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Obama se tourne vers le sud

MEXICO – L’actuel déplacement du président américain Barack Obama en Amérique Latine sera probablement pauvre en substance, riche en emphase et en symbolisme, et pourrait donner lieu à quelques annonces qui affecteront les entreprises américaines dans la région. Plus important, il verra de réelles réussites, et comment l’Amérique Latine dans sa globalité a changé.

Le principal changement est que l’Amérique Latine est en train de se scinder en deux. En effet, ceci pourrait bien être le tout dernier voyage qu’un président américain entreprend en « Amérique Latine ». Les prochaines visites se feront soit en Amérique du Sud, soit au Mexique et dans le bassin carribéen.

Le succès du Chili est déjà quelque peu daté, même s’il inspire encore. Plus de deux décennies de régime démocratique et de croissance économique guarantissent pratiquement qu’en maintenant ce cap, le pays parviendra à franchir le premier palier du statut de pays développé d’ici 2020.

Et tout porte à croire qu’il maintiendra effectivement ce cap, même si le président Sebastián Piñera, dont le mandat sera auréolé par la meilleure performance économique du Chili depuis 15 ans, se verra succéder par l’ancienne présidente et rivale Michele Bachelet en 2014. Même les inégalités légendaires du pays sont en régression, quoique lentement, et les niveaux de vie de la classe moyenne basse parviennet enfin aux niveaux auxquels ils auraient dû être il y a dix ans.

Le succès du Brésil est aussi bien connu. Des millions de familles ont été extraites de la pauvreté. Les inégalités ont régressé, même si les niveaux d’origines étaient astronomiques. L’économie est sur une courbe de croissance constante. Aussi longtemps que la Chine et l’Inde maintiendront leur insatiable appétit de biens, les exportations brésilinnes financeront l’explosion actuelle de la consommation.

Sur le plan international, la nouvelle présidente Dilma Roussef s’est mise en retrait par rapport aux nombreux excès de Luiz Inácio Lula Da Silva (indifférence aux droits de l’homme, soutien à l’Iran et à son programme nucléaire, et discours anti-américain) dans sa dernière année de mandat. Elle pourrait même avoir un cadeau pour Obama. Le Brésil doit renouveler la flotte d’avions de chasse de son armée de l’air, et alors que Lula était en faveur de la France, Roussel a annulé cette option et pourrait favoriser les États-Unis.

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Le Salvador est la plus intéressante des réusssites latino-américaines. Il est très loin d’être dans une situation saine et stable, avec des niveaux élevés de violences et de crimes, une émigration de masse, une économie à faible croissance et des tensions permanentes au sein de son gouvernement de coalition de centre gauche. Mais le pays célèbrera l’année prochaine le vingtième anniversaire des Accords de Paix de Chapultepec, qui ont mis fin à dix années de guerre civile. Depuis lors, ce pays qui n’avait jamais vraimment fait l’expérience de la démocratie a profité des charmes et des vicissitudes d’élections libres, des batailles législatives et de l’alternance du pouvoir.

Après une succession de gouvernements conservateurs, les Salvadoriens ont élus en 2009 un président qui s’est présenté sous l’étiquette du FMLN, l’ancien groupe de guerilla qui avait combattu l’armée salvadorienne et son allié américain jusqu’à parité à la fin des années 80. La droite a accepté sa défaite, et la gauche a gouverné de manière raisonnable (en maintenant le dollar comme monnaie nationale). La droite a commencé à se rassembler, et Obama fera probablement état de ce cercle vertueux dans lequel les États-Unis ont joué un rôle positif, et peut continuer de le faire.

Cela serait d’autant plus vrai si les États-Unis procédaient à une réforme de l’immigration. Le Salvador et l’Équateur sont en tête du classement des pays pour la proportion de leur population vivant à l’étranger. Il a aussi une économie qui ne se développe pas de manière suffisante pour enrayer le courant perpétuel à travers le Mexique vers les États-Unis.

La croissance apathique et l’émigration sont deux des principaux facteurs à l’origine des divisions dans les Amériques. L’Amérique du Sud est en pleine explosion à l’heure où l’Inde et la Chine ingurgitent ses exportations de fer, de cuivre, de soja, de café, de charbon, de pétrole, de blé, de volaille, de viande de boeuf et de sucre. Son commerce extérieur et ses modèles d’investissements sont diversifiés et dynamiques. En dehors de quelques exceptions mineures, la migration est interne à la région, et on est parvenu à une forme de modus vivendi pour ce qui est des traffics de drogue, principalement celui de la feuille de coca et de la cocaïne en Bolivie, au Péru et en Colombie.

En outre, les relations avec les États-Unis, toujours fortes, n’ont plus l’importance capitale qu’elles ont revêtu par le passé. Les gouvernements sud-américains peuvent se permettre d’être en désaccord avec les Etats-Unis, et c’est souvent le cas. Ils viennent juste d’élire un nouveau président à la tête de l’Union des Nations de l’Amérique du Sud (Unasur), dont le siège est en cours de construction à Quito en Équateur. Comme le suggère son nom, la principale raison d’être de l’Unasur est d’exclure le Canada, les Etats-Unis et le Mexique (par opposition à l’Organisation des Etats Américains).  

Rien de tout cela ne s’applique vraiment au Mexique, à l’Amérique centrale et aux îles carribéennes – principalement la République Dominicaine, mais à terme Cuba, aussi, et d’une certaine manière, Haïti. Ces pays ne possèdent pas de richesses, ni minières ni agricoles : un peu de café et de banane ici, un peu de sucre et de bétail là, mais rien qui puisse entretenir un boum. Alors que le Mexique est le deuxième fournisseur de pétrole de l’Amérique, cela ne représente que 9% du total de ses exportations.

Ces pays vivent plutôt de l’exportation de produits manufacturés à faible valeur ajoutée (le Mexique en fait plus, bien sur), et vivent des devises envoyées par leurs citoyens vivant à l’étranger, du tourisme, et des profits générés par le transbordement de la drogue. Tout ceci se concentre presque exclusivement sur les Etats-Unis, où sont envoyé les serviettes et les pijamas, d’où viennent les touristes et où les drogues sont achetées. Pour ces pays, y compris le Mexique, des relations stables, étroites et productives sont essentielles.

Obama dira toutes les bonnes choses lors de sa visite, et sera acclamé partout. Mais il devrait prendre en considération les évolutions en cours dans l’hémisphère. Une partie de la région se libère de l’hégémonie américaine et est en pleine expansion, mais pourrait connaître des difficultés si la croissance devait ralentir en Chine et en Inde. Une autre est de plus en plus intégrée aux Etats-Unis et au Canada, et malgré ses problèmes actuels, elle trouvera le chemin de la prospérité lorsque les Etats-Unis l’auront eux-aussi trouvé

L’Amérique Latine en tant qu’entité unique n’est plus. Longue vie à l’Amérique Latine.

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