PARIS – En ayant fait de Poutine son premier invité à Paris alors qu’il était probablement le candidat le moins désiré par le Kremlin, en ayant décidé d’inviter Trump à Paris pour le 14 juillet alors que ce dernier espérait la victoire de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a symboliquement planté le décor de la nouvelle politique étrangère française : parler à tout le monde sans occulter la réalité des désaccords, rester ferme sur des principes sans négliger la possibilité de compromis nouveaux, profiter des retraits américains et britanniques pour redonner à la France une place centrale dans la diplomatie internationale, le tout sur fond d’ engagement européen.
Macron est convaincu d’une chose. Sans redressement économique la France ne pourra rien. C’est la leçon essentielle qu’il retire du quinquennat de son prédécesseur François Hollande. Parce que celui-ci s’est montré incapable de mener une politique cohérente de redressement, et s’est trouvé dans l’incapacité de changer le regard que le monde portait sur la France. Certes il y a eu le contre-exemple de l’intervention militaire au Mali. Mais c’est un exemple qui malheureusement est resté isolé. Sur le terrain européen qui demeure malgré tout le cœur de la politique française, Hollande n’a obtenu que peu de résultats tout simplement parce qu’il n’était pas assez fort et assez crédible sur le plan intérieur pour pouvoir agir et se fait respecter. Macron pourra-t-il modifier la donne ?
Il est bien évidemment trop tôt pour répondre de manière définitive à cette question. Mais on peut d’ores et déjà identifier un certain nombre d’atouts dont il dispose et dont avait été privé son prédécesseur : un indiscutable charisme, une capacité à tisser des liens personnels avec des dirigeants étrangers notamment parce qu’il maîtrise l’anglais, une connaissance assez grande des enjeux de la globalisation, une volonté de réforme sur le plan économique , enfin une amélioration sensible de la situation économique de la France et de l’Europe. À cela s’ajoute trois réalités internationales majeures qui redonnent un certain espace politique à la France : la forte convergence franco-allemande sur bon nombre de sujets de régulation mondiale, l’affaissement de la Grande-Bretagne qui va se trouver isolée, la politique erratique de Trump , autant d’éléments qui lui permettent de se présenter comme un champion du multilatéralisme tant au regard du commerce international que du changement climatique. Naturellement la France n’a ni les moyens ni l’ambition de se substituer au leadership américain. Mais il existe une fenêtre pour exercer une influence prépondérante dans la régulation du système international à la fois en parlant à tout le monde et en faisant preuve d’une certaine créativité politique notamment au Conseil de Securité. De ce point de vue, la manière dont Macron aborde Poutine et Trump est assez illustrative de la démarche française.
Macron était probablement le pire candidat pour la Russie. Et c’est devant Monsieur Poutine à Versailles que Monsieur Macron a parlé de la désinformation menée par des médias russes pendant la campagne électorale française. Aucun prédécesseur de Macron ne se serait hasardé à un tel exercice publiquement. Mais c’est par ce que les divergences sont claires et que le rapport de force est établi que le dialogue peut s’engager. Vis-à-vis de la Russie, le test majeur sera la Syrie. Là encore Macron a été très habile. Il a très clairement laissé de côté la question de l’avenir de Assad. Mais simultanément il a fait savoir que la France interviendrait militairement seule contre Damas si celle-ci venait à utiliser des armes chimiques. Entre ces deux principes il existe une marge de convergence entre la France la Russie sur lesquels Macron essaie de travailler. Nul ne sait bien sûr si cette démarche réussira. Mais très clairement la France est en train de revenir dans le jeu syrien dont elle avait été marginalisée.
Avec Trump les désaccords sont aussi profonds même s’ils ne portent pas sur les mêmes sujets. Ces désaccords concernent pour l’essentiel des questions multilatérales. La France comme l’Europe croit beaucoup au multilatéralisme. Elle est donc extrêmement inquiète des mesures unilatérales de dérégulation financière que l’administration Trump a en tête de même qu’elle s’alarme des mesures protectionnistes qui vont affecter l’économie européenne sans parler de la volonté inquiétante exprimée par les États-Unis de remettre en cause le système de règlement des différends à l’OMC. Macron a un objectif central : convaincre Trump de revenir sur son engagement de se retirer de l’accord de Paris sur le climat et cela de concert avec Angéla Merkel. Il n’est bien évidemment pas du tout sûr qu’il y parvienne mais il est bien évident que s’il parvenait il doterait la France d’un atout stratégique de premier plan sur la scène internationale. Macron un autre souci face à Trump : éviter que les divergences qu’il a avec lui finissent par détruire les convergences qui demeurent entre la France et les États-Unis notamment dans la lutte contre le terrorisme. Sur la Syrie par exemple les positions des deux pays ne sont pas très différentes. On peut même penser que sur cette affaire les relations franco-américaines sont aujourd’hui plus claires puisque la diplomatie française a beaucoup souffert de la volte-face de Obama en 2013 .Mais le vrai problème avec Trump c’est l’absence de ligne claire, d’interlocuteur fiable qui engage l’Amérique.
Les menaces de désengagement américain de l’OTAN sont un autre sujet de préoccupation pour la France. Mais parce que celle-ci a toujours veillé à maintenir une capacité stratégique autonome elle espère que la réduction de la garantie stratégique américaine rendra les Européens beaucoup plus conscients de la nécessité qu’ils ont à être autonomes sur le plan stratégique. Certes, ce sujet est rebattu depuis deux très nombreuses décennies sans que des progrès substantiels aient été accomplis en matière de défense européenne. Il y a des obstacles économiques stratégiques et culturels considérables à l’émergence d’une défense européenne y compris d’ailleurs dans les milieux industriels français. Mais on sent néanmoins un changement de démarche. Au lieu de partir de la définition de grands objectifs stratégiques communs résistant mal à la réalité, la Commission européenne a pour la première fois décidé de proposer des financements européens dans des programmes et notamment des programmes de RD qui sont la clé sur le plan militaire. Cela prendra bien évidemment beaucoup de temps. Mais là encore avec le désengagement américain d’un côté et le départ des Britanniques de l’autre qui ont systématiquement toujours bloqué l’idée de défense européenne de nouvelles perspectives apparaissent en Europe notamment en raison de la proximité franco-allemande. Les Allemands ont en effet pris conscience qu’une page stratégique était en train de se tourner en Europe et que la meilleure façon d’y faire face était probablement de revigorer l’idée de défense européenne.
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Macron n’a pas à proprement parler de doctrine internationale que l’on pourrait théoriser. Mais on voit bien son objectif : rehausser la crédibilité de la politique de la France en rétablissant sa puissance économique déclinante, en donnant de la substance à la relation avec l’Allemagne, en renforçant le rôle de l’Europe dans le monde notamment face à l’hégémonie des GAFA, en parlant à tout le monde pour ne se couper de personne. Macron est très clairement sur une ligne réaliste. Mais son réalisme ne confine pas pour autant au cynisme.
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Since Plato’s Republic 2,300 years ago, philosophers have understood the process by which demagogues come to power in free and fair elections, only to overthrow democracy and establish tyrannical rule. The process is straightforward, and we have now just watched it play out.
observes that philosophers since Plato have understood how tyrants come to power in free elections.
Despite being a criminal, a charlatan, and an aspiring dictator, Donald Trump has won not only the Electoral College, but also the popular vote – a feat he did not achieve in 2016 or 2020. A nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians are to blame.
points the finger at a nihilistic voter base, profit-hungry business leaders, and craven Republican politicians.
PARIS – En ayant fait de Poutine son premier invité à Paris alors qu’il était probablement le candidat le moins désiré par le Kremlin, en ayant décidé d’inviter Trump à Paris pour le 14 juillet alors que ce dernier espérait la victoire de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a symboliquement planté le décor de la nouvelle politique étrangère française : parler à tout le monde sans occulter la réalité des désaccords, rester ferme sur des principes sans négliger la possibilité de compromis nouveaux, profiter des retraits américains et britanniques pour redonner à la France une place centrale dans la diplomatie internationale, le tout sur fond d’ engagement européen.
Macron est convaincu d’une chose. Sans redressement économique la France ne pourra rien. C’est la leçon essentielle qu’il retire du quinquennat de son prédécesseur François Hollande. Parce que celui-ci s’est montré incapable de mener une politique cohérente de redressement, et s’est trouvé dans l’incapacité de changer le regard que le monde portait sur la France. Certes il y a eu le contre-exemple de l’intervention militaire au Mali. Mais c’est un exemple qui malheureusement est resté isolé. Sur le terrain européen qui demeure malgré tout le cœur de la politique française, Hollande n’a obtenu que peu de résultats tout simplement parce qu’il n’était pas assez fort et assez crédible sur le plan intérieur pour pouvoir agir et se fait respecter. Macron pourra-t-il modifier la donne ?
Il est bien évidemment trop tôt pour répondre de manière définitive à cette question. Mais on peut d’ores et déjà identifier un certain nombre d’atouts dont il dispose et dont avait été privé son prédécesseur : un indiscutable charisme, une capacité à tisser des liens personnels avec des dirigeants étrangers notamment parce qu’il maîtrise l’anglais, une connaissance assez grande des enjeux de la globalisation, une volonté de réforme sur le plan économique , enfin une amélioration sensible de la situation économique de la France et de l’Europe. À cela s’ajoute trois réalités internationales majeures qui redonnent un certain espace politique à la France : la forte convergence franco-allemande sur bon nombre de sujets de régulation mondiale, l’affaissement de la Grande-Bretagne qui va se trouver isolée, la politique erratique de Trump , autant d’éléments qui lui permettent de se présenter comme un champion du multilatéralisme tant au regard du commerce international que du changement climatique. Naturellement la France n’a ni les moyens ni l’ambition de se substituer au leadership américain. Mais il existe une fenêtre pour exercer une influence prépondérante dans la régulation du système international à la fois en parlant à tout le monde et en faisant preuve d’une certaine créativité politique notamment au Conseil de Securité. De ce point de vue, la manière dont Macron aborde Poutine et Trump est assez illustrative de la démarche française.
Macron était probablement le pire candidat pour la Russie. Et c’est devant Monsieur Poutine à Versailles que Monsieur Macron a parlé de la désinformation menée par des médias russes pendant la campagne électorale française. Aucun prédécesseur de Macron ne se serait hasardé à un tel exercice publiquement. Mais c’est par ce que les divergences sont claires et que le rapport de force est établi que le dialogue peut s’engager. Vis-à-vis de la Russie, le test majeur sera la Syrie. Là encore Macron a été très habile. Il a très clairement laissé de côté la question de l’avenir de Assad. Mais simultanément il a fait savoir que la France interviendrait militairement seule contre Damas si celle-ci venait à utiliser des armes chimiques. Entre ces deux principes il existe une marge de convergence entre la France la Russie sur lesquels Macron essaie de travailler. Nul ne sait bien sûr si cette démarche réussira. Mais très clairement la France est en train de revenir dans le jeu syrien dont elle avait été marginalisée.
Avec Trump les désaccords sont aussi profonds même s’ils ne portent pas sur les mêmes sujets. Ces désaccords concernent pour l’essentiel des questions multilatérales. La France comme l’Europe croit beaucoup au multilatéralisme. Elle est donc extrêmement inquiète des mesures unilatérales de dérégulation financière que l’administration Trump a en tête de même qu’elle s’alarme des mesures protectionnistes qui vont affecter l’économie européenne sans parler de la volonté inquiétante exprimée par les États-Unis de remettre en cause le système de règlement des différends à l’OMC. Macron a un objectif central : convaincre Trump de revenir sur son engagement de se retirer de l’accord de Paris sur le climat et cela de concert avec Angéla Merkel. Il n’est bien évidemment pas du tout sûr qu’il y parvienne mais il est bien évident que s’il parvenait il doterait la France d’un atout stratégique de premier plan sur la scène internationale. Macron un autre souci face à Trump : éviter que les divergences qu’il a avec lui finissent par détruire les convergences qui demeurent entre la France et les États-Unis notamment dans la lutte contre le terrorisme. Sur la Syrie par exemple les positions des deux pays ne sont pas très différentes. On peut même penser que sur cette affaire les relations franco-américaines sont aujourd’hui plus claires puisque la diplomatie française a beaucoup souffert de la volte-face de Obama en 2013 .Mais le vrai problème avec Trump c’est l’absence de ligne claire, d’interlocuteur fiable qui engage l’Amérique.
Les menaces de désengagement américain de l’OTAN sont un autre sujet de préoccupation pour la France. Mais parce que celle-ci a toujours veillé à maintenir une capacité stratégique autonome elle espère que la réduction de la garantie stratégique américaine rendra les Européens beaucoup plus conscients de la nécessité qu’ils ont à être autonomes sur le plan stratégique. Certes, ce sujet est rebattu depuis deux très nombreuses décennies sans que des progrès substantiels aient été accomplis en matière de défense européenne. Il y a des obstacles économiques stratégiques et culturels considérables à l’émergence d’une défense européenne y compris d’ailleurs dans les milieux industriels français. Mais on sent néanmoins un changement de démarche. Au lieu de partir de la définition de grands objectifs stratégiques communs résistant mal à la réalité, la Commission européenne a pour la première fois décidé de proposer des financements européens dans des programmes et notamment des programmes de RD qui sont la clé sur le plan militaire. Cela prendra bien évidemment beaucoup de temps. Mais là encore avec le désengagement américain d’un côté et le départ des Britanniques de l’autre qui ont systématiquement toujours bloqué l’idée de défense européenne de nouvelles perspectives apparaissent en Europe notamment en raison de la proximité franco-allemande. Les Allemands ont en effet pris conscience qu’une page stratégique était en train de se tourner en Europe et que la meilleure façon d’y faire face était probablement de revigorer l’idée de défense européenne.
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