City of London Dan Kitwood/Getty Images

Les spirales funestes du Brexit

LONDRE – Les marchés financiers désapprouvent le Brexit - à juste titre. Mais parce que c'est bien la finance et non pas la société civile démocratique qui repousse la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne, le débat du Brexit va devenir plus amer et ses conséquences seront plus graves.

Les effets économiques initiaux du référendum de juin ont été négligeables et pourraient même être légèrement positifs, à présent que les chiffres de la croissance après le référendum du Royaume-Uni ont été révisés à la hausse. Mais la livre sterling est en forte baisse, le coût du financement de la dette publique britannique est en hausse et le processus de retrait effectif de l'Union européenne risque de s'avérer très destructeur.

Après avoir décidé de quitter l'Union européenne, il est dans l'intérêt du Royaume-Uni de gérer le retrait de manière à minimiser les coûts d'ajustement à court terme et les effets indésirables à long terme. De même, il est dans l'intérêt de l'UE de réduire non seulement l'impact économique, mais également le préjudice de réputation suite à la perte d'un État  membre majeur.

Idéalement les parties prenantes dans un conflit pensent froidement et de manière rationnelle à leurs intérêts à long terme et agissent en conséquence. Malheureusement, c'est rarement ce qui se produit. Tout comme dans le cas du divorce d'un couple marié, qui conduit souvent à l'amertume et à des batailles rangées qui profitent seulement aux avocats, le divorce du Royaume-Uni et de l'UE a de grandes chances de sombrer dans les abîmes de l'acrimonie. Dans un climat d'hostilité croissante, un règlement à l'amiable devient de moins en moins probable et chacun risque d'y perdre plus qu'il n'y a gagné.

Il y a trois spirales funestes potentielles déjà indissociables de la procédure de divorce entre le Royaume-Uni et l'UE. Premièrement, il existe des risques politiques et structurels si d'autres États membres veulent quitter l'UE. Lorsque le bloc perd un seul État membre, cela apparaît comme un malheur que l'on peut imputer aux spécificités nationales du pays sortant. Mais si le bloc perd d'autres États membres, cela commence à ressembler à une négligence, à une mauvaise gestion ou un défaut de conception fondamental. Ainsi l'UE a une forte motivation à rendre le Brexit aussi douloureux que possible pour le Royaume-Uni, afin de décourager certains pays, comme les Pays-Bas, la Suède ou la Finlande, de suivre l'exemple britannique.

Les sondages d'opinion montrent que le soutien à l'Union européenne a augmenté dans de nombreux États membres depuis le référendum du Royaume-Uni. Mais ce n'est pas parce que l'UE fonctionne soudainement mieux. Au contraire, de nombreux Européens partagent l'opinion de l'ancien Premier ministre britannique David Cameron, qui s'est trompé en appelant à un référendum sur l'adhésion à l'UE.

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Immédiatement après le référendum, la Chancelière allemande Angela Merkel a supplié les Européens ne pas se montrer inutilement « horribles » (garstig), en pensant aux conditions du divorce du Royaume-Uni avec l'UE. Mais parce que le Royaume-Uni sait que l'Union européenne craint la désintégration, il va inévitablement percevoir une vengeance dans toute position que l'UE va adopter. Les négociateurs britanniques vont devoir assumer que leurs homologues européens essaient de rendre leur voie de sortie hors de l'UE aussi économiquement et politiquement difficile que possible.

Les négociateurs britanniques répondront alors à la logique de la théorie des dominos des négociateurs de l'UE, en essayant de rendre le processus aussi douloureux que possible pour le reste de l'UE. En effet, les électeurs du « Leave » du Royaume-Uni sont déjà fermement convaincus que le Royaume-Uni s'en tirera à meilleur compte par lui-même et que le Brexit va causer beaucoup plus de tort aux Européens qu'aux Britanniques. Cela signifie que le camp du Leave a un fort avantage à laisser s'accomplir sa propre prophétie.

La deuxième spirale funeste s'applique à l'économie politique du Royaume-Uni. La Grande-Bretagne ne peut pas simplement commencer par battre les Européens à leur propre jeu en renouant avec son industrie automobile, ou en faisant son propre vin pour rivaliser avec les producteurs français et italiens. Le principe de l'avantage comparatif exige que le Royaume-Uni mette l'accent en particulier sur ses secteurs des services et de la finance.

La City de Londres est déjà le moteur de l'économie britannique et l'un des scénarios post-Brexit attribue en fait à Londres le rôle d'un centre financier mondial encore plus important. Pour y parvenir, le gouvernement britannique va devoir établir un régime d'imposition faible, des règlementations souples et des traitements favorables à l'égard des immigrants qualifiés et non qualifiés qui travaillent dans et autour des services financiers. Mais toutes les parties de ce plan sont en conflit avec l'objectif du gouvernement de maîtriser le secteur de la finance et de limiter les flux migratoires.

En effet, renforcer au capitalisme des nantis est précisément le contraire de ce que le Premier ministre britannique Theresa May a promis lorsqu'elle a succédé à Cameron. En fait, le camp du Leave est dominé par des citoyens d'Angleterre et du Pays de Galles qui se sentent coupés des bénéfices de la mondialisation et qui ont voté contre les privilèges et les richesses de la mégapole mondiale étincelante de Londres. Ainsi, une des stratégies de négociation les plus efficaces du Royaume-Uni risque de diviser profondément la Grande-Bretagne contre elle-même, en particulier contre le Parti Conservateur au pouvoir.

Ce qui nous conduit vers la troisième spirale funeste : les migrations, qui ont pesé si lourdement sur l'issue du référendum du Brexit. Le gouvernement de Theresa May doit maintenant prouver aux électeurs qu'il s'occupe du problème des migrants et des travailleurs étrangers au Royaume-Uni. Mais tant que la Grande-Bretagne a une économie dynamique, elle attirera des immigrants, indépendamment de la question de savoir s'ils sont officiellement admis. Le gouvernement ne peut garantir moins d'immigration qu'en détruisant l'économie, ce qui pourrait être imputé naturellement par la suite à la méchanceté européenne.

Dans le même temps, si le Royaume-Uni devient un centre financier offshore à faible coût qui préserve les emplois, il risque de représenter un danger pour ses voisins. L'Europe continentale sera peut-être tentée de rejeter en bloc le capitalisme financier, en faveur d'une stratégie de croissance fondée sur les projets d'investissements importants commandés par les États.

En fin de compte, le Brexit va peut-être finir par ressembler à la mutilation d'un cadavre, dont la tête britannique financière sera séparée de l'économie réelle européenne. La Grande-Bretagne paraîtra moins attrayante, l'Europe se repliera sur elle-même et chaque camp accusera l'autre. Cela sera un mauvais résultat pour tout le monde. Mais cela est également conforme à la logique amère du divorce : ce qui explique pourquoi la plupart des couples ont recours à une aide juridique.

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