CAMBRIDGE – Alors que les dirigeants du monde se réunissent à Glasgow pour la COP26 (Conférence de l'ONU sur le changement climatique), il y a de plus en plus d'effervescence autour du potentiel des énergies vertes. Mais voici la triste réalité : globalement, les énergies fossiles comptent pour 80% des sources d'énergie – le même pourcentage que lors de la signature en fanfare de l'Accord de Paris sur le climat il y a 6 ans. Et bien que nombre de pays n'aient pas retrouvé le niveau de PIB qui était le leur avant la pandémie, la planète est en voie de connaître cette année sa seconde plus forte augmentation annuelle d'émission de CO2 de tous les temps?
Le récent rapport d'importance publié par l'Agence internationale de l'énergie, World Energy Outlook, qui reste l'étalon-or de l'analyse énergétique, apporte une note d'optimisme : il souligne ce qui peut être fait pour limiter le réchauffement climatique. Mais garder la porte ouverte à 1,5°C implique tellement d'éléments, d'innovations, d'adaptations, mais aussi de sacrifices, qu'il est difficile de voir comment réussir sans fixer un prix mondial du carbone jugé nécessaire par la plupart des économistes. Une taxe sur le carbone permet d'encourager les mesures de réduction des émissions, de les coordonner et d'allouer les ressources en conséquence - ce que les planificateurs nationaux ne peuvent faire.
L'idée d'une taxe sur le carbone reste un anathème politique aux USA ; brièvement évoquée lors des récentes négociations budgétaires, elle a été abandonnée comme une patate chaude. À la place, le président Biden va promouvoir un ensemble de mesures (par exemple le passage aux voitures électriques et la fin du développement des combustibles fossiles) qui sont pour la plupart de bonnes idées, mais qui appliquées simultanément, sont beaucoup plus coûteuses et moins efficaces qu'une taxe sur le carbone.
L'Union européenne, avec son Système d'échange de quotas d'émission (une alternative à la taxe sur le carbone qui plafonne les quotas d'émission et permet de les échanger), a fait plus de progrès en terme de tarification du carbone. Pourtant, ce système ne couvre actuellement que 50 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE et octroie de nombreux quotas gratuitement. Il n'est donc pas étonnant que les responsables politiques des pays émergents et à faible revenu réagissent avec cynisme lorsqu'on leur demande de risquer de ralentir leur développement économique pour lutter contre le réchauffement climatique. Nombre d'entre eux demandent pourquoi les accords internationaux sur le climat ne poussent pas tous les pays à atteindre un niveau similaire d'émissions par habitant.
Même si une taxe mondiale sur le carbone se concrétisait comme par magie, le monde aurait toujours besoin d'un mécanisme de transfert des ressources et du savoir-faire vers les pays en développement pour éviter qu'ils ne deviennent les principaux émetteurs de CO2. J'ai défendu l'idée de créer une Banque mondiale du carbone qui disposerait de l'expertise technique, faciliterait l'échange des meilleures pratiques et aiderait à canaliser des centaines de milliards de dollars de subventions et de prêts vers les pays à faible revenu.
L'adhésion des pays en développement est essentielle. Le charbon qui représente 30 % des émissions mondiales de CO2 est à la fois bon marché et abondant dans des pays comme l'Inde et la Chine. 21 pays se sont engagés à éliminer progressivement les centrales à charbon, mais la quasi-totalité d'entre eux se trouvent en Europe, et ils ne représentent que 5% des centrales de ce type dans le monde. L'engagement récent de la Chine de ne plus en construire à l'étranger est un bon début. Mais la Chine elle-même compte pour plus de la moitié de l'électricité produite par le charbon dans le monde, et de nombreux autres pays (comme le Vietnam) vont probablement construire davantage de centrales à charbon par eux-mêmes.
En outre, même avec une taxe sur le carbone, les régulateurs devront s'attaquer à une myriade de problèmes : décider où construire des éoliennes, comment démanteler les anciennes centrales à charbon, dans quelle mesure le gaz naturel peut servir de source d'énergie de transition… L'énergie éolienne et solaire étant intermittente, il y a tout lieu de redonner une impulsion à l'énergie nucléaire. Cela suppose de recourir à des technologies modernes beaucoup plus sûres pour construire des centrales nucléaires de grande capacité et de petits réacteurs nucléaires comme ceux que l'on trouve à bord des sous-marins nucléaires.
Les partis politiques verts vont peut-être se hérisser à cette idée, mais la connaissance du climat doit être associée à celle de l'énergie. Parvenir à des émissions nettes de CO2 nulles d'ici 2050, date à laquelle le monde pourrait compter deux milliards d'habitants de plus qu'aujourd'hui, suppose des choix difficiles.
Convaincre les décideurs politiques et l'opinion publique de faire ces choix n'est pas facile. Le manque de vent de l'été dernier a contribué à la crise énergétique actuelle en Europe, aussi les dirigeants du continent espèrent-ils que le président russe Poutine fournira davantage de gaz naturel à la région. De même, le prix de l'énergie étant appelé à monter en flèche cet hiver, M. Biden a imploré les pays de l'OPEP de produire davantage de pétrole, alors même que son gouvernement tente de réduire la production nationale de combustibles fossiles.
Investir dans l'environnement, le social et la gouvernance est à la mode et a pu sembler au moins pendant un moment, très rentable. Mais du fait de la nouvelle hausse du prix de l'énergie, ce n'est peut-être plus le cas. Même si les pays avancés (dont probablement les USA et l'Australie, aussi récalcitrante soit-elle) interdisent la prospection de sources d'énergie fossile, du fait de leur situation, les pays moins développés resteront fortement incités à intensifier l'exploitation de leurs propres sources d'énergie - même si cela s'accompagne d'émissions de CO2.
L'Agence internationale de l'énergie estime que limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est réalisable. C'est un signe encourageant, même si les difficultés pour y parvenir sont considérables. Néanmoins, il reste à voir si la rapidité de décision des responsables politiques sera à la mesure de la vitesse du réchauffement climatique. Espérons que le 26° sommet sur le climat sera le bon !
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
CAMBRIDGE – Alors que les dirigeants du monde se réunissent à Glasgow pour la COP26 (Conférence de l'ONU sur le changement climatique), il y a de plus en plus d'effervescence autour du potentiel des énergies vertes. Mais voici la triste réalité : globalement, les énergies fossiles comptent pour 80% des sources d'énergie – le même pourcentage que lors de la signature en fanfare de l'Accord de Paris sur le climat il y a 6 ans. Et bien que nombre de pays n'aient pas retrouvé le niveau de PIB qui était le leur avant la pandémie, la planète est en voie de connaître cette année sa seconde plus forte augmentation annuelle d'émission de CO2 de tous les temps?
Le récent rapport d'importance publié par l'Agence internationale de l'énergie, World Energy Outlook, qui reste l'étalon-or de l'analyse énergétique, apporte une note d'optimisme : il souligne ce qui peut être fait pour limiter le réchauffement climatique. Mais garder la porte ouverte à 1,5°C implique tellement d'éléments, d'innovations, d'adaptations, mais aussi de sacrifices, qu'il est difficile de voir comment réussir sans fixer un prix mondial du carbone jugé nécessaire par la plupart des économistes. Une taxe sur le carbone permet d'encourager les mesures de réduction des émissions, de les coordonner et d'allouer les ressources en conséquence - ce que les planificateurs nationaux ne peuvent faire.
L'idée d'une taxe sur le carbone reste un anathème politique aux USA ; brièvement évoquée lors des récentes négociations budgétaires, elle a été abandonnée comme une patate chaude. À la place, le président Biden va promouvoir un ensemble de mesures (par exemple le passage aux voitures électriques et la fin du développement des combustibles fossiles) qui sont pour la plupart de bonnes idées, mais qui appliquées simultanément, sont beaucoup plus coûteuses et moins efficaces qu'une taxe sur le carbone.
L'Union européenne, avec son Système d'échange de quotas d'émission (une alternative à la taxe sur le carbone qui plafonne les quotas d'émission et permet de les échanger), a fait plus de progrès en terme de tarification du carbone. Pourtant, ce système ne couvre actuellement que 50 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE et octroie de nombreux quotas gratuitement. Il n'est donc pas étonnant que les responsables politiques des pays émergents et à faible revenu réagissent avec cynisme lorsqu'on leur demande de risquer de ralentir leur développement économique pour lutter contre le réchauffement climatique. Nombre d'entre eux demandent pourquoi les accords internationaux sur le climat ne poussent pas tous les pays à atteindre un niveau similaire d'émissions par habitant.
Même si une taxe mondiale sur le carbone se concrétisait comme par magie, le monde aurait toujours besoin d'un mécanisme de transfert des ressources et du savoir-faire vers les pays en développement pour éviter qu'ils ne deviennent les principaux émetteurs de CO2. J'ai défendu l'idée de créer une Banque mondiale du carbone qui disposerait de l'expertise technique, faciliterait l'échange des meilleures pratiques et aiderait à canaliser des centaines de milliards de dollars de subventions et de prêts vers les pays à faible revenu.
L'adhésion des pays en développement est essentielle. Le charbon qui représente 30 % des émissions mondiales de CO2 est à la fois bon marché et abondant dans des pays comme l'Inde et la Chine. 21 pays se sont engagés à éliminer progressivement les centrales à charbon, mais la quasi-totalité d'entre eux se trouvent en Europe, et ils ne représentent que 5% des centrales de ce type dans le monde. L'engagement récent de la Chine de ne plus en construire à l'étranger est un bon début. Mais la Chine elle-même compte pour plus de la moitié de l'électricité produite par le charbon dans le monde, et de nombreux autres pays (comme le Vietnam) vont probablement construire davantage de centrales à charbon par eux-mêmes.
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En outre, même avec une taxe sur le carbone, les régulateurs devront s'attaquer à une myriade de problèmes : décider où construire des éoliennes, comment démanteler les anciennes centrales à charbon, dans quelle mesure le gaz naturel peut servir de source d'énergie de transition… L'énergie éolienne et solaire étant intermittente, il y a tout lieu de redonner une impulsion à l'énergie nucléaire. Cela suppose de recourir à des technologies modernes beaucoup plus sûres pour construire des centrales nucléaires de grande capacité et de petits réacteurs nucléaires comme ceux que l'on trouve à bord des sous-marins nucléaires.
Les partis politiques verts vont peut-être se hérisser à cette idée, mais la connaissance du climat doit être associée à celle de l'énergie. Parvenir à des émissions nettes de CO2 nulles d'ici 2050, date à laquelle le monde pourrait compter deux milliards d'habitants de plus qu'aujourd'hui, suppose des choix difficiles.
Convaincre les décideurs politiques et l'opinion publique de faire ces choix n'est pas facile. Le manque de vent de l'été dernier a contribué à la crise énergétique actuelle en Europe, aussi les dirigeants du continent espèrent-ils que le président russe Poutine fournira davantage de gaz naturel à la région. De même, le prix de l'énergie étant appelé à monter en flèche cet hiver, M. Biden a imploré les pays de l'OPEP de produire davantage de pétrole, alors même que son gouvernement tente de réduire la production nationale de combustibles fossiles.
Investir dans l'environnement, le social et la gouvernance est à la mode et a pu sembler au moins pendant un moment, très rentable. Mais du fait de la nouvelle hausse du prix de l'énergie, ce n'est peut-être plus le cas. Même si les pays avancés (dont probablement les USA et l'Australie, aussi récalcitrante soit-elle) interdisent la prospection de sources d'énergie fossile, du fait de leur situation, les pays moins développés resteront fortement incités à intensifier l'exploitation de leurs propres sources d'énergie - même si cela s'accompagne d'émissions de CO2.
L'Agence internationale de l'énergie estime que limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est réalisable. C'est un signe encourageant, même si les difficultés pour y parvenir sont considérables. Néanmoins, il reste à voir si la rapidité de décision des responsables politiques sera à la mesure de la vitesse du réchauffement climatique. Espérons que le 26° sommet sur le climat sera le bon !
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz