DENVER – Pour leurs parties prenantes et leurs contemporains, les conflits et les crises revêtent un caractère unique. Mais ces épisodes se déroulent souvent selon des schémas spécifiques - en général perceptibles après que les éléments qui les composent se soient effacés de la mémoire collective. Tel est le cas de la guerre civile en Syrie.
Cette année marque le 20ème anniversaire de la signature des Accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Ce fut une guerre brutale à visée territoriale au cours de laquelle les civils furent plus souvent ciblés que les combattants, tournant en dérision le droit humanitaire international (il a fallu des décennies pour arrêter les criminels de guerre connus et les procès de certains d’entre eux sont toujours en cours). Ce fut également une guerre qui divisa la communauté internationale, en particulier les alliés occidentaux, confrontée à sa première crise post-guerre froide.
Aujourd’hui, la guerre de Bosnie est quasiment oubliée. Lorsque les commentateurs la mentionnent, ils citent en général les frappes aériennes de l’Otan, comme si celles-ci avaient été le facteur décisif pour mettre fin aux combats.
En réalité, la guerre de Bosnie a une dimension historique importante. Alors que les Etats-Unis et l’Europe étaient en froid, cette guerre les a rapprochés et a réglé la question de savoir si les Etats-Unis étaient prêts ou non à prendre la tête des opérations et à coopérer avec d’autres pays. En fait, une grande partie des évènements survenus en Bosnie – dont la tentative, une fois la guerre finie, de concrétiser des concepts de justice universelle – trouvent une application dans le monde d’aujourd’hui.
Ceux qui se souviennent de la guerre de Bosnie lui trouveront beaucoup de points communs avec la guerre civile actuelle en Syrie. Comme la Bosnie-Herzégovine, la Syrie est tragiquement divisée entre factions combattantes et les violences semblent ne jamais devoir cesser. La communauté internationale a été incapable de parvenir à une unité d’action, et encore moins à un accord sur la manière de procéder.
Il existe bien sûr des différences importantes. Mais celles-ci sont tout aussi instructives dans le cas de la Syrie.
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A plusieurs occasions pendant la guerre de Bosnie s’est imposé le point de vue selon lequel la communauté internationale ne devait pas traiter avec certains acteurs. Mais contrairement au cas de la Syrie, il n’a pas été question de ne jamais traiter avec certains acteurs. A un moment donné, l’ancien président américain Jimmy Carter s’est rendu à Pale, le réduit des Serbes de Bosnie, pour rencontrer leur dirigeant, Radovan Karadžić, aujourd’hui emprisonné à la Haye.
L’homologue du président syrien Bachar el-Assad était le président de la Yougoslavie Slobodan Milošević. Si certains diplomates occidentaux étaient opposés à l’idée de négocier avec lui, la grande majorité comprenait qu’il était le seul à pouvoir contrôler les Serbes et conclure un accord de paix. Lorsque l’ambassadeur américain Richard Holbrooke et son équipe (dont je faisais partie) se sont rendus à Belgrade pour rencontrer Milošević en août 1995 (un mois avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et de la conclusion d’un accord de paix), un certain scepticisme était de mise, mais l’idée prédominait néanmoins qu’une telle rencontre était nécessaire.
La décision d’organiser une entrevue similaire aujourd’hui avec Assad ne pourrait être admise. L’on ne peut qu’imaginer les cris d’indignation qui accueilleraient la décision de l’administration Obama d’envoyer un émissaire à Damas pour une telle réunion.
Ce n’est pas parce que les années 1990 étaient plus pacifiques que l’entrevue avec Milošević a pu avoir lieu. (La campagne de nettoyage ethnique des Serbes, avec la mise en place de camps de concentration, qui a culminé avec le massacre des Bosniaques musulmans de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995, démontre largement le contraire). Ce qui l’a rendue possible était l’existence d’une feuille de route, le plan de paix du Groupe de contact, qui définissait une solution possible à la situation en Bosnie. Personne n’était enthousiasmé par ce plan, mais personne n’a proposé de meilleure solution qu’une Bosnie fédéralisée, au sein de ses frontières existantes, qui fournissait des garanties aux minorités.
Ce plan a finalement été concrétisé par les Accords de Dayton. Aujourd’hui encore, ses détracteurs sont nombreux, en particulier ceux d’entre eux qui pensent qu’on aurait du donner aux Bosniaques les moyens de faire aux Serbes ce que les Serbes leur avaient fait. Mais rares sont ceux qui osent nier que c’est bien le processus du Groupe de contact qui a mis fin à une guerre européenne meurtrière et créé les conditions permettant d’intégrer progressivement les Balkans dans les structures transatlantiques.
Le conflit syrien nécessite des efforts et une attention analogues. Mettre les combattants sur un pied d’égalité en fournissant des armes aux modérés revient, au mieux, à prolonger les violences, avec toujours plus de victimes civiles et de réfugiés. Il faut un projet politique pour la Syrie qui envisage des structures politiques décentralisées, au sein de ses frontières internationales, aussi problématiques soient-elles.
La démocratie ne suppose pas seulement la règle de la majorité, mais également la garantie des droits des minorités. Il est possible que la Syrie ait un jour un gouvernement sunnite, remplaçant la prédominance du groupe ethnique et religieux alaouite auquel appartient Assad. Mais la Syrie ne peut pas être gouvernée par un seul parti politique ou par un seul groupe sectaire. Le pays a besoin d’un régime de partage du pouvoir et les structures de gouvernance permettant de garantir ce régime.
Il est peu probable qu’un tel projet émane des combattants mêmes, raison pour laquelle un plan international en ce sens est tellement important. Un groupe de contact similaire à celui mis en place pour la Bosnie permettrait également de définir l’orientation de toutes les parties prenantes – à la fois de la communauté internationale et des factions combattantes syriennes – en étant un test décisif pour identifier les « modérés ». Il suffirait de demander qui soutient ce plan et qui ne le soutient pas.
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Recent demonstrations in Gaza have pushed not only for an end to the war, but also for an end to Hamas's rule, thus echoing Israel's own stated objectives. Yet the Israeli government, consumed by its own internal politics, has barely acknowledged this unprecedentedly positive development.
underscores the unprecedented nature of recent demonstrations in the war-ravaged enclave.
DENVER – Pour leurs parties prenantes et leurs contemporains, les conflits et les crises revêtent un caractère unique. Mais ces épisodes se déroulent souvent selon des schémas spécifiques - en général perceptibles après que les éléments qui les composent se soient effacés de la mémoire collective. Tel est le cas de la guerre civile en Syrie.
Cette année marque le 20ème anniversaire de la signature des Accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Ce fut une guerre brutale à visée territoriale au cours de laquelle les civils furent plus souvent ciblés que les combattants, tournant en dérision le droit humanitaire international (il a fallu des décennies pour arrêter les criminels de guerre connus et les procès de certains d’entre eux sont toujours en cours). Ce fut également une guerre qui divisa la communauté internationale, en particulier les alliés occidentaux, confrontée à sa première crise post-guerre froide.
Aujourd’hui, la guerre de Bosnie est quasiment oubliée. Lorsque les commentateurs la mentionnent, ils citent en général les frappes aériennes de l’Otan, comme si celles-ci avaient été le facteur décisif pour mettre fin aux combats.
En réalité, la guerre de Bosnie a une dimension historique importante. Alors que les Etats-Unis et l’Europe étaient en froid, cette guerre les a rapprochés et a réglé la question de savoir si les Etats-Unis étaient prêts ou non à prendre la tête des opérations et à coopérer avec d’autres pays. En fait, une grande partie des évènements survenus en Bosnie – dont la tentative, une fois la guerre finie, de concrétiser des concepts de justice universelle – trouvent une application dans le monde d’aujourd’hui.
Ceux qui se souviennent de la guerre de Bosnie lui trouveront beaucoup de points communs avec la guerre civile actuelle en Syrie. Comme la Bosnie-Herzégovine, la Syrie est tragiquement divisée entre factions combattantes et les violences semblent ne jamais devoir cesser. La communauté internationale a été incapable de parvenir à une unité d’action, et encore moins à un accord sur la manière de procéder.
Il existe bien sûr des différences importantes. Mais celles-ci sont tout aussi instructives dans le cas de la Syrie.
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L’homologue du président syrien Bachar el-Assad était le président de la Yougoslavie Slobodan Milošević. Si certains diplomates occidentaux étaient opposés à l’idée de négocier avec lui, la grande majorité comprenait qu’il était le seul à pouvoir contrôler les Serbes et conclure un accord de paix. Lorsque l’ambassadeur américain Richard Holbrooke et son équipe (dont je faisais partie) se sont rendus à Belgrade pour rencontrer Milošević en août 1995 (un mois avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et de la conclusion d’un accord de paix), un certain scepticisme était de mise, mais l’idée prédominait néanmoins qu’une telle rencontre était nécessaire.
La décision d’organiser une entrevue similaire aujourd’hui avec Assad ne pourrait être admise. L’on ne peut qu’imaginer les cris d’indignation qui accueilleraient la décision de l’administration Obama d’envoyer un émissaire à Damas pour une telle réunion.
Ce n’est pas parce que les années 1990 étaient plus pacifiques que l’entrevue avec Milošević a pu avoir lieu. (La campagne de nettoyage ethnique des Serbes, avec la mise en place de camps de concentration, qui a culminé avec le massacre des Bosniaques musulmans de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995, démontre largement le contraire). Ce qui l’a rendue possible était l’existence d’une feuille de route, le plan de paix du Groupe de contact, qui définissait une solution possible à la situation en Bosnie. Personne n’était enthousiasmé par ce plan, mais personne n’a proposé de meilleure solution qu’une Bosnie fédéralisée, au sein de ses frontières existantes, qui fournissait des garanties aux minorités.
Ce plan a finalement été concrétisé par les Accords de Dayton. Aujourd’hui encore, ses détracteurs sont nombreux, en particulier ceux d’entre eux qui pensent qu’on aurait du donner aux Bosniaques les moyens de faire aux Serbes ce que les Serbes leur avaient fait. Mais rares sont ceux qui osent nier que c’est bien le processus du Groupe de contact qui a mis fin à une guerre européenne meurtrière et créé les conditions permettant d’intégrer progressivement les Balkans dans les structures transatlantiques.
Le conflit syrien nécessite des efforts et une attention analogues. Mettre les combattants sur un pied d’égalité en fournissant des armes aux modérés revient, au mieux, à prolonger les violences, avec toujours plus de victimes civiles et de réfugiés. Il faut un projet politique pour la Syrie qui envisage des structures politiques décentralisées, au sein de ses frontières internationales, aussi problématiques soient-elles.
La démocratie ne suppose pas seulement la règle de la majorité, mais également la garantie des droits des minorités. Il est possible que la Syrie ait un jour un gouvernement sunnite, remplaçant la prédominance du groupe ethnique et religieux alaouite auquel appartient Assad. Mais la Syrie ne peut pas être gouvernée par un seul parti politique ou par un seul groupe sectaire. Le pays a besoin d’un régime de partage du pouvoir et les structures de gouvernance permettant de garantir ce régime.
Il est peu probable qu’un tel projet émane des combattants mêmes, raison pour laquelle un plan international en ce sens est tellement important. Un groupe de contact similaire à celui mis en place pour la Bosnie permettrait également de définir l’orientation de toutes les parties prenantes – à la fois de la communauté internationale et des factions combattantes syriennes – en étant un test décisif pour identifier les « modérés ». Il suffirait de demander qui soutient ce plan et qui ne le soutient pas.
Traduit de l’anglais par Julia Gallin