OXFORD – Entre 2000 et 2015, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont axé les mentalités et les budgets sur la pauvreté à travers le monde, aboutissant à une amélioration significative des perspectives des populations dans certains des pays les plus pauvres de la planète. Le nouvel ensemble d'objectifs mondiaux, les Objectifs de développement durable (ODD), vise à capitaliser sur ces avancées, non seulement en éradiquant la pauvreté, mais également en appréhendant plusieurs autres défis, parmi lesquels l'amélioration de l'accès à l'éducation ou encore la préservation de l'environnement. Seulement voilà, cette fois-ci, les vents contraires soufflent violemment.
Plusieurs évolutions politiques récentes, telles que la crise des réfugiés au Moyen-Orient, viennent compliquer les programmes et les budgets des gouvernements, d'autant plus que les prix des produits de base ainsi que les investissements des économies émergentes, facteurs qui avaient jusqu'ici favorisé l'accomplissement des OMD, subissent désormais un effondrement. À défaut d'innovations audacieuses, il sera impossible de conférer une durabilité au nouvel agenda de développement.
À l'heure actuelle, les aides émanant des principaux donateurs se trouvent discrètement redéployées. En effet, la plupart des grands pays donateurs réorientent actuellement ces aides vers l'atténuation du flux de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, et particulièrement de Syrie. La crise des réfugiés a également modifié les priorités de politique intérieure. En Suède, pas moins de 30 % du budget des aides est aujourd'hui consacré à l'accueil des réfugiés, ce chiffre s'élevant à 20 % pour la Suisse.
D'autres fonds d'assistance issus des principaux donateurs se trouvent redéployés à des fins de sécurité, alloués à l'adaptation et à la lutte face au changements climatiques, ou encore consacrés à des objectifs nationaux. Au Royaume-Uni, par exemple, la nouvelle stratégie régissant les aides pour 2015 énonce une réorientation des ressources en faveur de priorités s'inscrivant plus clairement dans « l'intérêt national ».
Du côté des économies émergentes, les nouveaux flux d'assistance n'apparaissent pas plus prometteurs qu'ils l'étaient il y a cinq ans. Il a été estimé que l'aide chinoise était passée de 630 millions $ en l'an 2000 à 14,4 milliards $ pour la période 2010-2012. Néanmoins, l'actuel ralentissement de la croissance économique du pays laisser présager un même ralentissement de la croissance des budgets d'assistance. Et il ne faut pas s'attendre à ce que les autres économies émergentes viennent compenser ce manque, à l'heure où le Brésil, annoncé en 2010 comme un « acteur émergent parmi les donateurs », est aujourd'hui confronté à une crise économique et politique, ce qui est également le cas de l'Afrique du Sud.
Pour les pays en voie de développement, ces multiples défis se trouvent alourdis par l'instauration de nouvelles réglementations financières au sein des pays développés, lesquelles viennent entraver les flux d'investissement et de capitaux financiers en direction des pays en voie de développement. L'affaiblissement du revenu des économies en voie de développement accentue en retour le ralentissement de la demande globale, tandis que les prix des produits de base s'effondrent, ce qui constitue une véritable catastrophe pour les pays en voie de développement, comme l'a démontré le prix Nobel d'économie Angus Deaton. Pour couronner le tout, les politiques monétaires expansionnistes adoptée par les grandes puissances économiques viennent alimenter l'instabilité.
Dans ce contexte difficile, l'accomplissement des ODD – objectifs qui apparaitraient ambitieux même si tout allait bien – exigera que soit fourni un effort monumental. Afin de maximiser les chances de réussite, il s'agira avant tout d'utiliser aussi efficacement que possible chaque dollar canalisé en direction du développement. Ceci impliquera de repenser la manière dont les aides sont distribuées, et de soulever plusieurs questions difficiles auprès du réseau complexe des agences internationales qui délivrent ces aides, notamment concernant l'efficience de leurs opérations en termes de coûts.
Songez au Programme alimentaire mondial, qui a annoncé en juillet 2015 n'avoir d'autre choix que de réduire l'aide fournie aux réfugiés Syrien en Jordanie et au Liban – décision susceptible de priver de nourriture quelque 440 000 réfugiés, et par conséquent d'inciter à davantage de traversées périlleuses en Méditerranée. Bien que cette décision s'explique en partie par l'insuffisance des flux d'assistance, elle est également liée aux coûts que représentent les propres opérations du PAM. Un examen conduit par l'OCDE a mis en lumière les « coûts logistiques élevés » du PAM, ainsi que des « défaillances dans l'utilisation des appels d'offres internationaux », autant d'aspects qui affectent l'efficience du programme.
Bien qu'aucune comparaison directe n'ait été effectuée entre le PAM et d'autres entités donatrices en termes d'optimisation des coûts, certaines organisations se montrent hautement efficientes. Le BRAC, organisation bangladaise de développement connue comme la « plus grande ONG au monde », semble bel et bien parvenir à fournir ses aides pour une fraction du coût supporté par les organisation internationales régies par les pays occidentaux.
Comme l'a souligné le Département britannique pour le développement international, pour appuyer l'idée d'un partenariat stratégique avec l'organisation, le BRAC ne cesse d'innover afin de répondre plus efficacement aux besoins spécifiques des populations pauvres. L'organisation a par exemple été pionnière dans l'utilisation des technologies mobiles en matière de soins de santé, et défend l'idée de transferts d'argent (ou d'actifs générateurs de revenus) aux personnes plongées dans une extrême pauvreté.
Cette question des transferts d'argent est intéressante. En effet, l'utilité du don d'argent aux plus démunis apparaît a priori comme évidente et convaincante. Et pourtant, elle se heurte depuis bien longtemps à une conception victorienne selon laquelle les pauvres seraient imprévoyants et auraient systématiquement tendance à dilapider leur argent en alcool, en tabac et dans les jeux.
Ce n'est pourtant pas ce qu'il s'est produit au Mexique, dans le cadre d'une démarche de virement d'espèces aux familles les plus pauvres. Les enfants de ces familles en sont sortis mieux nourris et en meilleure santé que ceux qui avaient bénéficié d'un programme alimentaire 20 % plus coûteux à gérer. Des résultats similaires ont été observés en Équateur, en Inde et en Ouganda, de même que dans le cadre de plusieurs programmes d'aide humanitaire internationale. Une étude menée au Zimbabwe a par ailleurs démontré que dans la mesure où les plus démunis utilisaient cet argent nouvellement acquis pour acheter des biens et services auprès d'autres membres de leur communauté, ils généraient également davantage de revenus pour ces membres.
Bien entendu, toutes les aides ne peuvent être remplacées par des transferts d'argent. Néanmoins, dans certains cas, une telle approche offre l'opportunité de gains d'efficience considérables par rapport aux aides délivrées via des institutions complexes et coûteuses. Imaginez que puissent être éliminés les coûts liés à l'élaboration de programmes extrêmement détaillés, de conditions, de systèmes de supervision, et autres plans de formations intéressant les plus démunis. Imaginez un PAM qui n’ait plus à gérer la logistique, l'approvisionnement, le stockage et la distribution de quelque 3,2 tonnes métriques de nourriture, et qu'un délai de120 jours ne soit plus nécessaire pour réceptionner et distribuer cette nourriture aux pays bénéficiaires. D'après le rapport qu'il publie, le PAM développerait actuellement l'utilisation de transferts d'argent et de coupons. Peut-être s'agirait-il également de lui demander de justifier ses autres démarches, et de comparer ses coûts administratifs de transfert d'argent aux coûts enregistrés par le BRAC.
Au sein d'un environnement international difficile sur le plan économique et géopolitique, l'accomplissement des ODD ne sera possible qu'à condition d'exploiter le plus pleinement possible chaque dollar consacré au développement multilatéral. Et ceci pourrait signifier transférer bien davantage de dollars directement dans les mains de ceux qui en ont besoin.
Traduit de l'anglais par Martin Morel
OXFORD – Entre 2000 et 2015, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) ont axé les mentalités et les budgets sur la pauvreté à travers le monde, aboutissant à une amélioration significative des perspectives des populations dans certains des pays les plus pauvres de la planète. Le nouvel ensemble d'objectifs mondiaux, les Objectifs de développement durable (ODD), vise à capitaliser sur ces avancées, non seulement en éradiquant la pauvreté, mais également en appréhendant plusieurs autres défis, parmi lesquels l'amélioration de l'accès à l'éducation ou encore la préservation de l'environnement. Seulement voilà, cette fois-ci, les vents contraires soufflent violemment.
Plusieurs évolutions politiques récentes, telles que la crise des réfugiés au Moyen-Orient, viennent compliquer les programmes et les budgets des gouvernements, d'autant plus que les prix des produits de base ainsi que les investissements des économies émergentes, facteurs qui avaient jusqu'ici favorisé l'accomplissement des OMD, subissent désormais un effondrement. À défaut d'innovations audacieuses, il sera impossible de conférer une durabilité au nouvel agenda de développement.
À l'heure actuelle, les aides émanant des principaux donateurs se trouvent discrètement redéployées. En effet, la plupart des grands pays donateurs réorientent actuellement ces aides vers l'atténuation du flux de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, et particulièrement de Syrie. La crise des réfugiés a également modifié les priorités de politique intérieure. En Suède, pas moins de 30 % du budget des aides est aujourd'hui consacré à l'accueil des réfugiés, ce chiffre s'élevant à 20 % pour la Suisse.
D'autres fonds d'assistance issus des principaux donateurs se trouvent redéployés à des fins de sécurité, alloués à l'adaptation et à la lutte face au changements climatiques, ou encore consacrés à des objectifs nationaux. Au Royaume-Uni, par exemple, la nouvelle stratégie régissant les aides pour 2015 énonce une réorientation des ressources en faveur de priorités s'inscrivant plus clairement dans « l'intérêt national ».
Du côté des économies émergentes, les nouveaux flux d'assistance n'apparaissent pas plus prometteurs qu'ils l'étaient il y a cinq ans. Il a été estimé que l'aide chinoise était passée de 630 millions $ en l'an 2000 à 14,4 milliards $ pour la période 2010-2012. Néanmoins, l'actuel ralentissement de la croissance économique du pays laisser présager un même ralentissement de la croissance des budgets d'assistance. Et il ne faut pas s'attendre à ce que les autres économies émergentes viennent compenser ce manque, à l'heure où le Brésil, annoncé en 2010 comme un « acteur émergent parmi les donateurs », est aujourd'hui confronté à une crise économique et politique, ce qui est également le cas de l'Afrique du Sud.
Pour les pays en voie de développement, ces multiples défis se trouvent alourdis par l'instauration de nouvelles réglementations financières au sein des pays développés, lesquelles viennent entraver les flux d'investissement et de capitaux financiers en direction des pays en voie de développement. L'affaiblissement du revenu des économies en voie de développement accentue en retour le ralentissement de la demande globale, tandis que les prix des produits de base s'effondrent, ce qui constitue une véritable catastrophe pour les pays en voie de développement, comme l'a démontré le prix Nobel d'économie Angus Deaton. Pour couronner le tout, les politiques monétaires expansionnistes adoptée par les grandes puissances économiques viennent alimenter l'instabilité.
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Dans ce contexte difficile, l'accomplissement des ODD – objectifs qui apparaitraient ambitieux même si tout allait bien – exigera que soit fourni un effort monumental. Afin de maximiser les chances de réussite, il s'agira avant tout d'utiliser aussi efficacement que possible chaque dollar canalisé en direction du développement. Ceci impliquera de repenser la manière dont les aides sont distribuées, et de soulever plusieurs questions difficiles auprès du réseau complexe des agences internationales qui délivrent ces aides, notamment concernant l'efficience de leurs opérations en termes de coûts.
Songez au Programme alimentaire mondial, qui a annoncé en juillet 2015 n'avoir d'autre choix que de réduire l'aide fournie aux réfugiés Syrien en Jordanie et au Liban – décision susceptible de priver de nourriture quelque 440 000 réfugiés, et par conséquent d'inciter à davantage de traversées périlleuses en Méditerranée. Bien que cette décision s'explique en partie par l'insuffisance des flux d'assistance, elle est également liée aux coûts que représentent les propres opérations du PAM. Un examen conduit par l'OCDE a mis en lumière les « coûts logistiques élevés » du PAM, ainsi que des « défaillances dans l'utilisation des appels d'offres internationaux », autant d'aspects qui affectent l'efficience du programme.
Bien qu'aucune comparaison directe n'ait été effectuée entre le PAM et d'autres entités donatrices en termes d'optimisation des coûts, certaines organisations se montrent hautement efficientes. Le BRAC, organisation bangladaise de développement connue comme la « plus grande ONG au monde », semble bel et bien parvenir à fournir ses aides pour une fraction du coût supporté par les organisation internationales régies par les pays occidentaux.
Comme l'a souligné le Département britannique pour le développement international, pour appuyer l'idée d'un partenariat stratégique avec l'organisation, le BRAC ne cesse d'innover afin de répondre plus efficacement aux besoins spécifiques des populations pauvres. L'organisation a par exemple été pionnière dans l'utilisation des technologies mobiles en matière de soins de santé, et défend l'idée de transferts d'argent (ou d'actifs générateurs de revenus) aux personnes plongées dans une extrême pauvreté.
Cette question des transferts d'argent est intéressante. En effet, l'utilité du don d'argent aux plus démunis apparaît a priori comme évidente et convaincante. Et pourtant, elle se heurte depuis bien longtemps à une conception victorienne selon laquelle les pauvres seraient imprévoyants et auraient systématiquement tendance à dilapider leur argent en alcool, en tabac et dans les jeux.
Ce n'est pourtant pas ce qu'il s'est produit au Mexique, dans le cadre d'une démarche de virement d'espèces aux familles les plus pauvres. Les enfants de ces familles en sont sortis mieux nourris et en meilleure santé que ceux qui avaient bénéficié d'un programme alimentaire 20 % plus coûteux à gérer. Des résultats similaires ont été observés en Équateur, en Inde et en Ouganda, de même que dans le cadre de plusieurs programmes d'aide humanitaire internationale. Une étude menée au Zimbabwe a par ailleurs démontré que dans la mesure où les plus démunis utilisaient cet argent nouvellement acquis pour acheter des biens et services auprès d'autres membres de leur communauté, ils généraient également davantage de revenus pour ces membres.
Bien entendu, toutes les aides ne peuvent être remplacées par des transferts d'argent. Néanmoins, dans certains cas, une telle approche offre l'opportunité de gains d'efficience considérables par rapport aux aides délivrées via des institutions complexes et coûteuses. Imaginez que puissent être éliminés les coûts liés à l'élaboration de programmes extrêmement détaillés, de conditions, de systèmes de supervision, et autres plans de formations intéressant les plus démunis. Imaginez un PAM qui n’ait plus à gérer la logistique, l'approvisionnement, le stockage et la distribution de quelque 3,2 tonnes métriques de nourriture, et qu'un délai de120 jours ne soit plus nécessaire pour réceptionner et distribuer cette nourriture aux pays bénéficiaires. D'après le rapport qu'il publie, le PAM développerait actuellement l'utilisation de transferts d'argent et de coupons. Peut-être s'agirait-il également de lui demander de justifier ses autres démarches, et de comparer ses coûts administratifs de transfert d'argent aux coûts enregistrés par le BRAC.
Au sein d'un environnement international difficile sur le plan économique et géopolitique, l'accomplissement des ODD ne sera possible qu'à condition d'exploiter le plus pleinement possible chaque dollar consacré au développement multilatéral. Et ceci pourrait signifier transférer bien davantage de dollars directement dans les mains de ceux qui en ont besoin.
Traduit de l'anglais par Martin Morel