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La Californie en guerre contre Trump

STANFORD – Si l’on s’informe au-delà d’une actualité médiatique permanente autour de Donald Trump, on constate une redistribution globale des forces politiques, économiques et culturelles, sans doute bien plus conséquente pour l’Amérique et le reste du monde que la simple présidence Trump. Parmi ces changements intervient l’érosion des relations entre la gouvernance centrale et infranationale, ainsi que nationale et supranationale.

Les Américains interagissent principalement avec leurs dirigeants au niveau étatique et local, sur les questions de type établissements scolaires, réseaux routiers, services de police et hôpitaux. En Californie, comme dans de nombreux autres États, l’exigence d’une plus grande autonomie locale se fait de plus en plus bruyante, faisant écho ici et là au discours des séparatistes catalans ou des Brexiteurs du Royaume-Uni. Exerçant un contrôle presque monopolistique sur la gouvernance étatique et locale de la Californie, les Démocrates s’efforcent de neutraliser l’impact de la quasi-totalité des politiques de Trump.

Une proposition de loi émanant de la législature de l’État de Californie pourrait ainsi contourner le problème du nouveau plafond imposé par la loi fiscale fédérale sur les déductions d’impôts sur le revenu et le foncier – une disposition très défavorable à la Californie, qui applique les plus forts taux d’imposition du pays, et dont les citoyens possèdent des biens immobiliers de grande valeur. En vertu de la proposition de loi de l’État, les Californiens seraient en droit de « faire don » de leurs impôts étatiques à une entité caritative écran, au titre d’une charitable contribution déductible des impôts.

Mais les autorités fiscales américaines décèleront rapidement la ruse. Les contributions caritatives ne sont en effet déductibles au niveau fédéral qu’à condition que le donateur ne perçoive pas plus que la valeur accessoire de cette contribution, ce qui ne serait évidemment pas le cas en l’occurrence. En réalité, pas même la valeur marchande d’un repas lors d’un dîner caritatif n’est déductible.

Entrant en vigueur l’an prochain, la nouvelle loi fiscale fédérale abroge également le mandat individuel de la loi de 2010 sur les soins abordables (Obamacare), qui impose une amende à ceux qui ne souscrivent pas à une assurance santé. Cette abrogation étant susceptible d’accélérer l’explosion des primes d’assurance de l’Obamacare, de nombreux Démocrates californiens préconisent un système de santé à payeur unique, financé par l’État, inspiré de ceux qui existent au Canada et en Europe. Peut semble leur importer que ce système risque de coûter à l’État trois fois son budget.

Par ailleurs, la Californie se considérant à l’avant-garde des énergies vertes, les agences de l’État ont répondu à la proposition de Trump consistant à ouvrir des plateformes de forage pétrolier offshore en menaçant d’interdire le transport de pétrole partout sur le territoire californien, même via les pipelines existants.

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Le désaccord le plus litigieux trouve sa source dans la politique d’immigration. Depuis qu’elle s’est déclarée « ville sanctuaire » en 1989, San Francisco interdit à ses forces de police de coopérer avec les agents fédéraux de l’immigration. Mais l’an dernier, c’est l’État tout entier qui s’est proclamé « sanctuaire », le procureur général de Californie Xavier Becerra envisageant désormais d’imposer des amendes aux employeurs qui coopéreraient avec les officiers fédéraux de l’immigration. Tandis que s’accentuent les tensions entre les forces de l’ordre fédérales et étatiques, de nombreux Californiens se retrouvent dans une position intenable qui les contraints soit à payer des amendes de l’État, soit à violer des lois fédérales.   

Sur ces deux questions, chaque camp formule des arguments partiellement recevables. Prenons l’immigration. Bien que l’immense majorité des immigrés clandestins travaillent pour subvenir aux besoins de leur famille et améliorer l’existence de leurs enfants, certains commettent effectivement des crimes graves ou appartiennent à des gangs violents. Trump se focalise sur cette deuxième réalité pour justifier le renforcement de la sécurité à la frontière, invoquant fréquemment les exemples d’Américains tués par des immigrés clandestins revenus aux États-Unis après avoir été pourtant expulsés à plusieurs reprises. De leur côté, les opposants à Trump relèvent que les clandestins sont eux-mêmes souvent victimes – ou témoins – de crimes graves, mais qu’ils renoncent à en informer la police par peur d’être expulsés.

Bien que les deux camps avancent des arguments recevables, tout dialogue entre eux a malheureusement cessé. Ainsi, lorsque la Maison-Blanche du président Trump a récemment proposé une réforme de l’immigration susceptible de contenter un côté comme l’autre, cette proposition a immédiatement été rejetée à la fois par les militants anti-immigration et par les défenseurs de l’immigration.

Plus précisément, cette réforme conférerait un statut légal permanent et une possibilité de citoyenneté à 1, 8 millions de personnes illégalement arrivées ou envoyées aux États-Unis lorsqu’elles étaient enfants. C’est plus de deux fois le nombre d’individus protégés en vertu du programme d’Action différée pour les arrivées d’enfants (DACA) de l’ancien président Barack Obama. En retour, Trump entend pouvoir consacrer 25 millions $ supplémentaires à la sécurité à la frontière avec le Mexique – notamment pour la construction du mur promis – ainsi que procéder à des réformes limitant l’immigration légale fondée sur le regroupement familial, et favoriser les travailleurs mieux qualifiés, ce qui constitue la norme dans la plupart des pays développés.

Les plus fervents opposants à l’immigration dénoncent le plan de Trump, y voyant une forme d’amnistie. Pendant ce temps, Nancy Pelosi, responsable démocrate à la Chambre des représentants, condamne cette démarche visant à « rendre à l’Amérique sa blancheur ». Seulement voilà, le plan de l’administration Trump constitue la proposition de réforme de l’immigration la plus réaliste qui ait été formulée depuis des décennies. Si les Démocrates étaient un peu plus malins, ils ravaleraient leur détestation du président, et admettraient que la crédibilité de Trump auprès des Républicains anti-immigration le place dans une position idéale pour négocier un ensemble bipartisan de mesures.

Tandis que la Californie poursuit ses efforts de neutralisation des politiques de l’administration Trump, on peut se demander si cette approche ne débouchera pas sur un défi constitutionnel. Les États jouissent évidemment de l’autorité légale leur permettant d’adopter des mesures en dissonance avec la politique fédérale. En effet, le dixième amendement de la Constitution des États-Unis réserve expressément aux États tous les pouvoirs non délégués au gouvernement fédéral. Les États ont même la possibilité de poursuivre le gouvernement fédéral, comme l’ont fait certaines gouverneurs et procureurs généraux républicains pour renverser plusieurs règlements et ordonnances sous l’ère Obama.

Néanmoins, la Cour suprême américaine a jugé à plusieurs reprises que les États ne sauraient invalider ou contrevenir aux lois fédérales – un droit qu’ont revendiqué plusieurs États du sud au milieu du XXe siècle pour résister à l’intégration scolaire. Il s’agit d’un principe constitutionnel, qui remonte au milieu du XIXe siècle, époque à laquelle la Cour suprême américaine avait cassé une décision de la Cour suprême du Wisconsin contestant la validité de l’abominable Fugitive Slave Act de 1850.

Dans moins de neuf mois, des élections auront lieu en Californie pour le poste de gouverneur, un siège au Sénat américain, et 53 sièges à la Chambre des représentants. Il faut s’attendre à ce que s’enflamme encore davantage le débat autour de la « résistance » face à Trump – et à ce que les Cours américaines soient plus que jamais occupées à juger de ce qui est légal, et de ce qui ne l’est pas.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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