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La paralysie qui attend l'Europe

BERLIN – Bien que les élections au Parlement européen aient eu très peu d'impact sur Bruxelles, leurs résultats vont bientôt bouleverser l'Europe.

Oui, les craintes d'une prise de contrôle par la droite se sont avérées exagérées. Les résultats électoraux ont plutôt ressemblé à une chiquenaude qu'à un séisme vers la droite. Alors que les partis d'extrême droite ont terminé en tête dans cinq pays et deuxièmes dans quatre autres, les implications pour les principaux dirigeants de l'UE sont limitées.

Le Parti populaire européen (PPE) de centre droit reste le plus grand groupe parlementaire. Avec 189 sièges, il dépasse largement le groupe d'extrême droite Identité et démocratie et les conservateurs et réformistes européens, qui totalisent 141 sièges. En outre, l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) de centre-gauche a perdu moins de sièges que prévu, en raison des fortes manifestations des sociaux-démocrates français, italiens et espagnols.

Le résultat est un parlement qui ne semble pas trop différent de son prédécesseur. Les trois grands groupes pro-européens détiennent toujours une majorité confortable. Tous ceux qui espéraient un bouleversement majeur dans la répartition des principaux emplois du bloc – ou une répétition du drame de 2019, lorsque les dirigeants européens ont tiré le nom d'Ursula von der Leyen du chapeau pour être présidente de la Commission européenne – seront probablement déçus.

Sauf surprise majeure, von der Leyen conservera son emploi et les principaux partis s’allieront pour occuper les autres postes. L'ancien Premier ministre portugais Antonio Costa et la Première ministre estonienne Kaja Kallas cherchent à être élus respectivement président du Conseil européen et diplomate en chef de l'UE.

Mais les élections européennes sont de seconde importance pour les élections nationales. Même s'il n'y a pas de véritable bouleversement au niveau de l'UE, nous avons maintenant un aperçu de la pourriture politique dans certains des États membres les plus influents du bloc, notamment la France et l'Allemagne. Le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz et leurs alliés ont subi des revers majeurs et réagissent de manière à affaiblir l'UE plus que tout résultat du Parlement européen.

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Je lance cet avertissement malgré des résultats plus prometteurs par ailleurs. En Pologne, la coalition du Premier ministre Donald Tusk a forcé le parti illibéral Droit et Justice (PiS) à se classer deuxième pour la première fois depuis des années (une amélioration par rapport aux élections polonaises de septembre, lorsque le PiS a terminé premier mais n'a pas pu former de gouvernement). En Hongrie, le parti Tisza de Peter Magyar a fait bonne figure. En Finlande et en Suède, les grands partis ont eu de très bons résultats.

En Allemagne, cependant, les partis de la coalition au pouvoir se sont tous classés derrière l'Union chrétienne-démocrate et le parti Alternative für Deutschland (AfD). L'expression qui fait maintenant le tour de Berlin est Kontaktschande, qui se réfère à une honte née de cette association avec les extrêmes. Les sociaux-démocrates (SPD), les verts et les démocrates libres (FDP) ont répondu par une campagne de récrimination mutuelle qui entravera davantage la capacité déjà limitée de leur coalition impopulaire à gouverner avant les élections clés à l'Est (bastion de l'AfD) cet automne.

En France, les perspectives du pays sont pires encore. Après que le Rassemblement national d'extrême droite a vaincu l'alliance centriste au pouvoir de près de 17 points aux élections européennes, Macron a choqué tout le monde en organisant des élections anticipées. Avec son penchant pour les coups de théâtre, Macron espérait peut-être reprendre le devant de la scène. Mais le résultat le plus probable sera un blocage parlementaire indéfini et un faible gouvernement minoritaire de technocrates ou une cohabitation avec un gouvernement de droite dominé par le Rassemblement national, déterminé à détruire l'héritage centriste de Macron.

Ces résultats nationaux révèlent le véritable sens des élections européennes. Menacé par la dérive électorale, chacun des partis de coalition allemands risque de doubler la mise sur son idéologie de base. Les bases respectives des Verts et du FDP les presseront d'être plus radicaux, ce qui les conduira dans des directions opposées sur la politique budgétaire. Il en résultera probablement plus de vétos allemands sur les décisions de l'UE en matière de migration et d'emprunts communs pour la défense.

Le pari de Macron, quant à lui, précède les grands sommets de l'OTAN et de l'Europe, les négociations d'élargissement de l'UE et les élections présidentielles américaines de cet automne. Dans les deux scénarios électoraux, les plans grandiloquents que Macron a récemment présentés dans un discours à la Sorbonne risquent d'être sabordés. Si le Rassemblement national forme le prochain gouvernement, Macron continuera de présider la politique étrangère et de défense, mais il sera miné de mille façons par ses cohabitants d'extrême droite.

La plus grande victime de ces élections sera peut-être l'unité européenne sur les grandes questions géopolitiques auxquelles le continent fait face. Avec les guerres qui font rage en Ukraine et au Moyen-Orient et Donald Trump en lice pour la présidence américaine, il est difficile d'imaginer un pire moment pour une Europe sans personne aux commandes. Avec peu de marge de manœuvre et un capital politique épuisé, Macron et Scholz ne sont pas en mesure de guider l'Europe vers la sortie de ces crises. La façon dont ils répondront au défi mettra à l'épreuve l'unité européenne et déterminera l'avenir du bloc.

Enfin, il y a une autre élection à envisager. Bien que le vainqueur de l'élection britannique du 4 juillet n'obtiendra aucun siège au Parlement européen ni au Conseil européen, il pourrait détenir la clé du rassemblement de l'Europe en vue de relever ses défis les plus urgents. Cela signifie que tous les yeux sont tournés vers le Parti travailliste, le vainqueur probable et son chef Keir Starmer.

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