palestinians gaza Majdi Fathi/NurPhoto via Getty Images

Une solution à trois États pour Israël et la Palestine ?

LOS ANGELES – L’objectif de deux États pour deux nations vivant côte à côte le long de frontières sécurisées constitue le fondement du processus de paix israélo-palestinien depuis les accords d’Oslo de 1993. Mais pour l’essentiel, ce projet est aujourd’hui mort et enterré. Raison majeure de cet échec à l’heure actuelle, la solution à deux États ne correspond plus à la réalité du terrain.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) soutient encore néanmoins la solution à deux États. Elle n’est pas intéressée par une résolution provisoire qui, comme l’illustre l’expérience passée, pourrait être indéfiniment prolongée par les coalitions de la droite israélienne, lesquelles useraient de l’éternel processus de paix comme d’une feuille de vigne politique permettant la poursuite de l’occupation et des colonies sur les terres palestiniennes.

En revanche, aux yeux du second acteur palestinien clé, le Hamas, l’objectif du statut d’État est secondaire par rapport à celui de la prédominance de l’islam dans la région. Sa volonté absolue de sanction contre l’existence d’un État juif en terre palestinienne sacrée exclut tout véritable engagement en faveur d’une solution à deux États.

Sur ce point, la position du Hamas s’inscrit parfaitement en phase avec celle de l’actuel gouvernement religieux nationaliste de droite en Israël, qui ne saurait consentir aux concessions qu’implique une solution à deux États sans trahir le cœur de sa propre idéologie fondamentaliste. Le gouvernement israélien peut se permettre une résolution temporaire, mais pas un accord de paix concluant. De même, le Hamas envisage l’idée d’une longue hudna (trêve) susceptible de conduire à la paix avec l’« entité sioniste » – mais pas à une reconnaissance de celle-ci.

En dépit d’une convergence entre les positions d’Israël et du Hamas, c’est avec l’OLP – et en particulier avec le gouvernement de l’Autorité palestinienne (AP) conduit par le président Mahmoud Abbas – qu’Israël coopère en matière de sécurité. Cette coopération constitue la dernière ligne de défense d’Abbas contre une prise de contrôle du Hamas. La vague d’attentats perpétrés par le Hamas contre des cibles israéliennes en Cisjordanie ces derniers mois vise en effet à affaiblir le pouvoir de l’OLP dans cette zone, en exposant sa stratégie de collaboration avec l’occupant.

Bien que l’AP dépende largement des forces israéliennes pour la conservation de son pouvoir en Cisjordanie, sa position vis-à-vis du Hamas est également renforcée par sa légitimité internationale, qui garantit son contrôle sur les fonds donateurs issus du reste du monde. Tirant parti de sa position, Abbas impose de lourdes sanctions financières contre Gaza, qui exacerbent les conséquences humanitaires déjà sévères du blocus israélien.

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Abbas semble considérer par calcul qu’une guerre ouverte contre Israël dans la bande de Gaza aboutirait à la fin du règne du Hamas dans cette zone, contraignant celui-ci à former un gouvernement unifié avec l’AP. Or, le Hamas considèrerait à coup sûr un tel gouvernement comme une opportunité de prendre le contrôle du mouvement national tout entier.

Pour autant, cette issue apparaît elle-même hautement improbable. En réalité, peu de choses pourraient contraindre le Hamas à abandonner ses capacités militaires indépendantes – peut-être d’ailleurs suffisantes pour rivaliser avec les forces de défense israéliennes – sans parler de son droit de les déployer. Peut-être les dirigeants du Hamas espèrent-ils reproduire le modèle libanais, dans lequel le Hezbollah entretient une puissance militaire susceptible de suffire un jour à asseoir une autorité politique ultime.

Le Hamas est sans doute également prêt à tout pour éviter d’abandonner son contrôle sur Gaza, qui, sous le règne du Hamas, fonctionne comme un État islamique sunnite indépendant, fort de ses propres institutions gouvernementales, services publics et réseau d’alliés régionaux. Ces alliés – Hezbollah, Iran, Qatar et Turquie – représentent tous un modèle alternatif de « démocratie » islamique, et s’opposent au statu quo régional (ainsi qu’à une AP pro-occidentale, qui contribue à le perpétuer).

C’est la raison pour laquelle, alors même qu’elles défendent avec acharnement la cause palestinienne, ces deux puissances soit s’opposent à une solution à deux États, soit se montrent peu volontaires sur cette voie. Un accord de paix israélo-palestinien selon les lignes tracées par l’Occident libéral conférerait à Israël une légitimité régionale, et en ferait un allié clé des régimes arabes conservateurs ancrés dans la région.

Bien qu’aucune de ces puissances ne se montre particulièrement amicale avec Israël, leur soutien à chacune en faveur du Hamas s’inscrit dans une certaine mesure dans l’intérêt du gouvernement du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou – et ce dernier le sait. Israël a ainsi permis au Qatar de maintenir le fonctionnement de Gaza en versant des salaires aux fonctionnaires du Hamas, court-circuitant ainsi la stratégie d’Abbas consistant à retenir ces salaires pour contraindre le Hamas à adopter des positions plus conciliantes.

Plus largement, tandis que le gouvernement Netanyahou s’efforce par tous les moyens d’affaiblir et d’humilier l’AP, il négocie aimablement avec le Hamas, par l’intermédiaire de tiers, sur les questions d’échanges de prisonnier et de cessez-le-feu. La raison est évidente : un État islamique fondamentaliste conduit par le Hamas offre à Israël le prétexte ultime pour éviter les négociations de paix.

Compte tenu de ces dynamiques complexes et antagonistes, on compte désormais trois « États » impliqués dans le conflit israélo-palestinien : le Hamas à Gaza, l’AP en Cisjordanie, et Israël. Les barrières et les murs érigés par Israël pour s’isoler de Gaza et d’une majeure partie de la Cisjordanie viennent consolider cette réalité.

Aux yeux d’Israël, il est impossible qu’un mouvement national composé de groupes idéologiquement irréconciliables parvienne à la libération ; il faudrait pour cela que les Palestiniens connaissent leur propre « Altalena ». En 1948, l’armée du récent État israélien, agissant sous les ordres du Premier ministre David Ben Gourion, torpille et coule un navire chargé d’armes destinées à l’Irgoun, un groupe paramilitaire radical juif. Conduit par Menahem Begin, l’Irgoun ne mènera pas de représailles, ce qui mettra fin à la confrontation violente entre les deux camps.

En revanche, le fondateur de l’OLP Yasser Arafat redoutera le spectre d’un accord clivant avec Israël, susceptible de conduire à une guerre civile palestinienne finale, comme le craint Abbas aujourd’hui. Bien entendu, à l’instar de Ben Gourion, Abbas a conscience qu’un commandement militaire intégré, appliquant une seule stratégie commune, est indispensable à la création d’un État palestinien unifié. Or, Israël, qui mène avec tant d’efficacité la stratégie du diviser pour mieux régner, n’offre aucune voie claire en direction d’une paix durable.

Dans ce contexte, une guerre civile palestinienne serait synonyme de suicide national – et de rêve devenu réalité pour le gouvernement israélien de droite. La solution à deux États ne peut par conséquent être relancée. Trois camps interviennent dans cette histoire.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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