817e2a0446f86f380ea73824_m1662c.jpg Barrie Maguire

Le choix de la Chine en Corée du Nord

TOKYO – Si le moment le plus dangereux dans une dictature est lorsqu’elle commence à entreprendre des réformes, la Corée du Nord semble prête à couper le cou à ce truisme. Ses récents bombardements de la Corée du Sud suggèrent que la défaillante dynastie Kim pourrait bien mettre le feu à l’Asie du sud-est plutôt que d’entreprendre de sérieuses réformes. Si la paix est réellement une composante clé de l’ascension de la Chine, alors les Chinois doivent désormais maîtriser leur lunatique client.

Essayer de comprendre le « Royaume Ermite » revient à regarder dans un trou noir. Certains voient dans le pilonnage de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong une manouvre pour détourner l’attention des Nord-Coréens de l’effondrement économique de leur pays, ou peut-être du décès imminent de leur « Cher Dirigeant, » Kim Jong-il, ou pour créer une pseudo-image de dirigeant militaire au fils de Kim et prétendu héritier, son fils de quelques 27 ans, le « Jeune Général » Kim Jong-un. D’autres ne voient dans cette attaque qu’une provocation supplémentaire à rajouter à une longue liste et qui ne devrait donc pas être prise autant au sérieux.  

Hwang Jang-yop, l’ancien chef idéologue de la Corée du Nord et son plus ancien transfuge au Sud, décrit la Corée du Nord comme un mélange de « socialisme, de féodalisme moderne et de militarisme. » Une combinaison qui s’est avérée être mortelle. On estime qu’environ 1,5 million des 23 millions de citoyens Nord-Coréens sont morts de faim au cours de la dernière décennie. La famine reste très répandue, même si elle n’est plus aussi terrible qu’il y a deux ans. La ration quotidienne moyenne est de 150 à 300 grammes de maïs ou de riz (l’équivalent d’environ quatre tranches de pain sec) en fonction des régions. Il est encore souvent difficile de trouver de la nourriture dans les zones rurales.

Au sommet de cette économie de famine nord-coréenne se trouve un culte de la personnalité qui éclipse celui de Staline ou de Mao. Des images omniprésentes de Kim Jong-il et de son père Kim Il-sung constituent les symboles officiels d’une théocratie laïque fondée sur le juche (prononcer tchoutcheh), la contribution des Kim au patrimoine mondial des idéologies totalitaires. Comme dans le cas de l’Eglise ou du droit divin des rois, le système ne peut être défié sans affaiblir l’infaillibilité de ses parfaits dirigeants.

La troisième et la plus effrayante composante en apparence de la formule de Hwang, le militarisme, pourrait bien s’avérer être le talon d’Achille du système. Maintenir la cinquième armée du monde sur un pied de guerre permanent coûte excessivement cher pour l’un des pays les plus pauvres de la planète dont le budget militaire est estimé à un tiers du PIB. Les forces armées exploitent une économie parallèle, avec leurs propres mines, fermes et usines bien que de nombreux soldats et officiers subalternes continuent de souffrir de la faim.

Le pied de guerre permanent sur lequel se maintient l’armée n’est que l’une des manifestations de l’obsession de la Corée du Nord avec une autosuffisance acharnée. Le Juche est l’autarcie élevée au rang de philosophie. Les Nord-Coréens considèrent toute dépendance sur le monde extérieur comme une forme de faiblesse, même si leur économie s’écroulerait sans les contributions chinoises.

Winter Sale: Save 40% on a new PS subscription
PS_Sales_Winter_1333x1000 AI

Winter Sale: Save 40% on a new PS subscription

At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.

Subscribe to Digital or Digital Plus now to secure your discount.

Subscribe Now

Parce que la Corée du Nord ne rembourse pas ses prêts, elle ne peut plus emprunter d’argent ; parce qu’elle ne tient pas parole, elle détourne tous les partenaires potentiels ; et parce qu’elle vise l’autarcie, elle ne peut se spécialiser ou exploiter ses avantages comparatifs. En conséquence, ces exportations annuelles – qui comprennent films et dessins animés pour la télévision, voitures reconditionnées, et, bien sûr, un commerce illicite d’armes – se résument à moins d’1 milliard de dollars.

Il n’est donc pas étonnant que ses transfuges décrivent aujourd’hui un contexte de chaos social et de petite délinquance et un combat darwinien pour la survie. Le découragement est généralisé et les troubles, latents. C’est le règne de la corruption.

Alors où veut en arriver Kim avec cette dernière attaque contre la Corée du Sud ?

La principale cible de Kim était sûrement les discussion à six entre son régime, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Corée du Sud et le Japon. La Corée du Nord s’est déjà vu proposé antérieurement des incitations entre autres économiques pour abandonner l’arme nucléaire. Mais tout comme l’Iran, cependant, Kim veut sa part du gâteau et la manger : l’acceptation finale de son statut de puissance nucléaire et toutes les incitations économiques de la part des Etats-Unis, de l’Europe, de la Russie et de la Chine pour dénucléariser.  

Cela peut sembler fou, particulièrement compte tenu de la probabilité d’une autre série de sanctions économiquement paralysantes suite aux bombardements. Mais les calculs de Kim sont bien différents de ceux de la plupart des autres dirigeants. Il a toujours fait montre d’une certaine distance par rapport à la détresse de son peuple, et il pense toujours pouvoir compter sur les quelques deux tiers de pétrole et de nourriture dont il a besoin de la part de la Chine.

Face aux provocations du Nord, le président sud-coréen Lee Myung-bak a affiché plus de cette aptitude à gouverner dont il avait fait preuve lors du récent sommet du G20 à Séoul, lorsqu’il avait réussi à recentrer le groupe sur le développement. Les alliés du président Lee se sont, à raison, ralliés à lui, même si nous-mêmes reconnaissons que sa retenue ne peut durer éternellent. 

Beaucoup dépend donc de la Chine, dont la diplomatie régionale auto destructrice a réussi à pousser un gouvernement japonais apathique et militairement farouche à renforcer sa coopération avec les Etats-Unis sur les questions de sécurité, et a inspiré la Corée du Sud à rechercher des partenariats stratégiques avec d’autres puissances asiatiques, y compris l’Inde. Il reste à espérer que les récents comportements de la Corée du Nord – le naufrage du bâtiment de guerre sud-coréen le Cheonan en mars, et maintenant les bombardements de l’île de Yeonpyeong (suite à une manouvre de tir soi-disant « accidentelle » dans la Zone Démilitarisée en octobre) – concentreront l’attention à Pékin.

Mais la Chine, qui craint par dessus tout une chute du régime nord-coréen, ne veut pas contrarier Kim. Et la Chine tient à entrainer un peu plus la Corée du Sud dans le jeu des rivalités régionales. Le résultat pourrait être une nouvelle série d’efforts chinois pour manipuler la méfiance régionale – ou pire.

Mais la Chine pourrait tout aussi bien endosser une réelle part de responsabilité dans la sécurité en Asie du sud-est et resserrer les rangs contre Kim et son imprudente stratégie de la corde raide. Cela devrait commencer par une condamnation sans faille de la Corée du Nord par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Cet effort global ne pourra certainement pas aboutir sans que la Chine ne menace Kim de manière crédible de couper le cordon ombilical économique avec son pays.

https://prosyn.org/IXoLTT0fr