ve991c.jpg Chris Van Es

Une moisson de suicides

NEW DELHI – Depuis une décennie, une épidémie de suicides frappe quatre États indiens – le Maharastra, l’Andhra Pradesh, le Karnataka et le Pendjab. Selon les chiffres officiels, plus de 160.000 paysans se sont suicidés en Inde depuis 1997.

L’incidence de suicides est la plus élevée là où les paysans cultivent du coton et semble directement liée à l’existence de monopoles de semences. En Inde, l’approvisionnement en semences de coton a peu à peu échappé au contrôle des paysans pour tomber aux mains de producteurs mondiaux de semences comme Monsanto. Ces sociétés géantes ont entrepris de contrôler les semenciers locaux au moyen de rachats, de co-entreprises et de franchises, donnant lieu à la naissance de monopoles de semences.

Dans ce cas, les semences, d’un bien commun, deviennent la «�propriété intellectuelle�» de sociétés comme Monsanto qui peuvent en tirer des bénéfices sans limites au moyen des royalties. Pour les paysans, cette situation se traduit par une aggravation de leurs dettes.

D’une ressource renouvelable et régénératrice, les semences ont ainsi été transformées en un produit de base non renouvelable. La raréfaction des semences est directement imputable aux monopoles, qui ont comme arme ultime les semences «�terminator�», génétiquement modifiées pour être stériles. Cela veut dire que les paysans ne peuvent plus utiliser les graines de la dernière récolte et doivent à chaque saison de plantation retourner se pourvoir auprès d’un semencier. Pour les paysans, cela implique des coûts plus élevés�; pour les sociétés productrices de semences, des bénéfices plus élevés.

La création de monopoles de semences a été rendue possible par la déréglementation des sociétés du secteur, une déréglementation qui leur a notamment donné le droit de déterminer l’innocuité de leurs produits. Avec l’arrivée de la mondialisation, les sociétés ont été autorisées à vendre des semences dont elles avaient elles-mêmes défini la biosécurité. Dans le cas des semences génétiquement modifiées, ces sociétés cherchent à nouveau à obtenir le droit à s’auto-réglementer concernant la biosécurité.

Une réglementation fédérale sur les semences existe toujours, mais aujourd’hui elle vise les paysans, qui sont peu à peu poussés à devenir dépendants des semences brevetées. Ce brevetage du vivant est l’un des principaux facteurs de la destruction globale de la biodiversité. La création de monopoles de semences, accompagnée d’un endettement massif des paysans envers une nouvelle sorte d’usurier – les intermédiaires des sociétés semencières et chimiques – s’est également traduit par un coût élevé en termes de vies humaines.

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Les premiers suicides de paysans ont eu lieu dans le district de Warangal de l’Andhra Pradesh. Les agriculteurs de la région cultivaient auparavant le millet, des légumes secs et des graines oléagineuses. Du jour au lendemain, Warangal a été converti en une région de culture du coton en utilisant des graines hybrides stériles qui nécessitent une irrigation importante et qui ne résistent pas aux insectes nuisibles. Les petits paysans sans capital propre se sont retrouvés dans un cercle vicieux d’endettement. Pour certains, il n’y a eu qu’une porte de sortie.

C’est à cette époque que Monsanto et son partenaire indien, Mahyco, se sont livrés à des expérimentations illégales sur le terrain avec le coton Bt, une variété génétiquement modifiée. Toutes les importations et essais de culture d’organismes génétiquement modifiés sont réglementés en Inde par une disposition de la loi sur la protection de l’environnement�: les «�Règles sur la fabrication, l’utilisation, l’importation, l’exportation et le stockage des micro-organismes, des organismes ou cellules génétiquement modifiés dangereux�». La Fondation de recherche pour la science, les technologies et l’écologie s’est servie de cette disposition pour bloquer la commercialisation du coton Bt par Monsanto en 1999, raison pour laquelle cette variété n’a été vendue à des fins commerciales qu’en 2002.

La hausse des prix de production et la chute libre du prix de vente de leurs produits ont obligé les paysans à s’endetter, et l’endettement est la principale cause de suicide. C’est pour cette raison que les paysans se suicident surtout dans les régions productrices de coton où la mainmise des sociétés transnationales sur les semences asphyxie progressivement les agriculteurs.

Dans un premier temps, l’introduction des gênes Bt dans le coton avait pour objectif de lutter contre les insectes nuisibles. Mais de nouveaux parasites ont attaqué le coton Bt, obligeant les paysans à pulvériser sans cesse des pesticides. Dans la région de Vidharbha au Maharashtra, où l’incidence des suicides est la plus élevée, la superficie des plantations de coton est passée de 0,2 millions d’hectares en 2004 à 2,88 millions d’hectares en 2007. Le coût des pesticides a lui été multiplié par 13 sur la même période.

Une technologie transgénique qui ne tient pas ses promesses est sans doute intéressante pour des semenciers globaux qui sont aussi producteurs de pesticides et d’herbicides. Les paysans, eux, ont été acculés au suicide.

Les technologies sont des outils. Quand un outil ne fonctionne pas correctement, il faut le remplacer. Il est aujourd’hui évident que le coton Bt ne résiste pas aux parasites et qu’il ne permet pas aux paysans d’assurer leur subsistance. Il est temps de remplacer les semences génétiquement modifiées par l’agriculture biologique. Il est grand temps de mettre fin aux suicides.

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