OXFORD – Les banques centrales ciblent maintenant les liquidités, pas seulement l'inflation. Le boom du crédit des dernières décennies montre que la surveillance des prix ne suffit pas et qu'il serait souhaitable que les autorités monétaires de chaque pays (ou d'un ensemble de pays dans le cas de la BCE, la Banque centrale européenne) supervisent le secteur financier. Les banques centrales parlent maintenant de "régulation macroprudentielle", une mission qui viendrait compléter leurs objectifs traditionnels en matière d'inflation.
Ce changement de perspective pourrait bouleverser la politique monétaire. Mais pour le meilleur ou pour le pire ? La Banque d'Angleterre joue le rôle d'éclaireur dans cette transition, suivie par la BCE et la Réserve fédérale américaine qui s'engagent aussi vers plus de régulation financière. Le Conseil européen du risque systémique de la BCE a un rôle analogue à celui de la nouvelle Commission de politique financière (FPC) du Royaume-Uni.
A la fin d'une récente discussion avec Andy Haldane, le directeur exécutif de la stabilité financière à la Banque d'Angleterre et membre de la FPC, je lui ai demandé ce qui se passerait si le taux d'inflation est élevé et le taux du crédit bas. La Commission de politique monétaire de la Banque d'Angleterre appellerait à une hausse des taux d'intérêt, tandis que la FPC appellerait au contraire au relâchement de la politique monétaire. Je réfléchis encore à cette question, parce que la nécessité de prendre ces mesures contradictoires paraît inévitable - maintenant plus que jamais.
La dernière décennie (jusqu'à l'effondrement de Lehmann Brothers en septembre 2008), la période de Grande modération, se caractérisait par une inflation faible et une forte croissance en raison d'avancées majeures comme l'intégration des pays émergents à l'économie mondiale et l'adoption par les principales banques centrales d'une cible en matière d'inflation durant les années 1990. Au Royaume-Uni, la banque d'Angleterre est devenue indépendante en 1997, avec comme objectif un taux d'inflation annuel qui ne dépasse pas 2%.
C'est la stabilité des prix durant les années 2000 qui explique les faibles taux d'intérêt qui ont favorisé la croissance. Elle s'est aussi traduite par un boom du crédit de dimension internationale en l'absence de dispositif de surveillance, avec pour conséquence la crise la plus spectaculaire des temps modernes, qui a failli conduire à l'effondrement du système bancaire.
Dans le cadre des réformes institutionnelles qui ont eu lieu au Royaume-Uni en 1997, la régulation financière a été confiée à l'Autorité des services financiers. Mais cette dernière va bientôt être remplacée par la FPC pour aboutir à un système qui vise à ce que chaque secteur soit sous la responsabilité d'un organe bien défini. La FPC fait maintenant partie de la Banque d'Angleterre, de manière à ce que la politique monétaire prenne véritablement en compte le secteur privé.
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Ce changement répond à la demande des banques centrales qui estiment qu'il leur faut un outil supplémentaire pour adopter des objectifs en matière de crédit ou de liquidité. Ainsi que le montre une analyse récente du vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre, Charlie Bean, les taux d'intérêt sont un instrument trop brutal, dangereux pour l'ensemble de l'économie si on l'utilise pour mettre fin à une bulle de l'immobilier par exemple. Aussi, la FPC pourrait avoir recours à des instruments tels que l'exigence en matière de capitaux ou de quotité du prêt pour gérer les liquidités. L'utilisation de deux instruments pour deux objectifs différents (les liquidités et l'inflation) au sein de la Banque d'Angleterre permettrait une meilleure coordination.
Mais que se passera-t-il si les deux objectifs sont contradictoires ? Durant la période de Grande modération avant la crise, la restriction du crédit au moyen d'instruments régulatoires aurait pu être efficace, car contrairement à une hausse des taux d'intérêt, elle n'aurait pas poussé l'économie vers la déflation. Mais ce n'est plus la question maintenant.
Aujourd'hui l'agrégat monétaire M4 qui exprime le prêt au secteur privé est à son plus bas niveau depuis 10 ans, alors que le taux d'inflation a une valeur deux fois supérieure à celui ciblé par la Banque d'Angleterre. Si la FPC diminue son exigence en capital pour stimuler le crédit, alors que la Commission de politique monétaire de la Banque d'Angleterre augmente les taux d'intérêt pour faire face à l'inflation, les banques seront soumises à des forces contradictoires. Le relâchement des règles du crédit s'opposerait à une élévation du coût de l'argent. Parce que la FPC et la Commission de politique monétaire reposent sur un mécanisme de transmission monétaire qui fonctionne par l'intermédiaire des banques, il n'est pas évident que les objectifs en matière d'inflation et de liquidité puissent être dissociés aussi clairement.
Il faut aussi compter avec la complexité supplémentaire liée à une régulation mondiale. L'idée est que les pays coordonneront leurs mesures régulatoires contre-cycliques, évitant ainsi que le capital joue à saute-mouton d'un pays à un autre. Mais que se passera-t-il si, ce qui est très probable, les cycles des affaires ne sont pas coordonnés ? On voit bien que la Chine resserre le crédit, alors que le Royaume-Uni l'encourage.
Plus près de la Grande-Bretagne, la BCE, craignant que les banques ne s'habituent aux injections de liquidité, se lance potentiellement dans un cycle de resserrement en retirant des centaines de milliards d'euros en liquidité qu'elle avait mis sur le marché durant la crise. Va t-elle diminuer ses exigences en matière de capital pour s'aligner sur la Banque d'Angleterre ?
Ce genre de mesure aurait fonctionné il y a 10 ans, dans un contexte de faible inflation et de croissance rapide du crédit. Mais la situation a changé, ce qui va entraîner un changement de politique monétaire. Si des organes tels que la FPC deviennent aussi importants pour les banques centrales que les commissions de politique monétaire, on pourra se demander, parmi les différents objectifs contradictoires, lequel aura la priorité.
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Over time, as American democracy has increasingly fallen short of delivering on its core promises, the Democratic Party has contributed to the problem by catering to a narrow, privileged elite. To restore its own prospects and America’s signature form of governance, it must return to its working-class roots.
is not surprised that so many voters ignored warnings about the threat Donald Trump poses to US institutions.
Enrique Krauze
considers the responsibility of the state to guarantee freedom, heralds the demise of Mexico’s democracy, highlights flaws in higher-education systems, and more.
OXFORD – Les banques centrales ciblent maintenant les liquidités, pas seulement l'inflation. Le boom du crédit des dernières décennies montre que la surveillance des prix ne suffit pas et qu'il serait souhaitable que les autorités monétaires de chaque pays (ou d'un ensemble de pays dans le cas de la BCE, la Banque centrale européenne) supervisent le secteur financier. Les banques centrales parlent maintenant de "régulation macroprudentielle", une mission qui viendrait compléter leurs objectifs traditionnels en matière d'inflation.
Ce changement de perspective pourrait bouleverser la politique monétaire. Mais pour le meilleur ou pour le pire ? La Banque d'Angleterre joue le rôle d'éclaireur dans cette transition, suivie par la BCE et la Réserve fédérale américaine qui s'engagent aussi vers plus de régulation financière. Le Conseil européen du risque systémique de la BCE a un rôle analogue à celui de la nouvelle Commission de politique financière (FPC) du Royaume-Uni.
A la fin d'une récente discussion avec Andy Haldane, le directeur exécutif de la stabilité financière à la Banque d'Angleterre et membre de la FPC, je lui ai demandé ce qui se passerait si le taux d'inflation est élevé et le taux du crédit bas. La Commission de politique monétaire de la Banque d'Angleterre appellerait à une hausse des taux d'intérêt, tandis que la FPC appellerait au contraire au relâchement de la politique monétaire. Je réfléchis encore à cette question, parce que la nécessité de prendre ces mesures contradictoires paraît inévitable - maintenant plus que jamais.
La dernière décennie (jusqu'à l'effondrement de Lehmann Brothers en septembre 2008), la période de Grande modération, se caractérisait par une inflation faible et une forte croissance en raison d'avancées majeures comme l'intégration des pays émergents à l'économie mondiale et l'adoption par les principales banques centrales d'une cible en matière d'inflation durant les années 1990. Au Royaume-Uni, la banque d'Angleterre est devenue indépendante en 1997, avec comme objectif un taux d'inflation annuel qui ne dépasse pas 2%.
C'est la stabilité des prix durant les années 2000 qui explique les faibles taux d'intérêt qui ont favorisé la croissance. Elle s'est aussi traduite par un boom du crédit de dimension internationale en l'absence de dispositif de surveillance, avec pour conséquence la crise la plus spectaculaire des temps modernes, qui a failli conduire à l'effondrement du système bancaire.
Dans le cadre des réformes institutionnelles qui ont eu lieu au Royaume-Uni en 1997, la régulation financière a été confiée à l'Autorité des services financiers. Mais cette dernière va bientôt être remplacée par la FPC pour aboutir à un système qui vise à ce que chaque secteur soit sous la responsabilité d'un organe bien défini. La FPC fait maintenant partie de la Banque d'Angleterre, de manière à ce que la politique monétaire prenne véritablement en compte le secteur privé.
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Mais que se passera-t-il si les deux objectifs sont contradictoires ? Durant la période de Grande modération avant la crise, la restriction du crédit au moyen d'instruments régulatoires aurait pu être efficace, car contrairement à une hausse des taux d'intérêt, elle n'aurait pas poussé l'économie vers la déflation. Mais ce n'est plus la question maintenant.
Aujourd'hui l'agrégat monétaire M4 qui exprime le prêt au secteur privé est à son plus bas niveau depuis 10 ans, alors que le taux d'inflation a une valeur deux fois supérieure à celui ciblé par la Banque d'Angleterre. Si la FPC diminue son exigence en capital pour stimuler le crédit, alors que la Commission de politique monétaire de la Banque d'Angleterre augmente les taux d'intérêt pour faire face à l'inflation, les banques seront soumises à des forces contradictoires. Le relâchement des règles du crédit s'opposerait à une élévation du coût de l'argent. Parce que la FPC et la Commission de politique monétaire reposent sur un mécanisme de transmission monétaire qui fonctionne par l'intermédiaire des banques, il n'est pas évident que les objectifs en matière d'inflation et de liquidité puissent être dissociés aussi clairement.
Il faut aussi compter avec la complexité supplémentaire liée à une régulation mondiale. L'idée est que les pays coordonneront leurs mesures régulatoires contre-cycliques, évitant ainsi que le capital joue à saute-mouton d'un pays à un autre. Mais que se passera-t-il si, ce qui est très probable, les cycles des affaires ne sont pas coordonnés ? On voit bien que la Chine resserre le crédit, alors que le Royaume-Uni l'encourage.
Plus près de la Grande-Bretagne, la BCE, craignant que les banques ne s'habituent aux injections de liquidité, se lance potentiellement dans un cycle de resserrement en retirant des centaines de milliards d'euros en liquidité qu'elle avait mis sur le marché durant la crise. Va t-elle diminuer ses exigences en matière de capital pour s'aligner sur la Banque d'Angleterre ?
Ce genre de mesure aurait fonctionné il y a 10 ans, dans un contexte de faible inflation et de croissance rapide du crédit. Mais la situation a changé, ce qui va entraîner un changement de politique monétaire. Si des organes tels que la FPC deviennent aussi importants pour les banques centrales que les commissions de politique monétaire, on pourra se demander, parmi les différents objectifs contradictoires, lequel aura la priorité.