciers privés qui, pour certains pays émergents comme le Mexique, représentent la majorité des créances de dette souveraine.

Sans participation du secteur privé, tout allégement de la dette officielle risque d’être tout simplement utilisé pour rembourser la dette auprès des créanciers privé. Il serait tout à fait inutile que les créanciers officiels allègent le fardeau de la dette des pays pauvres si cela se traduit uniquement par un transfert vers les créanciers commerciaux.

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Tous les créanciers privés doivent donc participer sur un pied d'égalité à toute suspension du service de la dette, à la fois par souci d'équité fondamentale et pour garantir un financement adéquat aux pays émergents. Leur participation ne peut être simplement volontaire. Si tel était le cas, l'allégement accordé par les créanciers privés qui accepteraient de participer servirait à subventionner ceux qui refuseraient de participer.

L'histoire économique suggère qu'une partie importante de créanciers privés refuserait purement et simplement de participer à une suspension de paiements, surtout lorsque leurs propres bilans sont touchés par la crise économique liée à la pandémie. Pour que les pays en voie de développement puissent résister au choc du COVID-19, il est donc impératif que la suspension de paiements s’applique à tous les créanciers privés.

Nous proposons que chaque pays émergent qui le souhaiterait puisse créer une facilité centrale de crédit auprès d’une institution multilatérale telle que la Banque mondiale, leur permettant de déposer les paiements d'intérêts dus, qui pourront alors être utilisés comme financement d’urgence pour lutter contre la pandémie. Les amortissements de capital survenant au cours de cette période seraient également reportés, de sorte que tout le service de la dette serait suspendu pendant cette période.

L’institution multilatérale qui superviserait cette suspension de payement surveillerait la facilité de crédit de chaque pays afin de s’assurer que les paiements qui, autrement, auraient été versés aux créanciers, ne soient utilisés que pour le financement d’urgence de la lutte contre le COVID-19. Une fois la pandémie mondiale terminée, tous les financements de cette facilité d'urgence seraient remboursés par le pays à ses créanciers.

Le droit de nombreux pays inclut la notion de force majeure qui autorise la suspension de l’exécution des contrats en raison d'événements imprévisibles qui empêchent l’exécution normale des contrats, et cela sans dédommagement. Le droit public international contient une clause similaire, appelée « doctrine de nécessité ». Elle reconnait que les États peuvent parfois avoir à faire face à des circonstances exceptionnelles, qui nécessitent d'interrompre l'exécution normale de leurs engagements contractuels.

Le COVID-19 remplit toutes ces conditions. Les pays gravement touchés par cette pandémie devront déployer toutes leurs ressources financières disponibles pour la combattre. Ils doivent obtenir ces fonds de plusieurs sources - en détournant les dépenses affectées à d'autres fins, en obtenant des prêts ou des subventions des institutions officielles et en réorientant l'argent qui était destiné au service de la dette.

Les pays qui se trouvent dans cette situation n'agiront pas de manière discrétionnaire. Bien au contraire, ils seront dans la nécessité d’agir ainsi, au sens premier du terme. Tous les organismes internationaux, et en particulier les pays du G20, devraient reconnaître publiquement cet état de fait, et recommander un arrêt temporaire des paiements de la dette bilatérale et commerciale des pays pauvres et émergents confrontés au COVID-19.

Certains peuvent craindre qu'une suspension de payement ne détruise le marché de la dette souveraine. Mais cette crainte devrait être tempérée par le fait que la pandémie de COVID-19 représente un choc exceptionnellement rare pour l’économie mondiale. C'est pourquoi elle s'accompagne de la récession mondiale la plus sévère depuis la Grande Dépression, de politiques globales de confinement jamais vues, et de politiques monétaires et budgétaires sans précédent dans les pays riches. La pandémie a provoqué le premier report des Jeux olympiques d'été, qui devaient avoir lieu à Tokyo en juillet et août, en temps de paix.

Si le Comité international olympique et le Japon ont pu reporter les Jeux Olympiques de 2020, le G20 peut certainement organiser un report du remboursement de la dette souveraine privée des pays émergents et en développement, afin de maintenir l'économie mondiale en vie jusqu'à des temps meilleurs.

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