sherif1_ HOSHANG HASHIMIAFP via Getty Images_girls school afghanistan HOSHANG HASHIMI/AFP via Getty Images

Une crise de l’éducation sous celle du climat

NEW YORK – Le changement climatique menace l’avenir même de l’humanité. Des villages entiers sont aujourd’hui emportés par la mer, et les conflits autour de ressources qui se raréfient s’intensifient un peu partout dans le monde. Chaque année, des événements climatiques extrêmes contraignent toujours plus de familles au déplacement, et créent un cercle vicieux de pauvreté, de faim aiguë et d’insécurité.

Alors que nous célébrons le jour de la Terre, nous devons élargir notre champ de vision et comprendre les liens, qui se renforcent, entre la crise du climat et celle de l’éducation – un domaine où il devient urgent de traduire en actes dignes de ce nom les bonnes intentions et les engagements financiers. L’éducation des populations les plus fragiles dans le monde – principalement des filles et des garçons déplacés suite à des catastrophes climatiques, des conflits armés ou d’interminables crises politiques –, doit devenir l’une des priorités absolues dans la course de vitesse pour la protection de l’humanité et la construction d’un avenir durable pour les prochaines générations.

Le défi à relever ne connaît pas de précédent. On prévoit déjà que plus de 140 millions de personnes seront déplacées au cours des trente prochaines années en raison du changement climatique, en Asie du Sud, en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, pour un coût de quelque 7 900 milliards de dollars. Cette vague de migrations et de déplacements de masse perturbera les initiatives prises dans le monde pour étendre une gouvernance démocratique et responsable et pour atteindre les cibles fixées par les objectifs de développement durable et l’accord de Paris sur le climat.

Déjà confrontées aux injustices qui frappent des enfants marginalisés et vulnérables n’ayant en rien contribué aux problèmes, les filles – notamment les adolescentes – sont souvent les premières arrachées à l’école lorsque surviennent les sécheresses, les glissements de terrain, les inondations et autres catastrophes, et elles sont les dernières à y retourner, quand toutefois elles y retournent. Faute d’accès à l’éducation, ces filles s’exposent à des risques accrus d’exploitation sexuelle, de mariage précoce, de grossesse non désirée et sont à la merci du travail des enfants.

Cela équivaut à une perte tragique de capital humain. Le Fonds Malala estime qu’en 2021, les événements liés au changement climatique empêcheront quatre millions de filles, au moins, de poursuivre leur cursus scolaire dans les pays en développement. Et ce nombre pourrait atteindre 12 millions en 2025.

Nous devons commencer à effectuer les rapprochements nécessaires entre ces questions. En incluant l’assistance à l’éducation dans leur agenda climatique, les pouvoirs publics peuvent remplacer le cercle vicieux du déplacement, de la pauvreté et de l’insécurité par un nouveau cercle vertueux. Les filles qui ont fait des études sont de puissants moteurs du changement. Grâce à des études adaptées, des jeunes qui sont aujourd’hui marginalisés et vulnérables pourront construire demain des économies et des collectivités plus solides et plus résilientes. 

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Les chiffres ne mentent pas. De récentes études montrent qu’une année supplémentaire d’école primaire pour les filles peut augmenter de 10 % à 20 % le revenu par habitant. À l’inverse, le prix des difficultés d’intégration des filles dans l’enseignement secondaire est estimé à une perte de productivité de 15 000 à 30 000 milliards de dollars. Les gains prévisibles pourraient constituer une immense différence dans la lutte contre le changement climatique et la construction de sociétés plus fortes.

La recherche prouve aussi que les filles qui ont fait des études sauvent des vies. Une étude de 2013, qui analysait les liens entre l’éducation des filles et la réduction des risques induits par les catastrophes, montre que si 70 % des femmes âgées de 20 à 39 ans ont reçu une formation équivalente à celle du collège, les morts causés par les catastrophes pourraient être réduits de 60 % d’ici 2050.

Au-delà de ces tristes statistiques brillent des lueurs d’espoir. Il n’est qu’à prendre l’Afghanistan, où l’augmentation des sécheresses et des inondations ainsi que des conditions météorologiques extrêmes déplacent les familles et déclenchent des conflits. Si les droits fondamentaux des femmes et des filles afghanes ont longtemps été systématiquement bafoués, des femmes enseignent désormais dans ce pays les sciences et la biologie, permettant à une nouvelle génération de filles d’acquérir son autonomie. Dans les zones rurales, les filles qui n’ont pas encore pu recevoir d’éducation ont accès à des environnements sûrs de formation, à des cours dispensés localement dans des centres éducatifs. Et la politique nationale d’éducation est guidée par une approche volontariste pour amener plus de filles à fréquenter l’école.

Dans le Sahel, où les populations doivent faire face à la raréfaction continuelle des ressources et fuient des températures toujours plus extrêmes ainsi que les sécheresses, ce sont les enfants qui sont les principaux laissés pour compte. Pourtant, dans des pays comme le Tchad, la communauté internationale s’est rassemblée pour soutenir des programmes éducatifs qui ont témoigné sur plusieurs années de leur capacité de résilience, avec l’aide de fonds mondiaux, comme L’éducation ne peut attendre, fonds géré par les Nations Unies. Grâce à ces investissements collectifs, des filles acquièrent des compétences dans les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques, qui leur offriront des opportunités supplémentaires de prospérité – et qui peut-être feront d’elles de puissantes défenseuses du développement durable et de la résilience climatique.

Au Mozambique, les enfants sont aujourd’hui confrontés à la triple menace du changement climatique, de l’insécurité engendrée par les violences et du Covid-19. Mais avec les aides actuelles, garçons et filles peuvent désormais avoir accès à des services d’éducation à distance, et suivre leurs cours sur la télévision, à la radio ou sur des tablettes. Ces enfants sauront quoi faire lorsque frappera le prochain cyclone. Grâce à l’éducation, ils deviennent plus résilients, plus conscients, et ont plus de moyens d’action.

Pour conjurer les risques de plus en plus nombreux encourus par les enfants dans les pays en développement – risques renforcés dans les contextes de crise – nous devons agir sans délai, collectivement, en considérant les problèmes dans leur ensemble, pour lier éducation et changement climatique. Pour les donateurs, les pouvoirs publics et les dirigeants du secteur privé, cela signifie que l’éducation devrait figurer en tant que telle, avec des allocations de crédits spécifiques, dans les contributions à l’accord de Paris, dans les mesures de lutte contre le Covid-19 et dans les plans globaux de développement décarboné et de résilience climatique. Dans la perspective de la 26e conférence des parties sur le changement climatique (COP26) qui doit se tenir au mois de novembre à Glasgow, ainsi que dans celle des autres réunions internationales, le financement de l’éducation – tout particulièrement de l’éducation des filles vulnérables – devrait figurer en tête des priorités de l’agenda international.

L’espoir ne suffit pas. Nous devons adopter des mesures volontaristes pour garantir dans le long terme la survie de l’humanité. Ce choix dépend de nous. Investir dans l’éducation des filles, c’est investir dans notre humanité commune, notre économie commune et l’avenir commun de la planète.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

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