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Au cour du raisonnement nucléaire de l’Iran

MELBOURNE – L’Iran est-elle déterminée à obtenir l’arme nucléaire ? Ou se contentera-t-elle d’une simple capacité nucléaire, susceptible de fabriquer des armes sans pour autant le faire ? La différence a-t-elle de l’importance ?  

Peu de questions internationales englobent des enjeux aussi forts que ceux-la. Si le profond pessimisme qui entoure les intentions iraniennes persiste, la plus grande inquiétude concerne une attaque préventive israélienne qui pourrait engendrer un nouveau conflit majeur au Moyen-Orient avec la probabilité de conséquences dramatiques pour l’économie mondiale.

Personne ne devrait sous-estimer la difficulté d’évaluer les intentions réelles de l’Iran. Et les signaux mitigés de la part de centres de pouvoir concurrents n’aident en rien ; ni d’ailleurs le contraste récurrent entre le discours iranien public, généralement claironnant, et le discours officieux, plutôt plus modéré. Les pessimistes et les sceptiques ont matière à s’inquiéter compte tenu de l’historique de cas d’obstructions et de stratégies de la corde raide de la part de l’Iran par rapport aux inquiétudes légitimes qu’éveillent ses programmes nucléaires. 

Ceci étant dit, trop d’hommes politiques et de commentateurs ont jugé trop rapidement, surtout en ce qui concerne la détermination irrévocable de l’Iran à fabriquer des armes nucléaires, ou à obtenir une capacité nucléaire suffisante, ce qui serait tout aussi dangereux.

En fait, il y de bonnes raisons de penser que la situation est moins alarmante et plus maîtrisable qu’il n’y paraît. Parvenir à un accord acceptable à la fois pour l’Iran et la communauté internationale semble incroyablement difficile à négocier, mais ce n’est pas impossible.

Il ne faut pas chercher très loin les raisons qui poussent l’Iran à tester les limites de la tolérance internationale : racheter les humiliations de l’ère Mosaddeq, démontrer à la région et au reste du monde la supériorité de ses prouesses technologiques et pour affirmer clairement aux puissances occidentales – dont le double jeu est perçu comme ayant abandonné l’Iran à la guerre chimique de Saddam Hussein à la fin des années 80 – qu’il n’y aurait aucun compromis sur son « droit » à enrichir l’uranium selon les termes du Traité de Non-Prolifération nucléaire (TNP).

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Par contre, les observateurs ont plus de mal à comprendre pourquoi l’Iran mettrait un terme au développement de ses armes nucléaires qu’elle devrait rapidement avoir les moyens de fabriquer. Mais au cours des nombreuses conversations officieuses que j’ai pu avoir avec des responsables en Iran et ailleurs ces dernières années, j’ai entendu cinq raisons potentielles différentes avancées clairement à plusieurs reprises et qui méritent d’être prises au sérieux.

La première est la crainte qu’Israël pourrait considérer l’existence d’une ou deux bombes nucléaires iraniennes comme une menace existentielle, nécessitant une attaque militaire préventive – avec ou sans le soutien des américains, mais dans tous les cas avec des moyens contre lesquels l’Iran sait très bien qu’elle ne peut se mesurer. Les Iraniens ne pensent pas qu’une telle attaque se concrétise jamais s’ils ne dépassent pas la limite actuelle de militarisation.

Deuxièmement, il est très clair ni la Russie ni la Chine ne toléreront une bombe iranienne, et tout le soutien que ces pays ont accordé à l’Iran au Conseil de Sécurité s’évaporera si l’Iran persiste à s’armer. Une attitude affichée plus clairement à l’occasion des dernières négociations sur de nouvelles sanctions.

Troisièmement, et découlant de ceci, il ne fait aucun doute pour l’Iran que si elle obtenait effectivement la bombe, cela entrainerait d’impossibles sanctions économiques particulièrement sévères. Des sanctions financières, directes et indirectes, sont déjà à l’ouvre – y compris sur les Gardiens de la Révolution et leurs conséquents intérêts économiques  – mais ont été tolérables dans le contexte d’évaluation du « droit à l’enrichissement » de l’Iran du TNP. Une fois en rupture évidente avec le TNP, l’Iran sait bien que la participation internationale à un régime de sanctions plus lourd sera inévitable.  

Quatrièmement, les Iraniens savent bien qu’une hégémonie régionale obtenue par l’arme nucléaire ne tiendra pas longtemps. La capacité de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite ou de la Turquie à développer rapidement leur propre bombe ne convainc que peu de monde et tous savent que des pressions internationales importantes se feraient jour, surtout de la part des Etats-Unis, pour les convaincre de ne pas le faire. Mais il est aussi clair que des frictions régionales de type Arabo-persannes, Sunnites-Shiites, ou d’autres plus directes, rendraient inévitable une course au nucléaire.

Enfin, il y a aussi une raison d’ordre religieux : les armes de destruction massives sont en totale violation des préceptes de l’Islam. Cet argument est le plus souvent déconsidéré en occident mais c’est pourtant un élément qui est systématiquement revenu dans mes conversations avec les responsables iraniens, quel que soit leur rang.  Et cela n’est pas sans fondement : l’Iran n’a en effet pas répondu avec la même vigueur lorsque l’Irak l’a bombardé d’armes chimiques.

Rien de tout cela n’indique que nous pouvons avoir confiance dans les intentions iraniennes, et trop de doutes persistent pour cela. Tout accord qui mettrait fin aux sanctions et à l’isolation diplomatique devrait être accompagné d’une surveillance, d’une inspection intrusives et de modalités de vérification portant non seulement sur toutes les étapes sensibles du cycle nucléaire mais aussi sur tous plans de conception d’armements ou de laboratoires d’ingénierie suspects. La communauté internationale doit absolument pouvoir compter sur un laps de temps suffisant – douze mois environs – pour répondre à toute preuve qui montrerait une intention réelle de l’Iran d’augmenter son armement.

Les frustrations vont demeurer, comme celles ressenties au cours de l’année dernière lors de l’effort créatif des membres du conseil de sécurité – et plus récemment du Brésil et de la Turquie – pour trouver des solutions intermédiaires susceptibles de recréer la confiance et qui ont été rejetées, principalement parce que les chefs du mouvement démocratique de l’année dernière ont refusé de se compromettre avec le président Mahmoud Ahmadinejad. Mais il y a aussi suffisamment de rationalité pour laisser ouverte la porte des négociations.

L’Iran est un pays extraordinairement complexe. Mais, tout comme nous ne pouvons nous permettre de sous-estimer les forces extrémistes persistantes, nous ne parvenons pas à comprendre, à nos risques et périls, les courants modérés et de bon sens qui circulent aussi dans le pays, y compris aux niveaux les plus élevés du gouvernement.

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