roach171_David McNewStringerGettyImages_antichina_trump_supporter David McNew/Stringer/Getty Images

Sinophobie et désinformation électorale aux États-Unis

NEW HAVEN – Le « Grand Mensonge » ne cesse de progresser. Propagée par Trump et ses adeptes, l’affirmation fausse selon laquelle l’élection présidentielle de 2020 aurait été truquée et volée a fait disparaître la responsabilité factuelle, avec des conséquences profondes et durables sur une relation sino-américaine déjà extrêmement troublée.

La sinophobie illustre combien le Grand Mensonge a corrompu les normes de la politique américaine. Les peurs irrationnelles autour de la Chine ont pris vie. Les prétendues menaces pour les États-Unis sont multiples : la part importante de la Chine dans le déficit commercial américain, le très redouté piratage du réseau 5G par Huawei, les véhicules électriques (VE) et grues de chargement de fabrication chinoise, la vulnérabilité des infrastructures américaines face à un réseau Volt Typhoon considéré comme cybercriminel, ou encore le risque de voir TikTok compromettre la vie privée et l’esprit des innocents adolescents américains.

Comme je l’ai écrit, ces peurs résultent de faux discours alignés sur l’agenda politique antichinois de l’Amérique. Ces discours ne surgissent pas de nulle part. Ils témoignent de projections basées sur des faits déformés liés à ce que les psychologues universitaires appellent une « identité narrative », qui « reconstruit le passé autobiographique ». Aux États-Unis, ce passé reflète malheureusement une forme de politique identitaire toxique, conséquence d’une longue histoire de préjugés raciaux et ethniques. Bien entendu, comme je l’explique également dans mon livre, la Chine est elle aussi coupable d’adopter et de promouvoir dans son propre intérêt des récits erronés concernant l’Amérique.

Dans l’examen de l’effet corrosif que les faux discours exercent sur le débat américain relatif à la Chine, je souligne une distinction entre d’un côté les potentiels dommages infligés sur la base de présomptions et de conjectures, et de l’autre l’intention d’en provoquer sur la base de preuves irréfutables. Les peurs exagérées propres à la sinophobie entrent largement dans la première catégorie.

À titre d’exemple, la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, a invité les Américains à imaginer ce qu’il pourrait arriver si les VE chinois étaient transformés en armes destructrices sur les autoroutes américaines. Le directeur du FBI, Christopher Wray, a évoqué un risque d’attaque contre les infrastructures essentielles si jamais la Chine décidait d’activer ses logiciels malveillants intégrés. De même, les craintes d’une invasion de Taïwan par la Chine en 2027 reposent sur l’intuition dépassée de l’amiral retraité Phil Davidson, ancien chef du commandement américain dans la région indopacifique. Les termes employés – imaginer, si jamais, intuition – en disent long sur les dangers susceptibles d’accompagner une action fondée sur des hypothèses.

Or, les dirigeants politiques américains persistent dans cette direction. Les récentes auditions de la Commission spéciale de la Chambre sur la concurrence stratégique entre les États-Unis et le Parti communiste chinois rappellent les accusations formulées dans les années 1950 par la Commission de la Chambre sur les activités anti-américaines à l’encontre des sympathisants du communisme. Le penchant de la Chambre pour les conjectures a également conduit à l’adoption récente de 25 lois hostiles à la Chine, dans une rare frénésie d’activité législative survenue fin septembre, désormais qualifiée de « semaine de la Chine ».

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Le Grand Mensonge a entraîné une conséquence plus inquiétante encore : les faux discours ne sont même plus élaborés à partir de fragments factuels des identités narratives ; ils sont devenus des mensonges purs et simples.

Songez aux récents reportages autour de l’inculpation pour espionnage de cinq diplômés chinois de l’Université du Michigan, accusés d’avoir pris des photos à proximité d’un exercice d’entraînement de la Garde nationale américaine, impliquant des militaires taïwanais. Ces reportages se sont révélés largement exagérés : les cinq hommes se trouvaient en effet à plus de 80 kilomètres d’une base militaire, et ont été accusés non pas d’espionnage, mais d’avoir menti à la police.

En grande partie fictives, ces couvertures médiatiques sont imprégnées de sinophobie. Elles ont d’ailleurs conduit un sénateur républicain du Michigan à tenter de supprimer les subventions destinées à une nouvelle usine de composants de batteries de 2,4 milliards $, dont la construction est prévue pour une filiale américaine de Gotion High-tech, une entreprise chinoise. Peu importe que le principale actionnaire de Gotion soit Volkswagen, et non le Parti communiste chinois comme l’affirment un certain nombre de politiciens américains. Cette affaire est devenue un véritable enjeu électoral dans le Michigan, un État pivot.

Le Grand Mensonge s’observe également dans d’autres aspects de la sinophobie. L’an dernier, le directeur du FBI, Christopher Wray à nouveau, un acolyte de Trump aux solides convictions antichinoises, a tiré la sonnette d’alarme publiquement en affirmant que « la Chine dispos[ait] d’ores et déjà d’un programme de piratage plus colossal que celui de toutes les autres grandes puissances réunies ».

Cela reste à prouver. Selon le récent indice mondial de cybercriminalité élaboré par les chercheurs de l’Université d’Oxford, les principales cybermenaces planétaires proviennent, dans un ordre décroissant, de Russie, d’Ukraine, de Chine, des États-Unis, du Nigéria, de la Roumanie, de la Corée du Nord et du Royaume-Uni. Ainsi, la Chine devance tout juste les États-Unis à la troisième place.

Il ne s’agit pas d’affirmer ici que la Chine, comme n’importe quel autre acteur étranger, devrait être ignorée en tant que menace potentielle pour la cybersécurité américaine. Au contraire, il est nécessaire que les dirigeants américains se montrent plus transparents quant à l’ampleur mondiale du cyberpiratage, et qu’ils reconnaissent le rôle des États-Unis dans sa propagation.

Les mensonges remplaçant la vérité, non seulement la sinophobie déstabilise la plus importante relation bilatérale au monde, mais elle conduit également à de graves erreurs politiques. De la même manière que le gouvernement américain a autrefois reproché au Japon d’être responsable du déficit commercial des États-Unis, il dirige aujourd’hui sa colère contre la Chine, en imposant des taxes douanières élevées (potentiellement plus excessives encore prochainement) sur les importations chinoises. Peu importe qu’une action bilatérale ne soit pas de nature à résoudre un déficit commercial multilatéral lié à un déficit d’épargne intérieure.

Les conséquences peuvent être perverses et contre-productives. En effet, les États-Unis interdisent les VE de fabrication chinoise alors même qu’ils ont besoin de technologies vertes de haute qualité et à coût raisonnable pour lutter contre le changement climatique. De même, les inquiétudes excessives autour du cyberpiratage chinois dominent l’agenda législatif américain.

Par la faute du Grand Mensonge, les faits revêtent désormais peu d’importance, à l’approche pourtant de l’élection présidentielle la plus déterminante de l’histoire moderne, ce qui soulève une question plus profonde encore : qu’adviendra-t-il par la suite ? Le Grand Mensonge a inauguré un climat dans lequel les faits ne constituent plus une condition préalable au discours politique et à l’élaboration des mesures publiques, ce qui met en péril l’avenir de tous les Américains. Espérons que les électeurs y songeront en se rendant aux urnes.

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