OXFORD – L’hélium est un gaz indispensable dans un monde moderne reposant sur la technologie. Il permet par exemple de refroidir, avec une grande précision, les résistances des appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM), de même que le silicium utilisé pour concevoir les puces électroniques d’appareils de type smartphones, ou encore le verre des fibres optiques. En matière de fusées alimentées par pression, de physique de haut vol, et même s’agissant des ballons d’anniversaire, il n’existe aucune alternative réaliste à l’hélium.
Jusqu’à récemment, les quantités apparemment abondantes d’hélium autour du monde étaient simplement extraites en tant que sous-produit de la production de gaz naturel, sur une vingtaine de sites riches de cette ressource. Les déficits mondiaux de la production d’hélium ont cependant peu à peu engendré une inflation à deux chiffres des prix de cette ressource, et suscitent l’inquiétude croissante de la communauté scientifique. Désormais, les prospecteurs opérant aux États-Unis – premier exportateur mondial d’hélium – explorent exclusivement un certain nombre de sites à la recherche d’hélium.
Les pénuries d’hélium soulèvent inévitablement un débat quant aux pratiques relatives à sa production et à sa préservation. Depuis l’adoption de l’Helium Privatization Act (HPA) américain de 1996 – qui exige que le gouvernement liquide ses réserves d’hélium selon une formule de prix fixe afin de rembourser la dette accumulée depuis la survenance d’un important achat d’hélium dans les années 1960 – trois pénuries de ce type se sont produites.
Dans la mesure où l’HPA préconise l’arrêt des ventes d’hélium une fois la dette remboursée – c’est-à-dire en octobre – les communautés scientifique, médicale et technologique sont de plus en plus préoccupées par un risque considérable de pénurie d’hélium et de gonflement des prix. Associé au fait que l’hélium sous-tende une grande partie de l’emploi aux États-Unis, ceci pourrait contribuer à expliquer les récents efforts du Congrès américain destinés à permettre que se poursuive un tiers du flux de l’approvisionnement mondial en hélium, mais à des prix plus élevés.
Cette démarche intervient à un moment opportun, dans la mesure où l’autorisation de liquidation d’un volume aussi important d’hélium de la part de la US Federal Helium Reserve ces 15 dernières années a contribué à la délocalisation de nombreux producteurs d’hélium du Midwest américain, ainsi qu’au report de projets en d’autres lieux (cf. graphique). En effet, en exerçant artificiellement une contrainte sur les prix de l’hélium, l’HPA a dissuadé les sociétés d’investir dans l’extraction de l’hélium à partir du gaz naturel. Ainsi, plusieurs milliers de tonnes d’hélium se sont tout simplement volatilisées dans l’atmosphère, à la source ou lors de la combustion de ce gaz naturel.
La possibilité de mettre un terme à ce gaspillage lamentable d’hélium exigerait une évolution fondamentale du schéma de pensée dans le secteur du gaz naturel. Dans la mesure où l’hélium constitue le sous-produit d’un gaz bien plus important sur le plan énergétique, il est raisonnable d’affirmer que l’hélium qui n’est pas utilisé n’est pas non plus préservé.
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Aujourd’hui, le marché à la hausse de l’hélium s’avère structurellement fragile. Le gisement d’Hugoton, plus important site de gaz naturel d’Amérique, par ailleurs riche en hélium, s’épuise. Et la continuité de la capacité élevée de production de la US Federal Helium Reserve, une capacité qui permettait auparavant de compenser les perturbations de l’offre mondiale en hélium, n’est plus viable en termes géologiques.
De plus, le développement rapide du gaz de schiste aux États-Unis, étant entendu que celui-ci ne renferme pas d’hélium récupérable sur le plan économique, réduit l’approvisionnement marginal conventionnel en gaz. Par exemple, le gisement de gaz naturel de Keyes dans l’Oklahoma – qui avait permis de pallier à une importante pénurie d’hélium à l’époque où le gouvernement américain a commencé à acheter du gaz auprès de producteurs privés lors de la course à l’espace – est aujourd’hui en dormance. Par ailleurs, l’extraction d’hélium n’est pas rentable si elle ne s’accompagne pas d’une production de gaz naturel.
À l’heure actuelle, les compagnies de gaz naturel n’ont que peu d’intérêts à adapter leurs opérations en vue de l’extraction d’hélium. En Algérie, le site d’Hassi R’Mel, gigantesque gisement de gaz par ailleurs riche en hélium, constitue la source gazière de la région du Sahara. Importants flux et flux plus réduits s’y côtoient. Ceci réduit la concentration en hélium, et rend l’extraction plus difficile.
Il apparaît clairement que la difficulté ne réside pas dans une insuffisance en hélium, mais plutôt dans les contraintes économiques, juridiques et physiques qui pèsent sur les ressources en hélium. En effet, l’État d’Arizona à lui seul héberge suffisamment d’hélium pour approvisionner les États-Unis pendant une décennie. Mais le gisement de gaz naturel du dôme St. John renferme principalement du CO2, que la Ridgeway Arizona Oil Corporation entend utiliser pour développer ses projets de récupération de pétrole dans la région. Dans la mesure où ce CO2 n’est pas encore produit, et ne sera pas évacué, l’hélium présent sur le site demeure inaccessible.
Malgré ces défis, les compagnies industrielles gazières parviennent à obtenir un accès à l’hélium auprès de sources gazières à faible teneur. Là où certains producteurs – parmi lesquels l’usine Shute Creek d’Exxon Mobil située aux environs de La Barge dans le Wyoming (qui hébergeait jusqu’en 2013 la plus grande raffinerie d’hélium au monde) – évacuaient autrefois les déchets de CO2 dans l’atmosphère, ils procèdent aujourd’hui à l’installation d’équipements de capture du carbone afin de réduire voire d’éliminer les émissions.
Par ailleurs, l’azote – gaz pouvant être libéré sans conséquence particulière – cohabite systématiquement avec l’hélium. La découverte initiale d’abondantes réserves d’hélium aux États-Unis en 1903 s’est produite par coïncidence sur les lieux d’un puits gazier stérile situé à Dexter, dans le Kansas, qui renfermait un mélange de gaz composé à plus de 70% d’azote, pour 1,84% d’hélium. À mesure de l’augmentation des prix de l’hélium, les gisements riches en azote deviennent économiquement rentables.
Mais tous ces projets à échelle réduite ne suffiront pas à répondre à une demande croissante en hélium de la part de l’Asie. Pour cela, il serait nécessaire que les compagnies se tournent vers le gaz naturel liquéfié (GNL) – précurseur du gaz de schiste – qui permet la production d’hélium à partir de gaz naturel ne renfermant que 0,04% d’hélium.
La toute première usine de GNL productrice d’hélium a vu le jour en 1994 en Algérie. Le Qatar héberge une raffinerie d’hélium opérationnelle, une seconde étant depuis récemment en cours de développement. Ensemble, elles devraient produire 25% de l’hélium mondial en 2014.
Au cours des dix prochaines années, l’industrie de l’hélium devrait connaître une transformation fondamentale. Les sources d’approvisionnement au Moyen-Orient – de même que de nouveaux gisements majeurs en Russie – dominant le marché mondial, les États-Unis pourraient commencer à importer de l’hélium. La majeure partie de l’approvisionnement en hélium transitant par l’Asie, l’Union européenne – qui consomme plus de 20% de l’hélium commercialement disponible autour du monde – va devoir agir rapidement en direction de la mise en place d’une politique relative à l’hélium qui permette de garantir l’approvisionnement futur de cette ressource stratégique.
Bien que les secteurs européens de la haute-technologie soient dépendants d’un approvisionnement constant en hélium, ce gaz ne suscite que peu d’attention sur le continent. En 2011, le Royaume-Uni, producteur majeur d’appareils d’IRM, a exclu le sujet hélium de l’agenda d’une commission parlementaire s’intéressant à un certain nombre d’éléments stratégiques importants, au motif que l’hélium s’inscrivait « en dehors du cadre de l’enquête. »
Pendant ce temps, plus de la moitié des molécules d’hélium en provenance d’Algérie prennent la direction du nord, sans être récupérées, à travers les gazoducs d’Espagne et d’Italie. Compte tenu de l’importance de l’Algérie pour l’Europe en tant qu’alternative aux sources d’approvisionnement gazier russes, l’Europe aurait tout intérêt à concevoir en conséquence ses politiques en matière d’hélium.
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In 2024, global geopolitics and national politics have undergone considerable upheaval, and the world economy has both significant weaknesses, including Europe and China, and notable bright spots, especially the US. In the coming year, the range of possible outcomes will broaden further.
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OXFORD – L’hélium est un gaz indispensable dans un monde moderne reposant sur la technologie. Il permet par exemple de refroidir, avec une grande précision, les résistances des appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM), de même que le silicium utilisé pour concevoir les puces électroniques d’appareils de type smartphones, ou encore le verre des fibres optiques. En matière de fusées alimentées par pression, de physique de haut vol, et même s’agissant des ballons d’anniversaire, il n’existe aucune alternative réaliste à l’hélium.
Jusqu’à récemment, les quantités apparemment abondantes d’hélium autour du monde étaient simplement extraites en tant que sous-produit de la production de gaz naturel, sur une vingtaine de sites riches de cette ressource. Les déficits mondiaux de la production d’hélium ont cependant peu à peu engendré une inflation à deux chiffres des prix de cette ressource, et suscitent l’inquiétude croissante de la communauté scientifique. Désormais, les prospecteurs opérant aux États-Unis – premier exportateur mondial d’hélium – explorent exclusivement un certain nombre de sites à la recherche d’hélium.
Les pénuries d’hélium soulèvent inévitablement un débat quant aux pratiques relatives à sa production et à sa préservation. Depuis l’adoption de l’Helium Privatization Act (HPA) américain de 1996 – qui exige que le gouvernement liquide ses réserves d’hélium selon une formule de prix fixe afin de rembourser la dette accumulée depuis la survenance d’un important achat d’hélium dans les années 1960 – trois pénuries de ce type se sont produites.
Dans la mesure où l’HPA préconise l’arrêt des ventes d’hélium une fois la dette remboursée – c’est-à-dire en octobre – les communautés scientifique, médicale et technologique sont de plus en plus préoccupées par un risque considérable de pénurie d’hélium et de gonflement des prix. Associé au fait que l’hélium sous-tende une grande partie de l’emploi aux États-Unis, ceci pourrait contribuer à expliquer les récents efforts du Congrès américain destinés à permettre que se poursuive un tiers du flux de l’approvisionnement mondial en hélium, mais à des prix plus élevés.
Cette démarche intervient à un moment opportun, dans la mesure où l’autorisation de liquidation d’un volume aussi important d’hélium de la part de la US Federal Helium Reserve ces 15 dernières années a contribué à la délocalisation de nombreux producteurs d’hélium du Midwest américain, ainsi qu’au report de projets en d’autres lieux (cf. graphique). En effet, en exerçant artificiellement une contrainte sur les prix de l’hélium, l’HPA a dissuadé les sociétés d’investir dans l’extraction de l’hélium à partir du gaz naturel. Ainsi, plusieurs milliers de tonnes d’hélium se sont tout simplement volatilisées dans l’atmosphère, à la source ou lors de la combustion de ce gaz naturel.
La possibilité de mettre un terme à ce gaspillage lamentable d’hélium exigerait une évolution fondamentale du schéma de pensée dans le secteur du gaz naturel. Dans la mesure où l’hélium constitue le sous-produit d’un gaz bien plus important sur le plan énergétique, il est raisonnable d’affirmer que l’hélium qui n’est pas utilisé n’est pas non plus préservé.
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De plus, le développement rapide du gaz de schiste aux États-Unis, étant entendu que celui-ci ne renferme pas d’hélium récupérable sur le plan économique, réduit l’approvisionnement marginal conventionnel en gaz. Par exemple, le gisement de gaz naturel de Keyes dans l’Oklahoma – qui avait permis de pallier à une importante pénurie d’hélium à l’époque où le gouvernement américain a commencé à acheter du gaz auprès de producteurs privés lors de la course à l’espace – est aujourd’hui en dormance. Par ailleurs, l’extraction d’hélium n’est pas rentable si elle ne s’accompagne pas d’une production de gaz naturel.
À l’heure actuelle, les compagnies de gaz naturel n’ont que peu d’intérêts à adapter leurs opérations en vue de l’extraction d’hélium. En Algérie, le site d’Hassi R’Mel, gigantesque gisement de gaz par ailleurs riche en hélium, constitue la source gazière de la région du Sahara. Importants flux et flux plus réduits s’y côtoient. Ceci réduit la concentration en hélium, et rend l’extraction plus difficile.
Il apparaît clairement que la difficulté ne réside pas dans une insuffisance en hélium, mais plutôt dans les contraintes économiques, juridiques et physiques qui pèsent sur les ressources en hélium. En effet, l’État d’Arizona à lui seul héberge suffisamment d’hélium pour approvisionner les États-Unis pendant une décennie. Mais le gisement de gaz naturel du dôme St. John renferme principalement du CO2, que la Ridgeway Arizona Oil Corporation entend utiliser pour développer ses projets de récupération de pétrole dans la région. Dans la mesure où ce CO2 n’est pas encore produit, et ne sera pas évacué, l’hélium présent sur le site demeure inaccessible.
Malgré ces défis, les compagnies industrielles gazières parviennent à obtenir un accès à l’hélium auprès de sources gazières à faible teneur. Là où certains producteurs – parmi lesquels l’usine Shute Creek d’Exxon Mobil située aux environs de La Barge dans le Wyoming (qui hébergeait jusqu’en 2013 la plus grande raffinerie d’hélium au monde) – évacuaient autrefois les déchets de CO2 dans l’atmosphère, ils procèdent aujourd’hui à l’installation d’équipements de capture du carbone afin de réduire voire d’éliminer les émissions.
Par ailleurs, l’azote – gaz pouvant être libéré sans conséquence particulière – cohabite systématiquement avec l’hélium. La découverte initiale d’abondantes réserves d’hélium aux États-Unis en 1903 s’est produite par coïncidence sur les lieux d’un puits gazier stérile situé à Dexter, dans le Kansas, qui renfermait un mélange de gaz composé à plus de 70% d’azote, pour 1,84% d’hélium. À mesure de l’augmentation des prix de l’hélium, les gisements riches en azote deviennent économiquement rentables.
Mais tous ces projets à échelle réduite ne suffiront pas à répondre à une demande croissante en hélium de la part de l’Asie. Pour cela, il serait nécessaire que les compagnies se tournent vers le gaz naturel liquéfié (GNL) – précurseur du gaz de schiste – qui permet la production d’hélium à partir de gaz naturel ne renfermant que 0,04% d’hélium.
La toute première usine de GNL productrice d’hélium a vu le jour en 1994 en Algérie. Le Qatar héberge une raffinerie d’hélium opérationnelle, une seconde étant depuis récemment en cours de développement. Ensemble, elles devraient produire 25% de l’hélium mondial en 2014.
Au cours des dix prochaines années, l’industrie de l’hélium devrait connaître une transformation fondamentale. Les sources d’approvisionnement au Moyen-Orient – de même que de nouveaux gisements majeurs en Russie – dominant le marché mondial, les États-Unis pourraient commencer à importer de l’hélium. La majeure partie de l’approvisionnement en hélium transitant par l’Asie, l’Union européenne – qui consomme plus de 20% de l’hélium commercialement disponible autour du monde – va devoir agir rapidement en direction de la mise en place d’une politique relative à l’hélium qui permette de garantir l’approvisionnement futur de cette ressource stratégique.
Bien que les secteurs européens de la haute-technologie soient dépendants d’un approvisionnement constant en hélium, ce gaz ne suscite que peu d’attention sur le continent. En 2011, le Royaume-Uni, producteur majeur d’appareils d’IRM, a exclu le sujet hélium de l’agenda d’une commission parlementaire s’intéressant à un certain nombre d’éléments stratégiques importants, au motif que l’hélium s’inscrivait « en dehors du cadre de l’enquête. »
Pendant ce temps, plus de la moitié des molécules d’hélium en provenance d’Algérie prennent la direction du nord, sans être récupérées, à travers les gazoducs d’Espagne et d’Italie. Compte tenu de l’importance de l’Algérie pour l’Europe en tant qu’alternative aux sources d’approvisionnement gazier russes, l’Europe aurait tout intérêt à concevoir en conséquence ses politiques en matière d’hélium.
Traduit de l’anglais par Martin Morel