malpass6_SIMON MAINAAFP via Getty Images_mangrove sustain BARBARA DEBOUTAFP via Getty Images

Un développement économique écologique

WASHINGTON, DC – La biodiversité planétaire et les services que nous rendent les écosystèmes sains subissent une pression massive en raison du changement climatique ainsi que du défi consistant à soutenir l’existence de huit milliards d’être humains de manière durable. Les services écosystémiques clés – tels que le bois issu des forêts, les pollinisateurs, ou encore la pêche en mer – doivent être préservés et chéris. Or, ils subissent aujourd’hui une érosion rapide. Organisée ce mois-ci à Montréal, la Conférence 2022 des Nations Unies sur la biodiversité (COP15) nous offre l’opportunité de bâtir sur la vision commune de l’humanité consistant à vivre en harmonie avec la nature.

La biodiversité constitue l’un des objectifs majeurs des programmes du Groupe de la Banque mondiale. Pour stopper la perte de biodiversité, les décisions économiques doivent prendre en compte la nature. C’est pourquoi nous travaillons en soutien des États afin qu’ils intègrent la nature à leurs modèles de croissance économique, plans de développement, et agendas climatiques. Cela signifie instaurer des politiques qui tiennent compte de la valeur économique réelle de la nature, bâtir des institutions qui la soutiennent, développer des partenariats public-privé en faveur de cet objectif, ainsi que mobiliser la finance en provenance de toutes les sources, afin de transformer les économies et les politiques – bien au-delà des interventions isolées.

La pêche constitue une excellente illustration des raisons pour lesquelles la nature est essentielle à la croissance et au développement. Au niveau planétaire, les stocks de poisson déclinent, en raison de la triple menace que représentent le changement climatique, la surpêche et la pollution. Si l’état actuel des choses perdure, le monde pourrait perdre jusqu’à 25 % de capture de pêche d’ici la fin du siècle. Nous sommes tous concernés, pour plusieurs raisons.

Premièrement, nous sommes d’ores et déjà confrontés à l’une des plus grandes crises de sécurité alimentaire de l’histoire moderne. Le poisson constituant une denrée alimentaire importante pour 3,3 milliards de personnes, la réduction de l’offre ne pourra qu’aggraver les crises alimentaires d’aujourd’hui et de demain. Le poisson est un aliment riche en nutriments particulièrement essentiels au développement de l’enfant, et constitue une source particulièrement précieuse de protéines pour les plus démunis, dans la mesure où il est plus facile à obtenir et moins coûteux à conserver que d’autres sources. Ainsi, le poisson représente au moins 50 % de l’apport total en protéines animales des habitants du Ghana, du Mozambique et de la Sierra Leone. Une pénurie de poisson risque par ailleurs d’impacter l’ensemble de la chaîne alimentaire, les produits de pêche faisant partie des composants essentiels d’autres produits alimentaires, tels que la nourriture destinée au bétail.             

Deuxièmement, le poisson se raréfiant ou migrant vers des eaux plus froides et plus profondes en raison du changement climatique, de nombreux pêcheurs vont devoir naviguer plus au large pour en capturer, modifier leurs modes de pêche, ou changer de métier. Nombre d’entre eux ne pourront pas s’adapter. Parmi les 38 millions de personnes directement employées par la pêche à travers le monde, les plus vulnérables seront les plus durement frappées, notamment les communautés de pêche à petite échelle, souvent situées dans des zones reculées et déjà disproportionnellement affectées par le changement climatique. Les femmes, qui représentent 50 % des personnes employées sur l’ensemble de la chaîne de valeur des produits alimentaires aquatiques, seront également impactées significativement. Celles qui n’ont pas véritablement suivi d’études éprouveront bien des difficultés à trouver un moyen de subsistance alternatif.

Troisièmement, l’impact de ces menaces s’accentuera au fil des années. Les stocks de poisson ignorent les frontières internationales. Sans réglementations et mécanismes incitatifs adaptés, les flottes continueront de maximiser leurs prises à court terme, et les économies dominantes de mener une surpêche au-delà de leurs eaux territoriales. Si tous les États se comportent ainsi, ce grave problème deviendra encore plus catastrophique. Il y a cinquante ans, environ 10 % des stocks mondiaux de poisson étaient pêchés à une cadence non durable biologiquement, d’après l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Ce chiffre atteint aujourd’hui 35 %. Si de nombreux pays sont voués à en souffrir, ces sont les communautés les plus démunies qui ont le plus à perdre.

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Face à ces défis, les efforts de préservation qui se limitent à stopper la perte de biodiversité ne suffisent plus. Il nous faut inverser le déclin, ce qui implique de changer de modes de production et de consommation.

L’une des approches consiste à investir dans des solutions fondées sur la nature, qui protègent l’environnement tout en soutenant le développement économique, en créant des moyens de subsistance, ainsi qu’en aidant les États à atténuer et s’adapter au changement climatique. Prenons l’exemple des mangroves, riches en biodiversité, zones de reproduction pour les poissons, et qui protègent plus de six millions de personnes contre les inondations annuelles, tout en absorbant les émissions de carbone. Leur valeur économique est estimée à 550 milliards $. De même, la culture des algues représente un potentiel de création d’emplois, d’atténuation de l’insécurité alimentaire, et d’absorption du carbone.

Le Groupe de la Banque mondiale œuvre sur de multiples fronts pour aider les États à reconnaître à la fois la valeur de la nature, et les risques que soulèverait sa disparition. Travaillant souvent auprès de ministères des finances, nous apportons les financements, les connaissances, les conseils politiques et les capacités techniques nécessaires pour mobiliser les différents partenaires autour de solutions fondées sur la nature. Avec notre soutien, les États identifient aujourd’hui de nouvelles interventions prometteuses, susceptibles d’être répliquées et développées à grande échelle.

En impliquant diverses parties prenantes dans la planification marine, le Vietnam atténue par exemple les conflits liés à l’exploitation des ressources dans les différents secteurs. En Chine, nous travaillons avec les municipalités de Chongqing et Ningbo afin de réduire la quantité de plastique marin qui atteint les océans à partir des effluents fluviaux, en nous fondant sur des projets antérieurs qui ont contribué à renforcer la capacité de traitement des eaux du pays. En appliquant certaines technologies telles que les satellites et les drones, nous permettons à la Tanzanie ainsi qu’à d’autres pays d’obtenir des données en temps réel sur la dégradation côtière et marine, afin qu’ils puissent agir pour prévenir ce phénomène. De même, grâce à des instruments financiers innovants de type crédits de carbone bleu, le Ghana entend restaurer 3 000 hectares de mangrove, et mobiliser davantage de financements privés.

Nous œuvrons pour le développement des efforts de ce type. Les objectifs à court terme incluent davantage de financements en appui de projets au sein des pays pauvres, un plus grand rôle du secteur privé, ainsi qu’une action coordonnée des communautés locales jusqu’aux gouvernements nationaux. Si nous entendons stopper la perte de biodiversité, nous devrons, ainsi que la communauté internationale, accomplir beaucoup plus.   

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