MILAN – Entre autres sens, le mot "ouvert" a deux acceptations légèrement différentes : il peut qualifier une personne ou une institution qui est transparente (à l'opposée de secrète), ou bien une activité qui peut être menée librement, mais qui peut être risquée (ce que l'on oublie parfois).
On l'utilise souvent dans cette dernière acceptation pour faire référence au commerce, à l'investissement ou la technologie qui depuis toujours conduisent à des changements structurels de l'économie, notamment en matière d'emploi. Or un changement structurel peut être simultanément bénéfique et nuisible, ce qui oblige les dirigeants politiques à choisir un point d'équilibre entre le principe abstrait de l'ouverture et des mesures concrètes pour limiter ses inconvénients les plus graves.
Heureusement les recherches universitaires et une perspective historique peuvent les aider. Considérons les pays scandinaves dont l'économie est ouverte, ceci pour une bonne raison : s'ils ne l'étaient pas, ils devraient diversifier bien davantage leurs exportations pour répondre à leur demande intérieure. Ce serait très coûteux en raison de la faible taille de leur marché national, car ils ne pourraient pas faire des économies d'échelle en matière de technologie, de fabrication et de développement de nouveaux produits.
Mais leur ouverture les a conduit à investir davantage dans le capital humain et à renforcer leur systéme de protection sociale. Celui-ci compte encore davantage pour les petits pays dont l'économie est spécialisée, parce qu'une chute de leurs exportations liée à un évènement extérieur peut être lourde de conséquences pour eux.
Cela n'a pas toujours été le cas. Le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande dont l'économie est de taille moyenne ont utilisé le protectionnisme pour diversifier à l'extrême leurs exportations. Mais en raison de l'accroissement du commerce international et de sa spécialisation, le coût des biens qu'ils fabriquaient eux-mêmes (les voitures par exemple) est devenu trop élevé par rapport à celui des importations. Dans les années 1980 et 1990, ils ont alors commencé à ouvrir leur économie. Leur transition structurelle a été difficile, mais elle a permis d'augmenter leur productivité et s'est révélée très avantageuse pour les citoyens et les consommateurs.
Trouver le point d'équilibre n'est jamais facile. Ces trois pays qui disposent de richesses naturelles sont vulnérables au "syndrome hollandais"(l'exploitation massive de ressources naturelles au détriment d'autres secteurs du fait de la hausse du taux de change). C'est pourquoi la spécialisation à outrance dans un secteur donné rend vulnérable à la volatilité du marché mondial des matières premières et peut menacer l'emploi.
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Nous associons souvent les réformes structurelles au commerce international et à l'investissement. Pourtant l'activité industrielle est en perpétuel changement, ce qui génère de véritables défis à l'échelle locale et régionale. Ainsi aux USA la production textile qui était concentrée essentiellement en Nouvelle-Angleterre s'est déplacée à moment donné vers le Sud (avant de se délocaliser en Asie et d'autres lieux à bas prix).
Dans un article fascinant publié en 1954 dans la revue The Atlantic, John F. Kennedy, alors sénateur du Massachusetts, attribuait le départ des entreprises de Nouvelle-Angleterre vers les Etats du Sud aux avantages fiscaux offerts par ces derniers. Il estimait que la politique de ces Etats conduirait à une trop grande mobilité industrielle, car les entreprises cherchent à maximiser leur profit, quitte à déménager sans prendre en compte les conséquences pour les travailleurs et leur famille. Pour éviter une course vers le bas, Kennedy appelait non pas au libre-échange, mais à une réglementation destinée à rendre le commerce plus équitable et plus efficace.
Il faut des réformes structurelles pour améliorer le dynamisme du commerce. Mais il faut aussi veiller à ce que les investissements et l'activité économique reposent sur de véritables avantages comparatifs et non sur des mesures transitoires de nature protectionniste. C'est particulièrement vrai lors des périodes de changements structuraux rapides. Les réformes qui touchent à l'offre étant lentes, douloureuses et coûteuses, elles ne doivent être faites qu'à bon escient.
Mais à l'image des économies fermées qui se privent des avantages que pourraient leur apporter le commerce international, les économies ouvertes qui sont confrontées à des obstacles institutionnels ou politiques face aux réformes structurelles ne peuvent développer tout leur potentiel. C'est pourquoi nombre d'économies ouvertes ne parviennent pas à s'adapter aux nouvelles technologies et au commerce moderne. Trop souvent les dirigeants politiques évitent de réformer. Cela permet parfois de protéger durant un certain temps les secteurs existants et les emplois, mais cela fait fuir les investisseurs et finalement freine la croissance et conduit au chômage.
La structure économique et le systéme de protection sociale peuvent aussi s'opposer au changement. Ainsi que l'observe l'ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, la promesse d'une croissance à long terme dont sont porteuses les réformes structurelles ne suffit pas à apaiser l'inquiétude de toute une partie de la population face au présent et au court terme, en particulier lorsque l'économie n'est pas très florissante. Cette inquiétude peut susciter une forte résistance politique et sociale.
Sans réforme de la protection sociale, les réformes structurelles risquent d'échouer. Appliqué en 2003, le programme "Agenda 2010" de l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder est un exemple de la politique multidimensionnelle qui est nécessaire. Mais elle s'est avérée périlleuse pour Schröder qui n'a pas été réélu en 2005.
L'ordre dans lequel sont accomplies les réformes a toute son importance. Les travailleurs se sentent beaucoup plus concernés par une réforme de la protection sociale quand la situation économique est mauvaise. La résistance aux réformes structurelles (notamment de la part des travailleurs âgés) est plus forte en période de chômage élevé et de production faible, parce qu'il leur sera plus difficile de faire face à un licenciement.
Avant de procéder à des réformes structurelles, il est préférable en général que l'Etat relance l'économie en s'appuyant sur la politique budgétaire et des mesures favorables aux investissements. Cette stratégie permet de réduire la résistance au changement. L'Europe connaît actuellement un léger regain de croissance. Les dirigeants politiques vont-ils en profiter pour entamer les réformes nécessaires ?
Autre élément à prendre en compte : le changement structurel n'est pas un effet secondaire de la croissance, de la création de nouveaux secteurs d'activités et de nouveaux emplois ; il fait partie du processus.
Les pays en développement en sont une bonne illustration. Leur croissance tient essentiellement à leur ouverture, au développement de secteurs modernes, au commerce, à un investissement très conséquent et à un capital humain de plus en plus important. Ils n'échappent cependant pas aux changements structuraux et au défi que posent les inégalités de revenus. Mais leur transition est rapide et peu douloureuse, parce que les investissements bénéficient tant au secteur public qu'au secteur privé et concernent à la fois les actifs corporels et incorporels.
De ce point de vue les pays développés ne sont pas très différents. Une hausse d'envergure des investissements ne résoudra peut-être pas tous leurs problèmes d'adaptation et de répartition des revenus, mais elle stimulera la croissance et diminuera les tensions économiques et politiques liées aux réformes structurelles.
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Since Plato’s Republic 2,300 years ago, philosophers have understood the process by which demagogues come to power in free and fair elections, only to overthrow democracy and establish tyrannical rule. The process is straightforward, and we have now just watched it play out.
observes that philosophers since Plato have understood how tyrants come to power in free elections.
Despite being a criminal, a charlatan, and an aspiring dictator, Donald Trump has won not only the Electoral College, but also the popular vote – a feat he did not achieve in 2016 or 2020. A nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians are to blame.
points the finger at a nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians.
MILAN – Entre autres sens, le mot "ouvert" a deux acceptations légèrement différentes : il peut qualifier une personne ou une institution qui est transparente (à l'opposée de secrète), ou bien une activité qui peut être menée librement, mais qui peut être risquée (ce que l'on oublie parfois).
On l'utilise souvent dans cette dernière acceptation pour faire référence au commerce, à l'investissement ou la technologie qui depuis toujours conduisent à des changements structurels de l'économie, notamment en matière d'emploi. Or un changement structurel peut être simultanément bénéfique et nuisible, ce qui oblige les dirigeants politiques à choisir un point d'équilibre entre le principe abstrait de l'ouverture et des mesures concrètes pour limiter ses inconvénients les plus graves.
Heureusement les recherches universitaires et une perspective historique peuvent les aider. Considérons les pays scandinaves dont l'économie est ouverte, ceci pour une bonne raison : s'ils ne l'étaient pas, ils devraient diversifier bien davantage leurs exportations pour répondre à leur demande intérieure. Ce serait très coûteux en raison de la faible taille de leur marché national, car ils ne pourraient pas faire des économies d'échelle en matière de technologie, de fabrication et de développement de nouveaux produits.
Mais leur ouverture les a conduit à investir davantage dans le capital humain et à renforcer leur systéme de protection sociale. Celui-ci compte encore davantage pour les petits pays dont l'économie est spécialisée, parce qu'une chute de leurs exportations liée à un évènement extérieur peut être lourde de conséquences pour eux.
Cela n'a pas toujours été le cas. Le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande dont l'économie est de taille moyenne ont utilisé le protectionnisme pour diversifier à l'extrême leurs exportations. Mais en raison de l'accroissement du commerce international et de sa spécialisation, le coût des biens qu'ils fabriquaient eux-mêmes (les voitures par exemple) est devenu trop élevé par rapport à celui des importations. Dans les années 1980 et 1990, ils ont alors commencé à ouvrir leur économie. Leur transition structurelle a été difficile, mais elle a permis d'augmenter leur productivité et s'est révélée très avantageuse pour les citoyens et les consommateurs.
Trouver le point d'équilibre n'est jamais facile. Ces trois pays qui disposent de richesses naturelles sont vulnérables au "syndrome hollandais"(l'exploitation massive de ressources naturelles au détriment d'autres secteurs du fait de la hausse du taux de change). C'est pourquoi la spécialisation à outrance dans un secteur donné rend vulnérable à la volatilité du marché mondial des matières premières et peut menacer l'emploi.
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Dans un article fascinant publié en 1954 dans la revue The Atlantic, John F. Kennedy, alors sénateur du Massachusetts, attribuait le départ des entreprises de Nouvelle-Angleterre vers les Etats du Sud aux avantages fiscaux offerts par ces derniers. Il estimait que la politique de ces Etats conduirait à une trop grande mobilité industrielle, car les entreprises cherchent à maximiser leur profit, quitte à déménager sans prendre en compte les conséquences pour les travailleurs et leur famille. Pour éviter une course vers le bas, Kennedy appelait non pas au libre-échange, mais à une réglementation destinée à rendre le commerce plus équitable et plus efficace.
Il faut des réformes structurelles pour améliorer le dynamisme du commerce. Mais il faut aussi veiller à ce que les investissements et l'activité économique reposent sur de véritables avantages comparatifs et non sur des mesures transitoires de nature protectionniste. C'est particulièrement vrai lors des périodes de changements structuraux rapides. Les réformes qui touchent à l'offre étant lentes, douloureuses et coûteuses, elles ne doivent être faites qu'à bon escient.
Mais à l'image des économies fermées qui se privent des avantages que pourraient leur apporter le commerce international, les économies ouvertes qui sont confrontées à des obstacles institutionnels ou politiques face aux réformes structurelles ne peuvent développer tout leur potentiel. C'est pourquoi nombre d'économies ouvertes ne parviennent pas à s'adapter aux nouvelles technologies et au commerce moderne. Trop souvent les dirigeants politiques évitent de réformer. Cela permet parfois de protéger durant un certain temps les secteurs existants et les emplois, mais cela fait fuir les investisseurs et finalement freine la croissance et conduit au chômage.
La structure économique et le systéme de protection sociale peuvent aussi s'opposer au changement. Ainsi que l'observe l'ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, la promesse d'une croissance à long terme dont sont porteuses les réformes structurelles ne suffit pas à apaiser l'inquiétude de toute une partie de la population face au présent et au court terme, en particulier lorsque l'économie n'est pas très florissante. Cette inquiétude peut susciter une forte résistance politique et sociale.
Sans réforme de la protection sociale, les réformes structurelles risquent d'échouer. Appliqué en 2003, le programme "Agenda 2010" de l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder est un exemple de la politique multidimensionnelle qui est nécessaire. Mais elle s'est avérée périlleuse pour Schröder qui n'a pas été réélu en 2005.
L'ordre dans lequel sont accomplies les réformes a toute son importance. Les travailleurs se sentent beaucoup plus concernés par une réforme de la protection sociale quand la situation économique est mauvaise. La résistance aux réformes structurelles (notamment de la part des travailleurs âgés) est plus forte en période de chômage élevé et de production faible, parce qu'il leur sera plus difficile de faire face à un licenciement.
Avant de procéder à des réformes structurelles, il est préférable en général que l'Etat relance l'économie en s'appuyant sur la politique budgétaire et des mesures favorables aux investissements. Cette stratégie permet de réduire la résistance au changement. L'Europe connaît actuellement un léger regain de croissance. Les dirigeants politiques vont-ils en profiter pour entamer les réformes nécessaires ?
Autre élément à prendre en compte : le changement structurel n'est pas un effet secondaire de la croissance, de la création de nouveaux secteurs d'activités et de nouveaux emplois ; il fait partie du processus.
Les pays en développement en sont une bonne illustration. Leur croissance tient essentiellement à leur ouverture, au développement de secteurs modernes, au commerce, à un investissement très conséquent et à un capital humain de plus en plus important. Ils n'échappent cependant pas aux changements structuraux et au défi que posent les inégalités de revenus. Mais leur transition est rapide et peu douloureuse, parce que les investissements bénéficient tant au secteur public qu'au secteur privé et concernent à la fois les actifs corporels et incorporels.
De ce point de vue les pays développés ne sont pas très différents. Une hausse d'envergure des investissements ne résoudra peut-être pas tous leurs problèmes d'adaptation et de répartition des revenus, mais elle stimulera la croissance et diminuera les tensions économiques et politiques liées aux réformes structurelles.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz