NEW HAVEN – Dans le cadre du débat de plus en plus tendu sur la terrible guerre en Ukraine, mon récent article, Seule la Chine peut stopper la Russie, a suscité des réactions très vives, qu'elles soient négatives ou positives. En Occident la majorité de l'opinion publique et des dirigeants s'accordent sur la nécessité de prendre des mesures exceptionnelles dans une période elle-même exceptionnelle et reconnaissent que la Chine a un rôle important à jouer dans la résolution du conflit. Néanmoins, à écouter ceux qui prennent en compte les préoccupations de la Russie concernant la sécurité à ses frontières et l'élargissement de l'OTAN, il n'y pas de raison que la Chine intervienne. Mais que l'on soit favorable ou pas à l'intervention de la Chine, il faut répondre à une question évidente : que peut-elle faire pour restaurer la paix et la sécurité en Ukraine ? Elle peut prendre trois initiatives cruciales :
1) Appeler par la voix de son président, Xi Jinping, à un sommet en urgence du G20 pour parvenir à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et proposer un calendrier pour des négociations de paix. C'est à l'occasion d'un sommet du G20 en novembre 2008 que les principaux dirigeants du monde ont réussi à adopter une position commune face à la dernière crise financière mondiale. Aussi le G20 est-il reconnu comme le lieu propice pour décider d'une action internationale en cas de crise. La Chine et la Russie étant membres de cette instance, elle pourrait jouer un rôle similaire aujourd'hui. Pour preuve de son engagement personnel, Xi pourrait sortir hors de ses frontières (sans doute en raison de la pandémie, il ne les a pas franchies depuis 2 ans) et participer à en personne à ce sommet - de même que le président Poutine.
2) Contribuer substantiellement à l'aide humanitaire. Les enfants comptant au moins pour la moitié des plus de deux millions de réfugiés ukrainiens (ils devraient être bientôt quatre millions), il y a urgence à apporter une aide humanitaire aux pays d'accueil voisins de l'Ukraine. La Chine devrait faire un don sans conditions de 50 milliards de dollars à l'UNICEF, la plus grande agence internationale d'aide aux enfants en détresse.
3) Participer à la reconstruction de l'Ukraine. La brutale campagne de bombardements de la Russie vise à pulvériser les infrastructures urbaines du pays. Le gouvernement ukrainien estime actuellement à quelques 10 milliards de dollars le coût de leur reconstruction - un montant qui pourrait augmenter fortement dans les jours et les semaines à venir. La reconstruction sera une tâche urgente mais très lourde pour un pays qui se classait en 2020 au 120° rang mondial en terme de PIB/habitant en parité du pouvoir d'achat. A l'issue du conflit, la Chine devrait mettre à profit ses compétences de pointe en matière d'infrastructures modernes pour fournir à l'Ukraine un soutien financier de 3,5 milliards de dollars (de pair avec la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures qu'elle dirige). Cette aide servirait notamment aux activités liées aux infrastructures de l'initiative chinoise Ceinture et Route dont l'Ukraine est membre depuis 2017. C'est le moment du plan Marshall de la Chine.
Le plan que je propose est loin d'être parfait. Mais alors que l'Ukraine brûle et que son peuple (notamment ses enfants) souffre de difficultés insondables, ce plan est préférable à l'alternative consistant à prolonger cette guerre tragique. Il est vrai qu'il peut mettre la Chine dans une position inconfortable, mais tenir le rôle de grande puissance responsable n'est jamais facile. Alors que l'Europe est peut-être au bord d'une guerre comme elle n'en a pas connu depuis 75 ans, c'est le moment pour la Chine de se montrer à la hauteur. Il ne faut pas s'y tromper : cette guerre ne concerne pas seulement l'Europe. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, ce conflit met deux superpuissances nucléaires sur la voie d'une confrontation dangereuse, porteuse selon Poutine lui-même, de "conséquences... telles que vous n'en avez jamais vues dans toute votre Histoire."
Seule la Chine peut ramener Poutine à la raison. Il reste inébranlable face aux sanctions occidentales des plus fermes qui conduisent l'économie russe au bord de l'effondrement. Cet effondrement pourrait se produire rapidement sans le partenariat "illimité" annoncé il y a à peine plus d'un mois de la Russie avec la Chine. La relation sino-russe compte beaucoup plus pour Poutine que n'importe quel dégât dû aux sanctions occidentales.
L'Empire du Milieu pourrait faire le choix de privilégier son partenariat avec la Russie au détriment de ses responsabilités à l'égard de la paix mondiale Les dommages collatéraux auxquels s'expose sont de plus en plus évidents. Comme je l'avais prévu, alors que l'Occident continue de renforcer les sanctions draconiennes contre la Russie, de hauts responsables américains envisagent ouvertement des sanctions contre les entreprises chinoises qui commercent avec la Russie. La Chine doit agir dès maintenant si elle ne veut pas être visée par des sanctions qui s'étendent rapidement.
Pour une nation qui adhère profondément à des principes, le choix est évident. Depuis l'époque de Zhou Enlai au milieu des années 1950, la Chine est fermement attachée aux Cinq principes de la coexistence pacifique, notamment le respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale, la non-agression mutuelle et la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. L'invasion de l'Ukraine par la Russie constitue une violation manifeste de ces principes sacro-saints. Si elle veut rester fidèle à ses valeurs fondamentales, la Chine ne peut échapper à cette conclusion.
Ceci dit, comme le montre son récent accord de partenariat avec la Russie, la Chine s'inquiète de l'expansion de l'OTAN et de la sécurité des frontières russes. Là encore, la Chine peut prendre l'initiative en mettant ces questions sur la table lors d'un sommet d'urgence du G20. En assumant une position de leader, elle aura amplement l'occasion de jouer le rôle de médiateur qui pèse les risques et propose des solutions. Mais la guerre doit d'abord prendre fin.
Depuis 10 ans, dans une rhétorique parfois enflammée, Xi affiche sa détermination et fait preuve de méthode pour engager son pays sur une voie nouvelle. Il ambitionne un renouveau pour l'Empire du Milieu après plus d'un siècle d'humiliation. Il veut que la Chine accède d'ici 2049 au statut de grande puissance en tant que "nation socialiste moderne", et plus récemment à la prospérité collective pour le pays le plus peuplé de la planète. Néanmoins, il arrive que son discours sonne creux. La crise actuelle appelle à bien plus que des slogans et des promesses. C'est l'occasion pour la Chine de montrer par des actes qu'elle veut avancer vers son objectif de longue date d'accéder au rang de grande puissance responsable sur la scène internationale.
Cela peut soulever des questions difficiles pour le reste du monde, mais c'est surtout le problème de l'Occident qui n'a pas été particulièrement efficace pour éviter la tragédie en cours. Il faut répéter le message, "Seule la Chine peut arrêter la Russie".
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
NEW HAVEN – Dans le cadre du débat de plus en plus tendu sur la terrible guerre en Ukraine, mon récent article, Seule la Chine peut stopper la Russie, a suscité des réactions très vives, qu'elles soient négatives ou positives. En Occident la majorité de l'opinion publique et des dirigeants s'accordent sur la nécessité de prendre des mesures exceptionnelles dans une période elle-même exceptionnelle et reconnaissent que la Chine a un rôle important à jouer dans la résolution du conflit. Néanmoins, à écouter ceux qui prennent en compte les préoccupations de la Russie concernant la sécurité à ses frontières et l'élargissement de l'OTAN, il n'y pas de raison que la Chine intervienne. Mais que l'on soit favorable ou pas à l'intervention de la Chine, il faut répondre à une question évidente : que peut-elle faire pour restaurer la paix et la sécurité en Ukraine ? Elle peut prendre trois initiatives cruciales :
1) Appeler par la voix de son président, Xi Jinping, à un sommet en urgence du G20 pour parvenir à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel et proposer un calendrier pour des négociations de paix. C'est à l'occasion d'un sommet du G20 en novembre 2008 que les principaux dirigeants du monde ont réussi à adopter une position commune face à la dernière crise financière mondiale. Aussi le G20 est-il reconnu comme le lieu propice pour décider d'une action internationale en cas de crise. La Chine et la Russie étant membres de cette instance, elle pourrait jouer un rôle similaire aujourd'hui. Pour preuve de son engagement personnel, Xi pourrait sortir hors de ses frontières (sans doute en raison de la pandémie, il ne les a pas franchies depuis 2 ans) et participer à en personne à ce sommet - de même que le président Poutine.
2) Contribuer substantiellement à l'aide humanitaire. Les enfants comptant au moins pour la moitié des plus de deux millions de réfugiés ukrainiens (ils devraient être bientôt quatre millions), il y a urgence à apporter une aide humanitaire aux pays d'accueil voisins de l'Ukraine. La Chine devrait faire un don sans conditions de 50 milliards de dollars à l'UNICEF, la plus grande agence internationale d'aide aux enfants en détresse.
3) Participer à la reconstruction de l'Ukraine. La brutale campagne de bombardements de la Russie vise à pulvériser les infrastructures urbaines du pays. Le gouvernement ukrainien estime actuellement à quelques 10 milliards de dollars le coût de leur reconstruction - un montant qui pourrait augmenter fortement dans les jours et les semaines à venir. La reconstruction sera une tâche urgente mais très lourde pour un pays qui se classait en 2020 au 120° rang mondial en terme de PIB/habitant en parité du pouvoir d'achat. A l'issue du conflit, la Chine devrait mettre à profit ses compétences de pointe en matière d'infrastructures modernes pour fournir à l'Ukraine un soutien financier de 3,5 milliards de dollars (de pair avec la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures qu'elle dirige). Cette aide servirait notamment aux activités liées aux infrastructures de l'initiative chinoise Ceinture et Route dont l'Ukraine est membre depuis 2017. C'est le moment du plan Marshall de la Chine.
Le plan que je propose est loin d'être parfait. Mais alors que l'Ukraine brûle et que son peuple (notamment ses enfants) souffre de difficultés insondables, ce plan est préférable à l'alternative consistant à prolonger cette guerre tragique. Il est vrai qu'il peut mettre la Chine dans une position inconfortable, mais tenir le rôle de grande puissance responsable n'est jamais facile. Alors que l'Europe est peut-être au bord d'une guerre comme elle n'en a pas connu depuis 75 ans, c'est le moment pour la Chine de se montrer à la hauteur. Il ne faut pas s'y tromper : cette guerre ne concerne pas seulement l'Europe. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale, ce conflit met deux superpuissances nucléaires sur la voie d'une confrontation dangereuse, porteuse selon Poutine lui-même, de "conséquences... telles que vous n'en avez jamais vues dans toute votre Histoire."
Seule la Chine peut ramener Poutine à la raison. Il reste inébranlable face aux sanctions occidentales des plus fermes qui conduisent l'économie russe au bord de l'effondrement. Cet effondrement pourrait se produire rapidement sans le partenariat "illimité" annoncé il y a à peine plus d'un mois de la Russie avec la Chine. La relation sino-russe compte beaucoup plus pour Poutine que n'importe quel dégât dû aux sanctions occidentales.
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L'Empire du Milieu pourrait faire le choix de privilégier son partenariat avec la Russie au détriment de ses responsabilités à l'égard de la paix mondiale Les dommages collatéraux auxquels s'expose sont de plus en plus évidents. Comme je l'avais prévu, alors que l'Occident continue de renforcer les sanctions draconiennes contre la Russie, de hauts responsables américains envisagent ouvertement des sanctions contre les entreprises chinoises qui commercent avec la Russie. La Chine doit agir dès maintenant si elle ne veut pas être visée par des sanctions qui s'étendent rapidement.
Pour une nation qui adhère profondément à des principes, le choix est évident. Depuis l'époque de Zhou Enlai au milieu des années 1950, la Chine est fermement attachée aux Cinq principes de la coexistence pacifique, notamment le respect de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale, la non-agression mutuelle et la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. L'invasion de l'Ukraine par la Russie constitue une violation manifeste de ces principes sacro-saints. Si elle veut rester fidèle à ses valeurs fondamentales, la Chine ne peut échapper à cette conclusion.
Ceci dit, comme le montre son récent accord de partenariat avec la Russie, la Chine s'inquiète de l'expansion de l'OTAN et de la sécurité des frontières russes. Là encore, la Chine peut prendre l'initiative en mettant ces questions sur la table lors d'un sommet d'urgence du G20. En assumant une position de leader, elle aura amplement l'occasion de jouer le rôle de médiateur qui pèse les risques et propose des solutions. Mais la guerre doit d'abord prendre fin.
Depuis 10 ans, dans une rhétorique parfois enflammée, Xi affiche sa détermination et fait preuve de méthode pour engager son pays sur une voie nouvelle. Il ambitionne un renouveau pour l'Empire du Milieu après plus d'un siècle d'humiliation. Il veut que la Chine accède d'ici 2049 au statut de grande puissance en tant que "nation socialiste moderne", et plus récemment à la prospérité collective pour le pays le plus peuplé de la planète. Néanmoins, il arrive que son discours sonne creux. La crise actuelle appelle à bien plus que des slogans et des promesses. C'est l'occasion pour la Chine de montrer par des actes qu'elle veut avancer vers son objectif de longue date d'accéder au rang de grande puissance responsable sur la scène internationale.
Cela peut soulever des questions difficiles pour le reste du monde, mais c'est surtout le problème de l'Occident qui n'a pas été particulièrement efficace pour éviter la tragédie en cours. Il faut répéter le message, "Seule la Chine peut arrêter la Russie".
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz