WASHINGTON – Le Printemps Arabe serait-il en train de se convertir en un automne morose ? Le camp des sceptiques gagne du terrain au regard des violentes répressions en Syrie, de la sanglante guerre civile en Libye et d’un Yémen vacillant au bord du chaos. Les mouvements pro-démocratie égyptiens et tunisiens sont parvenus à des changements rapides, mais des incertitudes persistent dans ces pays, aussi. Après une brève période d’espoir, de nombreux observateurs se demandent maintenant si la région est capable de produire des démocraties durables économiquement dynamiques.
Les révolutions et leurs retombées sont, bien sûr, toujours des périodes fragiles et instables, et l’issue est souvent indécise. Réduire le vaste fossé entre les attentes élevées et la réalité budgétaire et les moyens limités est un test en soi. Réparer les injustices du passé et bâtir une économie capable d’offrir des opportunités pour tous sont aussi des défis majeurs que la volatilité, l’incertitude et les risques d’opportunisme politique fragilisent.
Mais les transitions sont aussi des périodes de vastes opportunités. Dans les années 90, j’étais parmi les Indonésiens qui ont demandé et célébré le départ de notre propre autocrate, Suharto, et j’ai rejoint le nouveau gouvernement après son départ. De nombreux observateurs avaient prédit que l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé du monde, serait incapable de maintenir une démocratie pour finalement tomber dans le chaos. La tâche qui nous attendait était considérable. Mais nous avons donné tort aux sceptiques et retenu des leçons fondamentales.
Ce qui est peut-être le plus important c’est que nous avons appris qu’il n’y a pas de solution unique pour la démocratisation. Chaque pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord sera confronté à ses propres défis, et devra trouver ses propres solutions. Même ainsi, ils devront tous rompre réellement et symboliquement avec leur passé. Les nouvelles autorités se doivent d’envoyer des signaux forts quant à leur détermination à rompre avec les vieilles habitudes.
Le changement doit être formalisé par de nouvelles lois largement rendues publiques. Il est crucial que la législation octroie aux citoyens liberté d’expression, des élections libres et indépendantes, et liberté de réunion, et l’opinion publique doit savoir que nul n’est au-dessus des lois. C’est le minimum à garantir à moins de saper la transition.
En outre, la corruption est partout le fléau du développement ; les gouvernements doivent donc agir vite pour établir des institutions et des procédures afin de la combattre. La transparence et la responsabilisation sont de puissantes idées qui recueillent un soutien quasi universel, ce qui signifie que les nouvelles autorités ne devraient pas abandonner lorsque la bataille devient difficile. Les organisations de la société civile, les communautés locales, les représentants des pauvres et des vulnérables et les femmes jouent un rôle vital dans ce domaine et devraient être invités à prendre part à tous les niveaux du processus de décision.
Nous avons votés une centaine de lois en moins de 18 mois en Indonésie, couvrant tout depuis la liberté de la presse aux élections, la corruption, la décentralisation et les mesures anti-trust. Nous avons ratifié une nouvelle législation pour les finances publiques et garanti l’indépendance de la banque centrale du pays.
Les nouveaux dirigeants doivent aussi s’attendre à essuyer des revers qu’ils devront gérer. Dans les situations postrévolutionnaires, les attentes sont élevées et les obstacles, énormes. Je sais par expérience que nous n’avons pas toujours eu le luxe d’obtenir les meilleurs résultats. Nous avons du faire des compromis et nous contenter des meilleurs résultats possibles.
Les menaces de sécurité sont parmi les revers les plus sévères dans les situations transitionelles. Le sentiment nationaliste est fort, et les responsables politiques et les groupes de pression peuvent l’exploiter. Souvent, les forces de sécurité sont des rescapés de l’ancien régime et il n’y a pas de système judiciaire indépendant. Les réformes prennent du temps, et les anciennes bureaucraties ne sont pas forcément capables de les mettre en place.
En Indonésie, nous avons mis en place plusieurs innovations pour gérer ce genre de dilemme. Nous avons par exemple nommé un juge indépendant à la tête des tribunaux de lutte contre la faillite et la corruption, parce que les juges de carrière étaient trop impliqués. De même, lorsque nous avons démarré les programmes rémunération-contre-travail dans le cadre de notre action en faveur des pauvres, nous avons confié la gestion de ces initiatives aux communautés locales.
Plus largement, les nouveaux dirigeants seraient bien avisés de s’assurer de la bonne performance de l’économie. Il est important de restaurer l’activité économique et de créer un environnement favorable pour les entrepreneurs, particulièrement les petites et moyennes entreprises qui constituent le principal moteur de la création d’emploi. Les récentes révolutions, doit-on le rappeler, ont commencé par l’auto-immolation d’un vendeur de fruits, harcelé et insulté par les autorités.
Mais le succès économique sans responsabilisation ni inclusion sociale n’est pas viable et les nouveaux gouvernements sont souvent confrontés à des choix difficiles pour protéger les pauvres et les vulnérables. Ils devront peut-être supprimer certaines subventions mal ciblées pour libérer des ressources en faveur de programmes plus ciblés et efficaces pour combattre la pauvreté et générer de l’emploi.
En Indonésie, nous avons du départager les très pauvres des presque pauvres. Nous ne pouvions nous permettre d’augmenter les salaires ou de distribuer des subventions à tous. Notre aide devait être ciblée. Nous avons donc apporté notre aide aux plus nécessiteux en excluant ceux qui n’étaient pas assez pauvres pour en être bénéficiaire. Ce fut un choix difficile et impopulaire.
Finalement, les pays en transition ont besoin de soutien – financier bien sûr, mais aussi de savoir-faire technique pour mettre en place des réformes très complexes. Lorsque j’ai été nommée ministre des Finances, j’étais à la tête de 64 000 fonctionnaires. Mais lorsque nous avons dû moderniser notre système fiscal, nous n’avons pu trouver nulle part dans le pays l’expertise nécessaire.
Oui, il nous fallait une aide extérieure, mais nous n’avons jamais abandonné la « propriété » de notre processus de réforme ; nous avons fait en sorte que cela fonctionne pour nous. Si nous, Indonésiens, n’avions pas été en charge de notre propre transition, elle aurait pu facilement échouer. Cette leçon aussi est l’une de celles que les pays en transition doivent garder à l’esprit.
WASHINGTON – Le Printemps Arabe serait-il en train de se convertir en un automne morose ? Le camp des sceptiques gagne du terrain au regard des violentes répressions en Syrie, de la sanglante guerre civile en Libye et d’un Yémen vacillant au bord du chaos. Les mouvements pro-démocratie égyptiens et tunisiens sont parvenus à des changements rapides, mais des incertitudes persistent dans ces pays, aussi. Après une brève période d’espoir, de nombreux observateurs se demandent maintenant si la région est capable de produire des démocraties durables économiquement dynamiques.
Les révolutions et leurs retombées sont, bien sûr, toujours des périodes fragiles et instables, et l’issue est souvent indécise. Réduire le vaste fossé entre les attentes élevées et la réalité budgétaire et les moyens limités est un test en soi. Réparer les injustices du passé et bâtir une économie capable d’offrir des opportunités pour tous sont aussi des défis majeurs que la volatilité, l’incertitude et les risques d’opportunisme politique fragilisent.
Mais les transitions sont aussi des périodes de vastes opportunités. Dans les années 90, j’étais parmi les Indonésiens qui ont demandé et célébré le départ de notre propre autocrate, Suharto, et j’ai rejoint le nouveau gouvernement après son départ. De nombreux observateurs avaient prédit que l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé du monde, serait incapable de maintenir une démocratie pour finalement tomber dans le chaos. La tâche qui nous attendait était considérable. Mais nous avons donné tort aux sceptiques et retenu des leçons fondamentales.
Ce qui est peut-être le plus important c’est que nous avons appris qu’il n’y a pas de solution unique pour la démocratisation. Chaque pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord sera confronté à ses propres défis, et devra trouver ses propres solutions. Même ainsi, ils devront tous rompre réellement et symboliquement avec leur passé. Les nouvelles autorités se doivent d’envoyer des signaux forts quant à leur détermination à rompre avec les vieilles habitudes.
Le changement doit être formalisé par de nouvelles lois largement rendues publiques. Il est crucial que la législation octroie aux citoyens liberté d’expression, des élections libres et indépendantes, et liberté de réunion, et l’opinion publique doit savoir que nul n’est au-dessus des lois. C’est le minimum à garantir à moins de saper la transition.
En outre, la corruption est partout le fléau du développement ; les gouvernements doivent donc agir vite pour établir des institutions et des procédures afin de la combattre. La transparence et la responsabilisation sont de puissantes idées qui recueillent un soutien quasi universel, ce qui signifie que les nouvelles autorités ne devraient pas abandonner lorsque la bataille devient difficile. Les organisations de la société civile, les communautés locales, les représentants des pauvres et des vulnérables et les femmes jouent un rôle vital dans ce domaine et devraient être invités à prendre part à tous les niveaux du processus de décision.
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Nous avons votés une centaine de lois en moins de 18 mois en Indonésie, couvrant tout depuis la liberté de la presse aux élections, la corruption, la décentralisation et les mesures anti-trust. Nous avons ratifié une nouvelle législation pour les finances publiques et garanti l’indépendance de la banque centrale du pays.
Les nouveaux dirigeants doivent aussi s’attendre à essuyer des revers qu’ils devront gérer. Dans les situations postrévolutionnaires, les attentes sont élevées et les obstacles, énormes. Je sais par expérience que nous n’avons pas toujours eu le luxe d’obtenir les meilleurs résultats. Nous avons du faire des compromis et nous contenter des meilleurs résultats possibles.
Les menaces de sécurité sont parmi les revers les plus sévères dans les situations transitionelles. Le sentiment nationaliste est fort, et les responsables politiques et les groupes de pression peuvent l’exploiter. Souvent, les forces de sécurité sont des rescapés de l’ancien régime et il n’y a pas de système judiciaire indépendant. Les réformes prennent du temps, et les anciennes bureaucraties ne sont pas forcément capables de les mettre en place.
En Indonésie, nous avons mis en place plusieurs innovations pour gérer ce genre de dilemme. Nous avons par exemple nommé un juge indépendant à la tête des tribunaux de lutte contre la faillite et la corruption, parce que les juges de carrière étaient trop impliqués. De même, lorsque nous avons démarré les programmes rémunération-contre-travail dans le cadre de notre action en faveur des pauvres, nous avons confié la gestion de ces initiatives aux communautés locales.
Plus largement, les nouveaux dirigeants seraient bien avisés de s’assurer de la bonne performance de l’économie. Il est important de restaurer l’activité économique et de créer un environnement favorable pour les entrepreneurs, particulièrement les petites et moyennes entreprises qui constituent le principal moteur de la création d’emploi. Les récentes révolutions, doit-on le rappeler, ont commencé par l’auto-immolation d’un vendeur de fruits, harcelé et insulté par les autorités.
Mais le succès économique sans responsabilisation ni inclusion sociale n’est pas viable et les nouveaux gouvernements sont souvent confrontés à des choix difficiles pour protéger les pauvres et les vulnérables. Ils devront peut-être supprimer certaines subventions mal ciblées pour libérer des ressources en faveur de programmes plus ciblés et efficaces pour combattre la pauvreté et générer de l’emploi.
En Indonésie, nous avons du départager les très pauvres des presque pauvres. Nous ne pouvions nous permettre d’augmenter les salaires ou de distribuer des subventions à tous. Notre aide devait être ciblée. Nous avons donc apporté notre aide aux plus nécessiteux en excluant ceux qui n’étaient pas assez pauvres pour en être bénéficiaire. Ce fut un choix difficile et impopulaire.
Finalement, les pays en transition ont besoin de soutien – financier bien sûr, mais aussi de savoir-faire technique pour mettre en place des réformes très complexes. Lorsque j’ai été nommée ministre des Finances, j’étais à la tête de 64 000 fonctionnaires. Mais lorsque nous avons dû moderniser notre système fiscal, nous n’avons pu trouver nulle part dans le pays l’expertise nécessaire.
Oui, il nous fallait une aide extérieure, mais nous n’avons jamais abandonné la « propriété » de notre processus de réforme ; nous avons fait en sorte que cela fonctionne pour nous. Si nous, Indonésiens, n’avions pas été en charge de notre propre transition, elle aurait pu facilement échouer. Cette leçon aussi est l’une de celles que les pays en transition doivent garder à l’esprit.