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Les élections américaines vont bouleverser le statu quo stratégique de l'Europe

BERLIN - À deux mois des élections américaines, les décideurs européens sont passés des scénarios cauchemardesques de Donald Trump – nouvelles guerres commerciales, abandon de l'Ukraine, retrait de l'OTAN – à une émotion qu'ils avaient presque oubliée : l'espoir. L'accession de la vice-présidente Kamala Harris à la tête du parti démocrate a réduit l'avance de Donald Trump dans les sondages  et a permis aux Européens d'envisager des alternatives à leur scénario catastrophe.

Pourtant, même si Harris l'emporte, il serait insensé de s'attendre à une continuité totale avec l'administration de Joe Biden. L'Europe n'est pas préparée à ce qui l'attend.

Alors que les propos de Trump et de J.D. Vance sur la fin du soutien américain à l'Ukraine ont déclenché des alarmes dans les capitales européennes, la stratégie ukrainienne d'une administration Harris s'écarterait probablement elle aussi du statu quo. Au fur et à mesure que la guerre progresse, les responsables américains ne croient plus que l'Ukraine parviendra à conquérir et à conserver suffisamment de terrain pour sortir de l'impasse actuelle. Malgré l'offensive des Ukrainiens dans la région russe de Koursk, ils continuent de perdre du terrain à Donetsk. La récupération du territoire perdu depuis février 2022 devient chaque jour plus improbable.

Par conséquent, une administration Harris devrait chercher à renforcer la position de l'Ukraine à court terme afin de s'orienter vers un règlement du conflit. Sachant mieux que quiconque que leur situation est sombre, les Ukrainiens ont cherché un moyen de sortir de l'impasse. Bien qu'ils aient lancé leur stratégie de Koursk, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré en juillet qu'il souhaitait que la « phase chaude » de la guerre prenne fin cette année. En privé, les dirigeants ukrainiens espèrent peut-être que les États-Unis les pousseront à la table des négociations, ce qui leur donnerait la couverture politique dont ils ont besoin pour changer de cap. De telles discussions sont déjà bien engagées à Washington.

Cela pourrait choquer les Européens (y compris le prochain Haut représentant pour les affaires étrangères), qui continuent à parler de soutenir l'Ukraine « aussi longtemps qu'il le faudra » et dont la rhétorique n'a guère changé depuis le 24 février 2022. Quoi qu'il arrive, le défi pour les Européens est de veiller à ce que la guerre ne débouche pas sur une « paix » aux conditions russes : une Ukraine démilitarisée contrainte d'abandonner ses aspirations à rejoindre l'OtanN et l'Union européenne.

La politique commerciale sera un autre enjeu majeur. Trump promet des droits de douane de 10 % sur toutes les importations et de nouveaux droits de douane de 60 % ou plus sur tous les produits en provenance de Chine (en plus de toutes les restrictions déjà introduites par l'administration Biden). Face aux droits de douane américains et aux pressions exercées par l'administration Trump pour qu'elle applique ses propres droits de douane sur les produits chinois, l'Europe se trouverait dans une position extrêmement difficile.

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Mais, encore une fois, il n'y a aucune raison de penser que Harris aurait une politique chinoise nettement plus souple que Biden (dont l'approche a été beaucoup plus dure que celle de Trump lorsqu'il était en fonction). Le consensus anti-Chine aux États-Unis est solide, et dans ses rares déclarations publiques sur le sujet, Harris a exprimé un soutien fort à Taïwan et s'est plainte que la Chine déverse des « produits de qualité inférieure dans notre économie ». Si son colistier, Tim Walz, s'est rendu en Chine à de nombreuses reprises, il l'a fait essentiellement en tant que défenseur des droits de l'homme.

Contrairement à Trump, Harris a exprimé son soutien au réseau d'alliances de l'Amérique. Mais cet engagement pourrait l'amener à attendre davantage des alliés des États-Unis. De plus, comme elle n'est pas une atlantiste convaincue comme Biden, la tendance générale de la politique étrangère américaine à s'éloigner de l'Europe et à se rapprocher de l'Asie persisterait. Lorsque les Européens parlent d'investir davantage dans la défense, ils devraient se demander s'ils essaient simplement d'apaiser Trump ou s'ils veulent vraiment assurer leur propre sécurité à long terme.

Une grande partie de la tâche consistant à envisager ce qu'une présidence Trump ou Harris signifierait pour l'Europe incombera à la nouvelle Commission européenne. Elle devra commencer à préparer les Européens afin qu'ils ne paniquent pas si leurs craintes concernant l'Ukraine ou la Chine se concrétisent. Si elle ne le fait pas, la probabilité d'une réaction désordonnée augmentera, les petits États membres pouvant se retirer pour conclure des accords bilatéraux avec les États-Unis. Il appartiendra aux grands pays de calmer leurs homologues plus petits (dont beaucoup se trouvent en Europe de l'Est).

À cette fin, la refonte des relations avec le Royaume-Uni pourrait changer la donne. Si l'UE et le Royaume-Uni peuvent travailler de concert sur les questions géoéconomiques, ils disposeront d'une plus grande marge de manœuvre politique et d'un plus grand poids face aux États-Unis et à la Chine. Bien que le Royaume-Uni ne puisse pas remplacer les États-Unis, sa réintégration dans les cadres européens de défense et de technologie pourrait considérablement renforcer la position stratégique du continent. Le nouveau gouvernement du Premier ministre britannique Keir Starmer s'est déjà engagé dans un partenariat renforcé en matière de sécurité et de défense avec l'Allemagne, et des accords similaires avec des membres de même sensibilité pourraient suivre, aboutissant à un pacte avec l'UE dans son ensemble.

La Pologne et les pays baltes et nordiques prendront probablement la tête des efforts déployés pour parvenir à ce résultat, mais le président français Emmanuel Macron pourrait s'avérer être le vote décisif. Adoptera-t-il une vision géopolitique visant à intégrer le Royaume-Uni dans le giron européen en matière de défense, de technologie et de climat ? Ou suivra-t-il les traces de Charles de Gaulle en mettant la Grande-Bretagne à l'écart, affaiblissant ainsi l'UE ? Une chose est sûre : que le prochain président américain soit Trump ou Harris, les Européens doivent commencer à se préparer à un changement.

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