NEW DELHI – Ces derniers jours, on ne parle plus que de la tarification du carbone - du moins dans les pays développés. Mais si les dirigeants et experts mondiaux – la plupart d'entre eux originaires des pays riches – adoptent de plus en plus l'idée de fixer « un juste prix » pour le carbone, le concept demeure vague et mal défini. Pire encore, son acceptation croissante et la tournure de plus en plus protectionniste qu'il impose pourraient avoir pour effet pervers d'entraver les efforts visant à décarboner l'économie mondiale.
L'idée d'une tarification du carbone semble aller de soi. Atteindre les objectifs climatiques même les moins ambitieux exige la décarbonation des économies développées comme des économies en développement. Une modification des prix relatifs des activités à forte intensité en carbone encouragerait les investisseurs à financer les sources d'énergie renouvelables et les innovations technologiques nécessaires pour atteindre zéro émission nette.
Les carburants fossiles sont responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et les hydrocarbures semblent donc être un bon point de départ. Mais comment s'y prendre ? Les décideurs devraient-ils considérer le prix relatif des carburants fossiles, ou la production basée sur leur consommation ?
Les deux formes les plus communément évoquées de tarification du carbone – les systèmes de plafonnement et d'échange des droits d'émission et les taxes sur le carbone – se fondent sur l'intensité en carbone de la production. Un système de plafonnement et d'échange des droits d'émission est conçu pour limiter les émissions de gaz à effet de serre en divisant le montant total cible en quotas qui peuvent être échangés entre les émetteurs les plus élevés et les plus faibles. Bien que cela soit censé établir un prix du marché pour les émissions de dioxyde de carbone, cela ne tient pas compte de leurs externalités sociales et environnementales négatives. Une taxe carbone, en revanche, fixe un prix sur le carbone en taxant les activités à forte intensité d'émissions.
Mais ces deux modèles reflètent une vision très étroite (et peut-être même déformée) de la manière dont le carbone doit être évalué dans le système économique. Un rapport de 2017 de la Commission de haut niveau sur les prix du carbone, présidée par Joseph E. Stiglitz et Nicholas Stern, a fourni une analyse beaucoup plus nuancée. Outre les droits d'émission et les taxes carbone, le rapport recommandait de réduire ou d'éliminer les subventions aux carburants fossiles et de créer de nouvelles incitations financières pour les projets à faible émission de carbone ; de compenser l'impact négatif de la tarification du carbone sur la distribution en utilisant les bénéfices pour financer des politiques visant à protéger les populations pauvres et vulnérables ; et des politiques complémentaires, telles que les investissements dans les transports publics et les énergies renouvelables. Ce qui est peut-être le plus important, ont souligné les auteurs, c'est que les pays doivent être en mesure de choisir des instruments qui correspondent à leurs circonstances, à leurs ressources et à leurs besoins spécifiques.
Dans leur enthousiasme croissant en faveur de la tarification du carbone et des mesures d'ajustement frontalier, les décideurs et experts ont largement ignoré ces points. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'Union européenne en est un bon exemple. Lorsque le MACF entrera en vigueur en octobre, il imposera une taxe sur les importations à forte intensité de carbone afin de « fixer un juste prix sur le carbone émis pendant la production de marchandises à forte intensité de carbone qui entrent dans l'UE » et « d'encourager une production industrielle plus propre dans les pays non membres de l'UE » (c'est nous qui soulignons).
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Le MACF s'appliquera d'abord aux importations de ciment, de fer et d'acier, d'aluminium, d'engrais, d'électricité et l'hydrogène. Dans un premier temps, les entreprises devront simplement déclarer les émissions (directes et indirectes) intégrées dans les marchandises qu'elles importent. Mais à partir de 2026, l'UE imposera des droits de douane sur ces émissions sur la base du prix hebdomadaire moyen des enchères des quotas de permis d'émission.
L'objectif déclaré de cette mesure est d'éliminer les soi-disant « fuites de carbone » et de s'assurer que les efforts climatiques de l'UE ne sont pas compromis par le déplacement de la production vers les pays ayant des normes d'émission plus faibles. En fait, cet objectif protège les entreprises européennes des concurrents de ces pays.
En taxant les importations vers l'UE, le MACF impose aux exportateurs d'autres pays la tâche presque impossible de mesurer les émissions. La plupart des pays en développement (et de nombreux pays développés) ne disposent pas de données précises sur les émissions propres à chaque entreprise, sans parler de la capacité à suivre les émissions de tous les intrants utilisés. Même si de telles données étaient disponibles, les coûts de collecte et d'analyse de ces données au fil du temps seraient énormes. Comme l'a noté la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement en 2021, le MACF tente « d'imposer aux pays en développement les normes environnementales que les pays développés choisissent ».
L'UE veut être considérée comme un leader mondial sur le changement climatique, mais il est difficile de voir le MACF comme autre chose qu'un dispositif protectionniste. Alors que le MACF vise à encourager les pays en dehors du bloc à réduire leurs émissions en imposant leurs propres taxes sur le carbone, l'UE n'a rien fait pour aider les pays exportateurs à attirer de nouveaux investissements verts ou à accéder à de nouvelles technologies. En fait, l'UE a constamment manqué à sa parole sur ses (dérisoires) promesses sur le financement du climat et sur les engagements pris par les dirigeants européens dans le cadre de l'Accord de Rio de 1992, en limitant l'accès aux technologies vertes contrôlées par les entreprises basées dans l'UE.
Pendant des décennies, les économies avancées ont exporté leurs émissions vers les pays en développement en délocalisant leur production à forte intensité de carbone, puis en important ces produits. À présent que des technologies plus vertes sont disponibles (et largement contrôlées par) des entreprises occidentales, les pays développés encouragent le remaniement sans partage des connaissances ou de la finance, sapant ainsi les perspectives économiques des pays à revenu faible et intermédiaire et leur capacité à réaliser une transition verte.
En février, le Sénateur républicain américain Bill Cassidy a déclaré qu'il allait dévoiler un projet de loi sur les droits de douane sur les émissions dans les mois à venir, à la suite de propositions similaires de la part de sénateurs démocrates. Pendant ce temps, les législateurs des deux côtés de l'Atlantique n'ont pas fait grand-chose pour limiter la production et le commerce de carburants fossiles – de loin les plus grandes sources d'émissions de CO2. Le MACF ne couvre pas le commerce des carburants fossiles. En outre, les droits de douane proposés aux États-Unis ne seraient pas couverts non plus. Si la décarbonation est le véritable objectif, plutôt que de protéger les industries nationales, alors la réglementation et la réduction des subventions directes et indirectes aux carburants fossiles sont des politiques beaucoup plus prometteuses.
Pour que la tarification du carbone réussisse, les pays développés doivent démontrer leur engagement en faveur d'une prospérité partagée en permettant le partage des connaissances et en favorisant un financement équitable du climat. S'ils continuent de se concentrer sur les taxes frontalières sur les marchandises produites (principalement) dans les pays en développement, leurs efforts de tarification du carbone échoueront. Pire encore, ils vont exacerber les inégalités mondiales et renforcer l'impression que toute leur noble rhétorique sur la nécessité d'une coopération internationale pour lutter contre le changement climatique n'est qu'une feuille de route pour des politiques cyniques et égoïstes.
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At the end of a year of domestic and international upheaval, Project Syndicate commentators share their favorite books from the past 12 months. Covering a wide array of genres and disciplines, this year’s picks provide fresh perspectives on the defining challenges of our time and how to confront them.
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NEW DELHI – Ces derniers jours, on ne parle plus que de la tarification du carbone - du moins dans les pays développés. Mais si les dirigeants et experts mondiaux – la plupart d'entre eux originaires des pays riches – adoptent de plus en plus l'idée de fixer « un juste prix » pour le carbone, le concept demeure vague et mal défini. Pire encore, son acceptation croissante et la tournure de plus en plus protectionniste qu'il impose pourraient avoir pour effet pervers d'entraver les efforts visant à décarboner l'économie mondiale.
L'idée d'une tarification du carbone semble aller de soi. Atteindre les objectifs climatiques même les moins ambitieux exige la décarbonation des économies développées comme des économies en développement. Une modification des prix relatifs des activités à forte intensité en carbone encouragerait les investisseurs à financer les sources d'énergie renouvelables et les innovations technologiques nécessaires pour atteindre zéro émission nette.
Les carburants fossiles sont responsables de la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et les hydrocarbures semblent donc être un bon point de départ. Mais comment s'y prendre ? Les décideurs devraient-ils considérer le prix relatif des carburants fossiles, ou la production basée sur leur consommation ?
Les deux formes les plus communément évoquées de tarification du carbone – les systèmes de plafonnement et d'échange des droits d'émission et les taxes sur le carbone – se fondent sur l'intensité en carbone de la production. Un système de plafonnement et d'échange des droits d'émission est conçu pour limiter les émissions de gaz à effet de serre en divisant le montant total cible en quotas qui peuvent être échangés entre les émetteurs les plus élevés et les plus faibles. Bien que cela soit censé établir un prix du marché pour les émissions de dioxyde de carbone, cela ne tient pas compte de leurs externalités sociales et environnementales négatives. Une taxe carbone, en revanche, fixe un prix sur le carbone en taxant les activités à forte intensité d'émissions.
Mais ces deux modèles reflètent une vision très étroite (et peut-être même déformée) de la manière dont le carbone doit être évalué dans le système économique. Un rapport de 2017 de la Commission de haut niveau sur les prix du carbone, présidée par Joseph E. Stiglitz et Nicholas Stern, a fourni une analyse beaucoup plus nuancée. Outre les droits d'émission et les taxes carbone, le rapport recommandait de réduire ou d'éliminer les subventions aux carburants fossiles et de créer de nouvelles incitations financières pour les projets à faible émission de carbone ; de compenser l'impact négatif de la tarification du carbone sur la distribution en utilisant les bénéfices pour financer des politiques visant à protéger les populations pauvres et vulnérables ; et des politiques complémentaires, telles que les investissements dans les transports publics et les énergies renouvelables. Ce qui est peut-être le plus important, ont souligné les auteurs, c'est que les pays doivent être en mesure de choisir des instruments qui correspondent à leurs circonstances, à leurs ressources et à leurs besoins spécifiques.
Dans leur enthousiasme croissant en faveur de la tarification du carbone et des mesures d'ajustement frontalier, les décideurs et experts ont largement ignoré ces points. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'Union européenne en est un bon exemple. Lorsque le MACF entrera en vigueur en octobre, il imposera une taxe sur les importations à forte intensité de carbone afin de « fixer un juste prix sur le carbone émis pendant la production de marchandises à forte intensité de carbone qui entrent dans l'UE » et « d'encourager une production industrielle plus propre dans les pays non membres de l'UE » (c'est nous qui soulignons).
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En taxant les importations vers l'UE, le MACF impose aux exportateurs d'autres pays la tâche presque impossible de mesurer les émissions. La plupart des pays en développement (et de nombreux pays développés) ne disposent pas de données précises sur les émissions propres à chaque entreprise, sans parler de la capacité à suivre les émissions de tous les intrants utilisés. Même si de telles données étaient disponibles, les coûts de collecte et d'analyse de ces données au fil du temps seraient énormes. Comme l'a noté la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement en 2021, le MACF tente « d'imposer aux pays en développement les normes environnementales que les pays développés choisissent ».
L'UE veut être considérée comme un leader mondial sur le changement climatique, mais il est difficile de voir le MACF comme autre chose qu'un dispositif protectionniste. Alors que le MACF vise à encourager les pays en dehors du bloc à réduire leurs émissions en imposant leurs propres taxes sur le carbone, l'UE n'a rien fait pour aider les pays exportateurs à attirer de nouveaux investissements verts ou à accéder à de nouvelles technologies. En fait, l'UE a constamment manqué à sa parole sur ses (dérisoires) promesses sur le financement du climat et sur les engagements pris par les dirigeants européens dans le cadre de l'Accord de Rio de 1992, en limitant l'accès aux technologies vertes contrôlées par les entreprises basées dans l'UE.
Pendant des décennies, les économies avancées ont exporté leurs émissions vers les pays en développement en délocalisant leur production à forte intensité de carbone, puis en important ces produits. À présent que des technologies plus vertes sont disponibles (et largement contrôlées par) des entreprises occidentales, les pays développés encouragent le remaniement sans partage des connaissances ou de la finance, sapant ainsi les perspectives économiques des pays à revenu faible et intermédiaire et leur capacité à réaliser une transition verte.
En février, le Sénateur républicain américain Bill Cassidy a déclaré qu'il allait dévoiler un projet de loi sur les droits de douane sur les émissions dans les mois à venir, à la suite de propositions similaires de la part de sénateurs démocrates. Pendant ce temps, les législateurs des deux côtés de l'Atlantique n'ont pas fait grand-chose pour limiter la production et le commerce de carburants fossiles – de loin les plus grandes sources d'émissions de CO2. Le MACF ne couvre pas le commerce des carburants fossiles. En outre, les droits de douane proposés aux États-Unis ne seraient pas couverts non plus. Si la décarbonation est le véritable objectif, plutôt que de protéger les industries nationales, alors la réglementation et la réduction des subventions directes et indirectes aux carburants fossiles sont des politiques beaucoup plus prometteuses.
Pour que la tarification du carbone réussisse, les pays développés doivent démontrer leur engagement en faveur d'une prospérité partagée en permettant le partage des connaissances et en favorisant un financement équitable du climat. S'ils continuent de se concentrer sur les taxes frontalières sur les marchandises produites (principalement) dans les pays en développement, leurs efforts de tarification du carbone échoueront. Pire encore, ils vont exacerber les inégalités mondiales et renforcer l'impression que toute leur noble rhétorique sur la nécessité d'une coopération internationale pour lutter contre le changement climatique n'est qu'une feuille de route pour des politiques cyniques et égoïstes.