Ethiopia scenery Sean Gallup/Getty Images

En Afrique, la gestion foncière est une gestion de crise

WASHINGTON, DC – L'Éthiopie traverse sa pire crise politique depuis des décennies. Après des mois d'escalade des protestations et des conflits qui ont tué des centaines de personnes, le 9 octobre le gouvernement éthiopien a proclamé l'état d'urgence.

Le conflit éthiopien est dû en partie à des tensions ethniques et au ressentiment contre l'emprise d'une petite élite sur les richesses et la puissance du pays. Mais un autre facteur crucial, bien que relativement négligé, est le système de gestion foncière de l'Éthiopie. En effet, la crise a commencé l'année dernière par une sécheresse grave qui a affamé dix millions de personnes et par des litiges sur la propriété des terres qui ont déclenché des protestations contre les politiques foncières d'expropriation du gouvernement.

L'Éthiopie n'est malheureusement pas le seul exemple récent de la façon dont les conflits sur les droits fonciers peuvent ouvrir la voie à des crises politiques et humanitaires. La concurrence pour les terres arables a contribué au génocide rwandais en 1994. Une sécheresse historique pourrait avoir créé les conditions d'une guerre civile en Syrie. Et l'insécurité alimentaire résultant de la mauvaise gestion foncière est un facteur important qui pousse les migrants vers l'Europe.

Les problèmes relatifs à la gestion foncière vont continuer de menacer la stabilité mondiale, en particulier si les effets du changement climatique viennent aggraver les problèmes existants. La déforestation et l'utilisation non durable des terres ont dégradé les sols, ont modifié les modèles de précipitations et ont augmenté l'incidence des événements climatiques extrêmes, en particulier en Afrique. À l'échelle du continent, 65% des terres ont été dégradées et 3 % du PIB agricole est perdu chaque année, en raison de pertes en sol et en éléments nutritifs sur les terres agricoles.

En Éthiopie, l'agriculture représente 80 % de l'emploi, si bien que même une légère baisse de la productivité agricole peut affecter négativement les niveaux de revenus. Et à travers l'Afrique sub-saharienne, les terres endommagées sont non seulement un fardeau environnemental, mais peuvent également entraîner un désastre économique. Lorsque les arbres et la végétation sont dépeuplés, de fortes précipitations érodent les sols et détruisent les opportunités économiques pour les populations locales.

J'ai constaté en personne l'érosion en ravins de Tata Magadi au Kenya, qui s'étend sur 104 miles (167 kilomètres) et qui donne l'impression au premier coup d'œil du point d'impact d'un météorite. Les érosions en ravins sont des fossés que laisse l'eau de pluie après avoir érodé la couche arable. Quand elles sont assez fortes, elles peuvent balayer des maisons et des terres agricoles productives tout entières, dont dépend la subsistance de communautés rurales.

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Heureusement, il existe des moyens d'inverser la dégradation des terres, tout en augmentant simultanément le rendement des cultures et les revenus des ménages. La plantation d'arbres sur des terres dégradées, par exemple, peut augmenter la productivité agricole en permettant de fixer les terres arables, en augmentant la fertilité des sols et en fournissant de l'ombre pour les cultures et le bétail.

Une fois que les agriculteurs du Malawi ont étendu leur couverture d'arbres, le rendement de leurs cultures a augmenté de 50 à 100 %. Comme me le disait un cultivateur de maïs kényan : « Pas d'arbres, pas de pluie. » En effet, les agriculteurs ont toujours su intuitivement ce que les scientifiques confirment aujourd'hui : les arbres et les autres sortes de végétation peuvent stimuler les précipitations.

Afin d'accélérer les efforts de remise en état en Afrique, il faut mobiliser les communautés et les agriculteurs doivent être habilités à remettre en état leur propre terre. Ce concept de base a pris de l'ampleur au Kenya, où des « associations forestières communautaires » se sont formées pour protéger et gérer les régions boisées. En Éthiopie, tous les villageois d'Abraha Atsbeha effectuent un travail bénévole trois jours par mois dans le cadre d'un effort auto-organisé pour réhabiliter le paysage environnant. D'autres villages de la région leur ont emboîté le pas, en donnant lieu ainsi à un mouvement local croissant de remise en état.

La restauration des terres est non seulement une technique pour améliorer l'agriculture de subsistance. Mais elle peut également offrir des rendements financiers pour les entreprises et les investisseurs, ce qui explique pourquoi de nombreuses petites et moyennes entreprises de remise en état ont vu le jour. Elles comptent des entreprises de plantations distribuées et d'apiculture durable, ainsi que Green Pot Enterprises, une société d'Afrique orientale à croissance rapide qui loue des parts de sites de remise en état à des particuliers, qui peuvent alors bénéficier d'un rendement annuel sur leurs investissements. Mais pour que les entreprises de de remise en état maintiennent leur croissance, elles auront besoin d'un accès plus étendu au capital de croissance et d'un meilleur fonctionnement des marchés nationaux.

Les gouvernements nationaux ont également un rôle essentiel à jouer et 17 pays africains ont pris des engagements pour la remise en état au Bonn Challenge et à l'initiative AFR100, qui vise à remettre en état 100 millions d'hectares (247 millions d'acres, soit une zone d'à peu près la taille de l'Éthiopie), en Afrique d'ici 2030. L'approche proactive de l'Afrique de la remise en état est de bon augure, car les effets du changement climatique devraient frapper le continent plus durement que toute autre région du monde.

La remise en état des sols n'est pas un choix : c'est une nécessité. Si les terres des pays africains ne sont pas récupérées, elles vont tomber dans un cercle vicieux de pauvreté et d'agitation politique, semblable à celui auquel nous assistons actuellement en Éthiopie. Des terres plus gravement dégradées sont plus difficiles à remettre en état, de sorte que chaque remise en état retardée est une occasion perdue pour l'environnement, pour l'économie et pour la paix.

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