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Ce qui n'a pas été conté sur l'échec de l'Occident en Afghanistan

CHICAGO – Le retrait des États-Unis d'Afghanistan a attiré l'attention du monde entier. Le chaos, la détresse et la tristesse générale des laissés pour compte de l'Amérique et de ses alliés ont suscité bon nombre de critiques. Il semble inconcevable que 20 ans de guerre, des dizaines de milliers de vies et 2 billions de dollars n'aient pas suffi à bâtir un nouvel Afghanistan.

Quand on enquête sur les causes de la débâcle de l'Occident, ce ne sont ni les accusations, ni les coupables qui manquent. Mais on éprouve une grande réticence à évoquer le problème le plus fondamental : l'absence d'une identité nationale afghane commune et la réticence de la coalition menée par les États-Unis à veiller à son épanouissement.

Tous les États fonctionnels ont une certaine identité nationale commune. Elle se distingue le plus souvent par des définitions religieuses, linguistiques ou ethniques, qui sont parfois créées explicitement dans le but de construire une nation. Au cours du XIXe siècle, par exemple, les Prussiens ont créé l'identité ethnique germanique et l'ont promue sur l'ensemble de leur territoire en expansion. La nouvelle langue allemande était liée à l'ancien haut allemand, mais n'existait pas vraiment avant que les Prussiens ne tentent d'édifier une nouvelle nation allemande. La construction d'une nation en France et en Italie aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, respectivement, s'est déroulée de la même manière.

Les identités nationales évoluent de manière organique, mais elles sont en général encouragées par des mesures gouvernementales proactives, centrées principalement sur des projets d'éducation publique fondamentale. C'est parce que les écoles peuvent influencer les jeunes et les personnes impressionnables en leur enseignant une langue commune, en enseignant une histoire commune et en encourageant une culture commune.

Les dirigeants américains des XVIIIe et XIXe siècles pensaient que les écoles publiques contribueraient à relever le défi de l'intégration des immigrants du monde entier et les feraient se sentir américains. Le président George Washington et le réformateur de l'éducation Horace Mann, par exemple, ont soutenu que les écoles étaient essentielles pour établir des valeurs civiques communes et l'unité d'une nation.

Mais l'établissement d'une identité nationale est un processus qui demande du temps. Les écoles publiques ne se construisent pas en un jour, de même que le développement des programmes d'études et la formation des personnels enseignants. Il faut ensuite de nombreuses années pour éduquer les enfants, avant qu'ils ne finissent par assumer des rôles de leadership dans la société. Les États-Unis ont eu besoin de plusieurs générations en vue de parvenir à une unité suffisante pour résoudre les désaccords politiques nationaux sans conflit armé. Et même alors, l'enseignement exclusivement en anglais n'est devenu la norme dans les écoles élémentaires américaines que dans les années 1930.

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Ces derniers temps, aucun pays n'a plus besoin d'une identité commune que l'Afghanistan, qui compte 14 groupes ethniques officiellement reconnus qui, en général, vivent dans quatre régions géographiques distinctes et parlent entre 40 et 59 langues maternelles. Le pays était divisé par un conflit civil de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles, lorsque la coalition menée par les États-Unis l'a envahi en 2001 et cette histoire a rendu la confiance et la coopération encore plus difficiles à établir.

Un élément d'identité partagée ne s'est pas cristallisé au moment du retrait des forces occidentales. La guerre civile sans fin et les récents événements dans le pays ont montré que ses divisions politiques fondées sur les ethnies et les idiomes sont aussi profondes à ce jour qu'au moment où les États-Unis ont débuté leur occupation il y a 20 ans.

Bien que les États-Unis aient investi d'énormes sommes d'argent et mobilisé des efforts considérables pour augmenter le niveau global d'éducation, ils ont laissé les écoles afghanes sans programme d'études commun. Et bien que le pays ait deux langues officielles, le dari et le pachtou, et que les médias publient et diffusent dans les deux langues, de nombreux Afghans ne parlent encore qu'une seule langue ou aucune des deux.

Au lieu de promouvoir une identité nationale commune, les États-Unis et leurs alliés occidentaux se sont tenus à l'écart de toute action ou de toute langue qui risquait de les incriminer d'insensibilité culturelle. Leur crainte n'était pas sans fondement compte tenu des terribles politiques d'assimilation culturelle et d'éradication que les pays occidentaux ont historiquement menées chez eux et à l'étranger.

Mais les identités nationales ne doivent pas être discriminatoires ni établies de manière coercitive. Des pays européens comme la Suisse ont montré qu'il est possible de forger une identité nationale commune avec plusieurs langues. Le point essentiel consiste à enseigner à tous les enfants plusieurs langues afin que la langue ne soit pas un facteur de division. De même, l'histoire commune d'un pays peut inclure tous les peuples qui y ont vécu.

En outre, les incitations à l'éducation peuvent être proposées en douceur. Il n'est pas nécessaire de répéter les terribles erreurs du passé en obligeant les enfants appartenant à des minorités ethniques à fréquenter des pensionnats, comme l'ont fait les États-Unis, le Canadaet l'Australie au XIXe siècle et au début du XXe siècle. De nombreuses preuves montrent que des incitations monétaires et en nature peuvent augmenter de manière significative la fréquentation scolaire dans les pays en développement.

La difficulté de telles politiques réside en partie dans le temps nécessaire à leur mise en place. Tout d'abord, les pays ont besoin de suffisamment d'enseignants pour pouvoir enseigner un programme commun dans plusieurs langues communes. Aux États-Unis, même dans les années 1920, de nombreuses écoles ont dispensé des cours dans les langues natales des immigrants, parce que ces langues étaient celles que parlaient les enseignants.

En outre, même si une première génération enseigne à une deuxième génération, plus unifiée au niveau national et qui participe par la suite à la vie politique et économique d'un pays une fois qu'elle a atteint l'âge adulte, on ne peut s'attendre toutefois à voir les effets sur l'identité nationale s'exprimer avant au moins 40 ans. Et les États-Unis et leurs alliés n'ont jamais voulu rester en Afghanistan aussi longtemps.

Vingt ans, c'est bien trop long pour une guerre, mais bien trop court pour construire une identité nationale stable. Il n'est donc pas surprenant que l'Occident ait échoué dans sa tâche d'unification du peuple afghan, parce que l'Occident n'a jamais été prêt à favoriser l'unité nationale de manière significative. Peu importe la date du retrait, ce dernier devait laisser les Afghans aussi fragmentés qu'auparavant et avec le même choix entre deux maux : un gouvernement répressif ou la guerre civile.

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