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Qu'est-ce qu'une politique étrangère morale ?

CAMBRIDGE – Bien des Américains disent vouloir une politique étrangère morale. Mais ils ne s'accordent pas pour autant sur le sens de ce terme. Une mise en perspective tridimensionnelle nous encourage à éviter les réponses simplistes et à examiner les motivations, les moyens et les conséquences des actes d'un président américain.

Prenons par exemple les présidences de Ronald Reagan et des deux présidents Bush. Lorsque les gens demandent une « politique étrangère reaganienne », ils veulent souligner la clarté de sa rhétorique dans la présentation des valeurs. Des objectifs clairement énoncés ont aidé à éduquer et à motiver l'opinion publique sur le plan national comme à l'étranger.

Mais ce n'était qu'un aspect de la politique étrangère de Reagan. Le succès de son leadership moral reposait également sur ses moyens de négociation et de compromis. La question essentielle consiste à savoir s'il était prudent de trouver un équilibre entre ses objectifs et les risques en vue d'y parvenir.

La rhétorique initiale de Reagan durant son premier mandat a créé un dangereux degré de tension et de méfiance entre les États-Unis et l'Union soviétique, augmentant le risque de mauvais calcul ou d'accident conduisant à la guerre. Mais cela a également créé des incitations à négocier, que Reagan a par la suite mises à profit lorsque Mikhaïl Gorbatchev est arrivé au pouvoir en Union soviétique. Reagan a fait valoir les intérêts nationaux des États-Unis, et il l'a fait de manière à ce que cela ne joue pas exclusivement en faveur des intérêts américains.

En revanche, George H.W. Bush, de son propre aveu, n'a pas fait la promotion d'une vision transformatrice de la politique étrangère à la fin de la Guerre froide. Son objectif était d'éviter les catastrophes au cours d'une période de changement géopolitique rapide et de grande envergure. Bien qu'il ait fait référence à un « nouvel ordre mondial », il n'a jamais dévoilé les contours de ce dernier. Alors que Bush et son équipe ont répliqué à des forces échappant largement à son contrôle, il a fixé des objectifs en pesant les opportunités et la prudence.

Bush a limité ses objectifs à court terme afin de poursuivre la stabilité à long terme, ce qui a amené certains critiques à lui reprocher de n'avoir pas fixé d'objectifs plus ambitieux. Au lieu de cela, il s'est montré prudent durant une période turbulente et a réussi à atteindre les objectifs américains d'une manière qui n'a pas été pas indûment insulaire et qui a causé un minimum de tort aux intérêts des étrangers. Il a pris garde à ne pas humilier Gorbatchev et à gérer la transition de Boris Eltsine vers le leadership en Russie.

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Grâce à de meilleures compétences en communication, Bush aurait pu également être en mesure de faire davantage pour éduquer le public américain sur la nature changeante du monde qu'il a dû affronter après la Guerre froide. Mais compte tenu des incertitudes de l'histoire et du potentiel de catastrophe à la fin de la Guerre froide, Bush a eu l'une des meilleures politiques étrangères de la période postérieure à 1945. Il a permis aux États-Unis de bénéficier des résultats de la Guerre froide tout en évitant la catastrophe.

Son fils, George W. Bush, a entamé son premier mandat avec un intérêt limité pour la politique étrangère, mais ses objectifs sont devenus transformationnels après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Il s'est concentré sur la sécurité nationale, mais s'est tourné vers la rhétorique de la démocratie pour rallier ses partisans en temps de crise. Sa stratégie de sécurité nationale de 2002, appelée « doctrine Bush », a déclaré que les États-Unis « identifieraient et élimineraient les terroristes où qu'ils se trouvent, ainsi que les régimes qui les soutiennent ».

Dans cette nouvelle partie, il y avait peu de règles établies et on n'accordait pas une attention suffisante aux moyens. La solution de Bush à la menace terroriste, qui a consisté à diffuser la démocratie et un « programme de liberté », a ainsi constitué la base de sa stratégie de sécurité nationale en 2006. Mais il n'a pas eu les moyens de démocratiser l'Irak. La destitution de Saddam Hussein n'a pas été un succès pour sa mission. En outre, une compréhension inadéquate du contexte, ainsi qu'une mauvaise planification et une mauvaise gestion, ont nui aux objectifs ambitieux de Bush. Tout cela a débouché sur une guerre civile sectaire en Irak et sur un renforcement des groupes terroristes qui se sont finalement transformés en l'État islamique (EI).

Un problème perpétuel dans la politique étrangère américaine est la complexité du contexte, ce qui augmente la probabilité de conséquences involontaires. La prudence est parfois rejetée au titre du simple intérêt personnel, mais en politique étrangère, elle devient une vertu. Une analyse négligente et une prise de risques inconsidérés conduisent souvent à des conséquences immorales, ou à ce qu'on appelle en termes juridiques une « négligence coupable ». La prudence exige également une capacité à gérer ses émotions. À ces deux égards, le rejet par le président Donald Trump des services de renseignement et sa dépendance à des sources télévisées soulève de graves questions morales et pratiques sur sa politique étrangère.

Cela conduit, à son tour, à la question du rôle des institutions et à la manière dont un président définit l'intérêt national des États-Unis. La politique étrangère d'un président ne dépend pas seulement d'actions spécifiques, mais également de la manière dont une suite d'actions façonne l'environnement de la politique mondiale. Le leadership du pays le plus puissant du monde dans l'offre de biens publics mondiaux est conforme au slogan « America First » (l'Amérique d'abord), mais il repose sur une compréhension plus large de ce terme comparé à l'usage que Trump en fait. Comme l'a déclaré Henry Kissinger, « les calculs du pouvoir sans dimension morale vont transformer tout désaccord en une épreuve de force (… ) Les prescriptions morales sans souci d'équilibre, d'un autre côté, tendent soit vers des croisades ou vers une politique impotente des défis tentants ; soit vers des risques extrêmes qui menacent la cohérence de l'ordre international lui-même. »

La prudence est une vertu nécessaire pour une bonne politique étrangère, mais pas suffisante. Les présidents américains ont été prudents lorsqu'ils ont dû adopter une vision institutionnelle plus large. À l'avenir, un jugement usant de clairvoyance et de stratégie et qui comprenne et réponde adéquatement aux nouveaux changements technologiques et environnementaux – tels que les cyber-menaces, l'intelligence artificielle, le changement climatique et les pandémies – sera crucial.

Une politique étrangère morale améliore non seulement le sort des Américains, mais également celui du monde entier. Nous jugeons la politique morale en examinant le comportement et les institutions, les actes de commission et d'omission, et selon les trois dimensions des motivations, des moyens et des conséquences. Là encore, la nature de la politique étrangère – avec ses nombreuses contingences et ces événements imprévus – signifie que nous nous serons souvent confrontés à des verdicts mixtes.

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