PARIS – La National Public Radio (NPR), aux États-Unis, m’avait demandé, avant le second tour, une interview pour commenter le résultat de l’élection présidentielle française. Revers de la médaille, l’entretien n’aurait lieu que si la candidate de l’extrême-droite, Marine Le Pen, la dirigeante du Front national, l’emportait. Comme si les bonnes nouvelles – la défaite de Le Pen, par exemple – n’étaient plus aujourd’hui de vraies nouvelles.
À la vérité pourtant, la victoire du centriste pro-européen Emmanuel Macron est une grande nouvelle. L’an dernier, lorsque le Royaume-Uni vota en faveur de son départ de l’Europe et que les électeurs américains choisirent Trump pour président, la montée du populisme de droite, qui semblait jusque-là peu probable, apparut irrésistible. Et à bien des égards, la France était prête à laisser une populiste d’extrême-droite prendre le pouvoir : après avoir été durement frappée par les crises de l’euro au cours des dix dernières années, elle s’était trouvée confrontée à une vague d’attentats terroristes.
Mais les électeurs français – y compris ceux dont le candidat ou le parti n’avait pas atteint le second tour – comprirent le péril qu’ils auraient couru s’ils avaient permis à Le Pen d’accéder au palais de l’Élysée, et accordèrent à Macron une large victoire. Ce fut une démonstration d’intelligence et de maturité politique. Ce fut aussi une leçon pour le Royaume-Uni et les États-Unis (que NPR ne voulait peut-être pas entendre).
La façade que Le Pen avait si patiemment construite s’effondra, il est vrai, lors du débat présidentiel de l’entre-deux tours. Ses efforts pour « dédiaboliser » le Front national – en 2015, elle était allée jusqu’à expulser son père, Jean-Marie, du parti qu’il avait lui-même fondé –, n’étaient qu’une comédie. Elle est, et demeurera toujours, la fille de son père.
Mais si l’affrontement entre Macron et Le Pen s’est ainsi conclu, ce n’est pas seulement parce que c’était elle, c’est aussi, comme aurait dit Montaigne, parce que c’était lui. À un autre moment de l’histoire, la jeunesse et l’indépendance de Macron eussent été un lourd handicap. Mais dans la situation actuelle de défiance envers les partis politiques traditionnels, Macron offrait à la France la perspective d’un renouveau.
Les conséquences de sa victoire s’étendent bien sûr très loin au-delà des frontières du pays. Au Royaume-Uni pour commencer, où la Première ministre Theresa May a convoqué le mois prochain des élections générales anticipées dans l’espoir de renforcer sa position dans les négociations du Brexit qui approchent. Elle doit dorénavant faire face à la perspective d’une reconstitution de l’axe franco-allemand, qui risque d’être mieux équilibré, par conséquent plus stable qu’auparavant. Les héritiers politiques de Winston Churchill ne pouvaient certes pas soutenir une candidate nostalgique de la France de Vichy. Mais ils n’ont pas tort de s’inquiéter que l’élection du plus pro-européen des candidats ne les isole encore davantage.
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En fait, la victoire de Macron – qu’il a célébrée aux accents de l’Hymne à la joie de Beethoven, rien moins, donc, que l’hymne européen – va probablement ranimer des forces plus modérées et pro-européennes en Europe (à l’exception possible de la Hongrie et de la Pologne). Macron a montré que l’optimisme, soutenu par une pédagogie claire et ferme, peut remporter une élection, même dans une Europe qui semblait livrée au pessimisme et à la peur. Cette inflexion se confirmera probablement lors des élections générales italiennes et allemandes prévues cette année.
Si elle transforme l’image de la France (et celle du populisme de droite) en Europe, c’est, au-delà, l’image de l’Europe dans le monde que transforme la victoire de Macron. Contrairement à ce que prétend le président russe Vladimir Poutine, le « vieux continent » n’est pas entré en déclin ; il est encore capable de renouveau.
La Russie peut en être déçue. Mais pour la Chine, la victoire de Macron est une issue heureuse. Les Chinois, après tout, n’aiment pas l’incertitude, surtout lorsqu’elle agite les marchés, qu’une victoire de Le Pen aurait alarmés.
Quant aux États-Unis, la victoire de Macron y suscite probablement des réactions contrastées. Elle inspire, peut-on penser, à une majorité d’Américains, qui n’ont pas voté pour Trump, un mélange de soulagement et de satisfaction. Car dans une certaine mesure, la défaite de Le Pen est pour Trump lui-même un avertissement. À quoi s’ajoute peut-être un peu d’envie : si les Démocrates avaient disposé d’un Macron plutôt que d’une Hillary Clinton, Trump ne serait pas président.
Mais est-on certain que les Américains qui ont voté pour Trump sachent quoi penser ? d’un point de vue idéologique, la victoire de Macron les déçoit, mais d’un point de vue géopolitique, ce n’est pas une si mauvaise nouvelle. Car en renforçant le pilier européen de l’OTAN, elle va profiter à tout le monde occidental. Quant à Trump – qui est plus un narcisse qu’un idéologue, et qui n’a jamais réellement rencontré Le Pen, même si beaucoup, dans son administration, lui ont témoigné leur sympathie –, il peut toujours tenter de tourner l’événement à son avantage.
Pour Macron, la tâche ne fait que commencer. Il ne pourra entreprendre les changements qu’il a promis et continuer d’incarner les espoirs progressistes du monde que si son mouvement, La République en marche, emporte une majorité de sièges lors des élections législatives du mois prochain. On espère que les électeurs français feront alors preuve de sang-froid et de sagesse et accorderont au président le soutien dont il a besoin à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas l’avenir d’un homme politique ou de son parti qui est en jeu, c’est le destin de la République française – et l’avenir de l’Europe.
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Since Plato’s Republic 2,300 years ago, philosophers have understood the process by which demagogues come to power in free and fair elections, only to overthrow democracy and establish tyrannical rule. The process is straightforward, and we have now just watched it play out.
observes that philosophers since Plato have understood how tyrants come to power in free elections.
Despite being a criminal, a charlatan, and an aspiring dictator, Donald Trump has won not only the Electoral College, but also the popular vote – a feat he did not achieve in 2016 or 2020. A nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians are to blame.
points the finger at a nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians.
PARIS – La National Public Radio (NPR), aux États-Unis, m’avait demandé, avant le second tour, une interview pour commenter le résultat de l’élection présidentielle française. Revers de la médaille, l’entretien n’aurait lieu que si la candidate de l’extrême-droite, Marine Le Pen, la dirigeante du Front national, l’emportait. Comme si les bonnes nouvelles – la défaite de Le Pen, par exemple – n’étaient plus aujourd’hui de vraies nouvelles.
À la vérité pourtant, la victoire du centriste pro-européen Emmanuel Macron est une grande nouvelle. L’an dernier, lorsque le Royaume-Uni vota en faveur de son départ de l’Europe et que les électeurs américains choisirent Trump pour président, la montée du populisme de droite, qui semblait jusque-là peu probable, apparut irrésistible. Et à bien des égards, la France était prête à laisser une populiste d’extrême-droite prendre le pouvoir : après avoir été durement frappée par les crises de l’euro au cours des dix dernières années, elle s’était trouvée confrontée à une vague d’attentats terroristes.
Mais les électeurs français – y compris ceux dont le candidat ou le parti n’avait pas atteint le second tour – comprirent le péril qu’ils auraient couru s’ils avaient permis à Le Pen d’accéder au palais de l’Élysée, et accordèrent à Macron une large victoire. Ce fut une démonstration d’intelligence et de maturité politique. Ce fut aussi une leçon pour le Royaume-Uni et les États-Unis (que NPR ne voulait peut-être pas entendre).
La façade que Le Pen avait si patiemment construite s’effondra, il est vrai, lors du débat présidentiel de l’entre-deux tours. Ses efforts pour « dédiaboliser » le Front national – en 2015, elle était allée jusqu’à expulser son père, Jean-Marie, du parti qu’il avait lui-même fondé –, n’étaient qu’une comédie. Elle est, et demeurera toujours, la fille de son père.
Mais si l’affrontement entre Macron et Le Pen s’est ainsi conclu, ce n’est pas seulement parce que c’était elle, c’est aussi, comme aurait dit Montaigne, parce que c’était lui. À un autre moment de l’histoire, la jeunesse et l’indépendance de Macron eussent été un lourd handicap. Mais dans la situation actuelle de défiance envers les partis politiques traditionnels, Macron offrait à la France la perspective d’un renouveau.
Les conséquences de sa victoire s’étendent bien sûr très loin au-delà des frontières du pays. Au Royaume-Uni pour commencer, où la Première ministre Theresa May a convoqué le mois prochain des élections générales anticipées dans l’espoir de renforcer sa position dans les négociations du Brexit qui approchent. Elle doit dorénavant faire face à la perspective d’une reconstitution de l’axe franco-allemand, qui risque d’être mieux équilibré, par conséquent plus stable qu’auparavant. Les héritiers politiques de Winston Churchill ne pouvaient certes pas soutenir une candidate nostalgique de la France de Vichy. Mais ils n’ont pas tort de s’inquiéter que l’élection du plus pro-européen des candidats ne les isole encore davantage.
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En fait, la victoire de Macron – qu’il a célébrée aux accents de l’Hymne à la joie de Beethoven, rien moins, donc, que l’hymne européen – va probablement ranimer des forces plus modérées et pro-européennes en Europe (à l’exception possible de la Hongrie et de la Pologne). Macron a montré que l’optimisme, soutenu par une pédagogie claire et ferme, peut remporter une élection, même dans une Europe qui semblait livrée au pessimisme et à la peur. Cette inflexion se confirmera probablement lors des élections générales italiennes et allemandes prévues cette année.
Si elle transforme l’image de la France (et celle du populisme de droite) en Europe, c’est, au-delà, l’image de l’Europe dans le monde que transforme la victoire de Macron. Contrairement à ce que prétend le président russe Vladimir Poutine, le « vieux continent » n’est pas entré en déclin ; il est encore capable de renouveau.
La Russie peut en être déçue. Mais pour la Chine, la victoire de Macron est une issue heureuse. Les Chinois, après tout, n’aiment pas l’incertitude, surtout lorsqu’elle agite les marchés, qu’une victoire de Le Pen aurait alarmés.
Quant aux États-Unis, la victoire de Macron y suscite probablement des réactions contrastées. Elle inspire, peut-on penser, à une majorité d’Américains, qui n’ont pas voté pour Trump, un mélange de soulagement et de satisfaction. Car dans une certaine mesure, la défaite de Le Pen est pour Trump lui-même un avertissement. À quoi s’ajoute peut-être un peu d’envie : si les Démocrates avaient disposé d’un Macron plutôt que d’une Hillary Clinton, Trump ne serait pas président.
Mais est-on certain que les Américains qui ont voté pour Trump sachent quoi penser ? d’un point de vue idéologique, la victoire de Macron les déçoit, mais d’un point de vue géopolitique, ce n’est pas une si mauvaise nouvelle. Car en renforçant le pilier européen de l’OTAN, elle va profiter à tout le monde occidental. Quant à Trump – qui est plus un narcisse qu’un idéologue, et qui n’a jamais réellement rencontré Le Pen, même si beaucoup, dans son administration, lui ont témoigné leur sympathie –, il peut toujours tenter de tourner l’événement à son avantage.
Pour Macron, la tâche ne fait que commencer. Il ne pourra entreprendre les changements qu’il a promis et continuer d’incarner les espoirs progressistes du monde que si son mouvement, La République en marche, emporte une majorité de sièges lors des élections législatives du mois prochain. On espère que les électeurs français feront alors preuve de sang-froid et de sagesse et accorderont au président le soutien dont il a besoin à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas l’avenir d’un homme politique ou de son parti qui est en jeu, c’est le destin de la République française – et l’avenir de l’Europe.
Traduction François Boisivon