eichengreen143_Bastiaan SlabbersNurPhoto via Getty Images_nursingclass Bastiaan Slabbers/NurPhoto via Getty Images

Formation professionnelle et pandémie

BERKELEY – Le COVID-19 ne disparaît pas et d'autres virus dangereux pourraient apparaître. Autrement dit, il est temps de faire face à cette sombre réalité : beaucoup des conséquences économiques et sociales de la pandémie vont persister, peut-être même de manière permanente.

Certaines de ces conséquences sont déjà visibles. Les restaurants, les hôtels, les compagnies  aériennes, les petits commerces de détail et les grands lieux de distraction sont confrontés à une baisse de la demande ; et les offres d'emploi sont de moins en moins nombreuses dans tous ces secteurs. Par contre la demande est à la hausse pour tout ce qui est en ligne, ainsi que dans les secteurs de la santé, de la garde d'enfants et des services à domicile. De ce fait, nombre de travailleurs devront faire preuve de mobilité et les nouveaux entrants sur le marché du travail devront posséder de nouvelles qualifications.

Certains économistes ont tendance à croire que si quelque chose manque à l'économie, le problème va se résoudre de lui-même grâce au marché. A titre d'exemple, ils pensent que sous la pression du marché de l'emploi, les travailleurs prendront conscience de la nécessité d'acquérir de nouvelles compétences, et que leurs employeurs transmettront ces compétences à d'autres.

Tout cela est très théorique. Comme tout le monde, la plupart des personnes en formation professionnelle ne peuvent savoir ce que sera l'état de l'économie dans deux ans quand elles entreront sur le marché du travail. Il est difficile de prédire quelles seront alors les compétences que l'on attendra des professionnels de santé à l'époque de la télémédecine et du séquençage du génome.

Par ailleurs, il n'est pas évident de savoir où se diriger pour acquérir la formation adéquate, d'autant que cela peut être coûteux. Certaines écoles d'enseignement privées promettent aux étudiants de leur apprendre à coder des programmes informatiques, mais elles ne les aident pas à acquérir un diplôme, et encore moins à trouver un emploi.

Pour leur part, les entreprises ne disposent que d'une capacité réduite de formation, notamment  aujourd'hui, car elles sont elles aussi à la limite de leurs capacités financières. Et elles ne sont guère incitées à aller plus loin dans cette voie, car une fois formé, rien ne leur dit qu'un travailleur ne va pas s'en aller. Il pourrait être possible de partager les coûts en payant moins les salariés en formation que les salariés nouvellement recrutés. Mais dans des secteurs comme l'aide à la personne ou les soins aux personnes âgées, les salaires sont déjà pratiquement à un niveau plancher, notamment aux USA.

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Plus généralement, nous savons que laissés à eux-mêmes, les individus et les entreprises n'investissent pas suffisamment dans le capital humain. Or la contribution d'un travailleur à la croissance économique et à la société dépasse le coût de sa formation. Pourtant rien ne pousse spontanément les travailleurs et les entreprises à prendre ce facteur en considération. Il revient donc à l'Etat de proposer des formations professionnelles. Malheureusement, dans le secteur public elles s'avèrent décevantes.

Aux USA, la commission des conseillers économiques a évalué ces formations peu avant la pandémie (sans retenir beaucoup l'attention) et conclu qu'elles n'étaient guère efficaces en terme d'apprentissage et d'aide à la recherche d'emploi. En général, plus la formation est étendue, pire est le résultat. Cela ne concerne pas seulement les USA : dans les années 1990 dans l'ex-Allemagne de l'Est, les programmes de reconversion professionnelle à grande échelle ont été très décevants.

Il y a une leçon à retenir de ces échecs : une formation professionnelle est pleinement utile quand elle se fait en relation avec un véritable emploi. Il faudrait que les concepteurs de ces formations soient informés en détail des types d'emploi qui seront prochainement recherchés et des qualifications qui seront requises. Une formation est d'autant plus efficace qu'elle est conçue en collaboration avec les secteurs ou les entreprises concernées, car les employeurs savent quelles sont les compétences dont ils auront besoin. L'apprentissage joue un rôle essentiel, et pas seulement pour les métiers manuels. Bien que l'on pense avant tout à l'apprentissage dans des secteurs comme la plomberie ou la mécanique, il intervient de plus en plus dans d'autres secteurs comme les soins infirmiers ou l'assurance.

L'Europe est en avance dans ce domaine. Cela tient à une bonne implantation des syndicats qui peuvent coopérer avec les associations patronales pour organiser l'apprentissage et au lien  relativement fort entre les entreprises et les salariés. Aux USA il sera plus difficile de faire des progrès en ce sens. En 2017, Donald Trump a décidé par décret présidentiel la création d'un groupe de travail sur l'apprentissage, mais ses recommandations (suppression des redondances dans les programmes de formation et harmonisation des interactions entre l'Etat et les secteurs professionnels) étaient dénuées d'efficacité.

Aujourd'hui du fait de la diminution d'emplois à long terme, les entreprises américaines investissent moins dans la formation que dans le passé. Croire qu'elles vont recruter spontanément des millions d'apprentis relève de l'illusion.

Il faudrait des crédits d'impôts et des subventions pour encourager la formation. Aux USA, 16 Etats offrent des crédits d'impôt aux entreprises qui proposent des formations professionnelles. Il faudrait que l'Etat fédéral fasse de même en suivant l'exemple du crédit d'impôt en faveur de la recherche et du développement qui a déjà fait ses preuves, d'autant que la formation est une forme de développement.

Enfin, nous devons mieux financer les écoles et les instituts de formation professionnelle. Aux USA, cela passe par deux ans d'étude dans l'un des établissements qui offrent des cours dans tout un éventail de domaines, de l'ergothérapie à la CAO (conception aidée par ordinateur). Malheureusement, étant financés au niveau de chaque Etat ou au niveau local, ces établissements ont été frappés de plein fouet par la crise - une situation encore aggravée par la réticence du Congrès à aider les Etats et les autorités locales.

La transition vers le monde engendré par le COVID-19 ne peut être que difficile. Les responsables politiques prendront-ils les mesures susceptibles de la faciliter ?

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

https://prosyn.org/dcnieGgfr